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sus: les yeux d'un père sont pénétrants, je verrai jusqu'au fond de son âme. Si je le trouve dans la disposition que je souhaite, je vous pardonnerai le passé; mais, ajouta-t-il d'un ton plus ferme, si dans ses discours je démêle un cœur perfide, vous irez toutes deux dans une retraite pleurer votre imprudence le reste de vos jours. A ces mots, il ramassa son épée; et les laissant se remettre de la frayeur qu'il leur avait causée, il remonta dans son appartement pour s'habiller.

Asmodée, en cet endroit de son récit, fut interrompu par l'écolier, qui lui dit : Quelque intéressante que soit l'histoire que vous me racontez, une chose que j'aperçois m'empêche de vous écouter aussi attentivement que je le voudrais. Je découvre dans une maison une femme qui me paraît gentille, entre un jeune homme et un vieillard. Ils boivent tous trois apparemment des liqueurs exquises; et tandis que le cavalier suranné ambrasse la dame, la friponne, par derrière, donne une de ses mains à baiser au jeune homme, qui sans doute est son galant. Tout au contraire, répondit le boiteux, c'est son mari, et l'autre son amant. Ce vieillard est un homme de conséquence, un commandeur de l'Ordre militaire de Calatrava. Il se ruine pour cette

femme, dont l'époux a une petite charge à la cour elle fait des caresses par intérêt à son vieux soupirant, et des infidélités en faveur de son mari, par inclination.

Ce tableau est joli, répliqua Zambullo: l'époux ne serait-il pas français ? Non, répartit le Diable, il est espagnol. Oh! la bonne ville de Madrid ne laisse pas d'avoir aussi dans ses murs des maris débonnaires; mais ils n'y fourmillent pas comme dans celle de Paris, qui sans contredit est la cité du monde la plus fertile en pareils habitants. Pardon, seigneur Asmodée, dit don Cleophas, si j'ai coupé le fil de l'histoire de Léonor: continuez-la, je vous prie, elle m'attache infiniment; j'y trouve des nuances de séduction qui m'enlèvent. Le démon la reprit ainsi.

CHAPITRE V.

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Suite et conclusions des amours du comte de Belflor.

Don Luis sortit de bon matin, et se rendit chez le comte, qui, ne croyant pas avoir été découvert, fut surpris de cette visite. Il alla au-devant du vieillard, et, après l'avoir accablé d'embrassades: Que j'ai de joie, dit-il, de

voir ici le seigneur don Luis! viendrait-il m'offrir l'occasion de le servir? Seigneur, lui répondit don Luis, ordonnez s'il vous plait que nous soyons seuls.

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Belflor, fit ce qu'il souhaitait. Ils s'assirent tous deux; et le vieillard prenant la parole : Seigneur, dit-il, mon honneur et mon repos ont besoin d'un éclaircissement que je viens vous demander. Je vous ai vu ce matin sortir de l'appartement de Léonor. Elle m'a tout avoué; elle m'a dit..... Elle vous a dit que je l'aime, interrompit le comte, pour éluder un discours qu'il ne voulait pas entendre; mais elle ne vous a que faiblement exprimé tout ce que je sens pour elle : j'en suis enchanté ; c'est ; une fille toute adorable; esprit, beauté, vertu, rien ne lui manque. On m'a dit que vous avez aussi un fils qui achève ses études à Alcala; ressemble-t-il à sa sœur ? S'il en a la beauté, et pour peu qu'il tienne de vous d'ailleurs, ce doit être un cavalier parfait. Je meurs d'envie de le voir, et je vous offre tout mon crédit pour lui.

Je vous suis redevable de cette offre, dit gravement don Luis; mais venons à ce que.... Il faut le mettre incessamment dans le service, interrompit encore le comte; je me charge de

sa fortune. Il ne vieillira point dans la classe des officiers subalternes; c'est de quoi je puis vous assurer. Répondez-moi, comte, reprit brusquement le vieillard, et cessez de me couper la parole. Avez-vous dessein, ou non, de tenir la promesse....? Oui, sans doute, interrompit Belflor pour la troisième fois, je tiendrai la promesse que je vous fais d'appuyer votre fils de toute ma faveur : comptez sur moi, je suis homme réel. C'en est trop, comte, s'écria Cespèdes en se levant : après avoir séduit ma fille, vous osez encore m'insulter; mais je suis noble, et l'offense que vous me faites ne demeurera pas impunie. En achevant ces mots, il se retira chez lui, le cœur plein de ressentiment, et roulant dans son esprit mille projets de vengeance.

Dès qu'il y fut arrivé, il dit avec beaucoup d'agitation à Léonor et à la dame Marcelle : Ce n'était pas sans raison que le comte m'était suspect; c'est un traître dont je veux me venger. Pour vous, dès demain, vous entrerez toutes deux dans un couvent; vous n'avez qu'à vous y préparer; et rendez grâce au ciel que ma colère se borne à ce châtiment. En disant cela, il alla s'enfermer dans son cabinet, pour penser mûrement au parti qu'il avait à prendre dans une conjoncture aussi délicate.

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Quelle fut la douleur de Léonor, quand elle eut entendu dire que Belflor était perfide! Elle demeura quelque temps immobile; une pâleur mortelle se répandit sur son visage; ses esprits l'abandonnèrent, et elle tomba sans mouvement entre les bras de sa gouvernante, qui crut qu'elle allait expirer. Cette duègne apporta tous ses soins pour la faire revenir de son évanouissement. Elle y réussit. Léonor reprit l'usage de ses sens, ouvrit les yeux, et voyant sa gouvernante empressée à la secourir : Que vous êtes barbare! lui dit-elle, en poussant un profond soupir; pourquoi m'avez-vous tirée de l'heureux état où j'étais ? Je ne sentais pas l'horreur de ma destinée. Que ne me laissiez-vous mourir? Vous qui savez toutes les peines qui doivent troubler le repos de ma vie, pourquoi me la voulez-vous conserver?

Marcelle essaya de la consoler, mais ne fit que l'aigrir davantage. Tous vos discours sont superflus, s'écria la fille de don Luis; je ne veux rien écouter ne perdez pas le temps à combattre mon désespoir; vous devriez plutôt l'irriter, vous qui m'avez plongée dans l'abîme affreux où je suis. C'est vous qui m'avez répondu de la sincérité du comte; sans vous je ne me serais pas livrée à l'inclination que j'avais

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