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pour lui; j'en aurais insensiblement triomphé; il n'en aurait jamais, du moins, tiré le moindre avantage. Mais je ne veux pas, poursuivit-elle, vous imputer mon malheur, et je n'en accuse que moi je ne devais pas suivre vos conseils, en recevant la foi d'un homme sans la paticipation de mon père. Quelque glorieuse que fût pour moi la recherche du comte de Belffor, il fallait le mépriser plutôt que de le ménager aux dépens de mon honneur; enfin je devais me défier de lui, de vous et de moi. Après avoir été assez faible pour me rendre à ses serments perfides, après l'affliction que je cause au malheureux don Luis, et le déshonneur que je fais à ma famille, je me déteste moi-même; loin de craindre la retraite dont on me menace, je voudrais aller cacher ma honte dans le plus horrible séjour.

En parlant de cette sorte, elle ne se contentait pas de pleurer abondamment, elle déchirait ses habits, et s'en prenait à ses beaux cheveux de l'injustice de son amant. La duègne, pour se conformer à la douleur de sa maîtresse, n'épargna pas les grimaces; elle laissa couler quelques pleurs de commande, fit mille imprécations contre les hommes en général, et en particulier contre Belflor. Est-il possible, s'écria-t-elle,

que le comte, qui m'a paru plein de droiture et de probité, soit assez scélérat pour nous avoir trompées toutes deux ! Je ne puis revenir de ma surprise, ou plutôt je ne puis encore me persuader cela.

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En effet, dit Léonor, quand je me le représente à mes genoux, quelle fille ne se serait pas fiée à son air tendre, à ses serments dont il prenait si hardiment le ciel à témoin, à ses transports qui se renouvelaient sans cesse ? Ses yeux me montraient encore plus d'amour que sa bouche ne m'en exprimait; en un mot, il paraissait charmé de ma vue : non, il ne me trompait point, je ne le puis penser. Mon père ne lui aura point parlé peut-être avec assez de ménagement; ils se seront piqués tous deux, et le comte lui aura moins répondu en amant qu'en grand seigneur. Mais je me flatte aussi peut-être ! Il faut que je sorte de cette incertitude; je vais écrire à Belflor, lui mander que je l'attends ici cette nuit; je veux qu'il vienne rassurer mon cœur alarmé, ou me confirmer lui-même sa trahison.

La dame Marcelle applaudit à ce dessein; elle conçut même quelque espérance que le comte, tout ambitieux qu'il était, pourrait bien être touché des larmes que Léonor répan

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drait dans cette entrevue, et se déterminer à l'épouser.

Pendant ce temps-là, Belflor, débarrassé du bon homme don Luis, rêvait dans son appar tement aux suites que pourrait avoir la réception qu'il venait de lui faire. Il jugea bien que tous les Cespedes, irrités de l'injure, songeraient à la venger; mais cela ne l'inquiétait que faiblement : l'intérêt de son amour l'occupait bien d'avantage. Il pensait que Léonor serait mise dans un couvent, ou du moins qu'elle serait désormais gardée à vue; que, selon toutes les apparences, il ne la reverrait plus. Cette pensée l'affligeait, et il cherchait dans son esprit quelque moyen de prévenir ce malheur, lorsque son valet-de-chambre lui apporta une lettre que la dame Marcelle venait de lui mettre entre les mains; c'était un billet de Léonor, conçu en ces termes :

< Je dois demain quitter le monde pour aller » m'ensevelir dans une retraite. Me voir désho» norée, odieuse à ma famille et à moi-même, > c'est l'état déplorable où je suis réduite pour » vous avoir écouté. Je vous attends encore > cette nuit. Dans mon désespoir : je cherche » de nouveaux tourments: venez m'avouer que » votre cœur n'a point eu de part aux serments

> que votre bouche m'a faits, ou venez le jus> tifier par une conduite qui peut seule adoucir » la rigueur de mon destin. Comme il pourrait > y avoir quelque péril dans ce rendez-vous, > après ce qui s'est passé entre vous et mon » père, faites-vous accompagner par un ami. > Quoique vous fassiez tout le malheur de ma > vie, je sens que je m'intéresse encore à la > vôtre. »

LÉONOR.

Le comte lut deux ou trois fois cette lettre; et se représentant la fille de don Luis dans la situation où elle se dépeignait, il en fut ému. Il rentra en lui-même : la raison, la probité, l'honneur, dont sa passion lui avait fait violer toutes les lois, commencèrent à reprendre sur lui leur empire. Il sentit tout d'un coup dissiper son aveuglement; et, comme un homme sorti d'un violent accès de fièvre rougit des paroles et des actions extravagantes qui lui sont échappées, il eut honte de tous les lâches artifices dont il s'était servi pour contenter ses désirs.

Qu'ai-je fait, dit-il, malheureux! quel démon m'a possédé ! J'ai promis d'épouser Léonor: j'en ai pris le ciel à témoin ; j'ai feint que

le roi m'avait proposé un parti: mensonge, perfidie, sacrilége; j'ai tout mis en usage pour corrompre l'innocence. Quelle fureur ! Ne valait-il pas mieux employer mes efforts à détruire mon amour, qu'à le satisfaire par des voies si criminelles? Cependant voilà une fille de condition séduite; je l'abandonne à la colère de ses parents, que je déshonore avec elle, et je la rends misérable pour prix de m'avoir rendu heureux quelle ingratitude! Ne dois-je pas plutôt réparer l'outrage que je lui fais? Oui, je le dois, et je veux, en l'épousant, dégager la parole que je lui ai donnée. Qui pourrait s'opposer à un dessein si juste ? Ses bontés doivent-elles me prévenir contre sa vertu ? Non, je sais combien sa résistance m'a coûté à vaincre. Elle s'est moins rendue à mes transports qu'à la foi jurée.... Mais, d'un autre côté, si je me borne à ce choix, je me fais un tort considérable. Moi qui puis aspirer aux plus nobles et aux plus riches héritières de l'État, je me contenterai de la fille d'un simple gentilhomme qui n'a qu'un bien médiocre ! Que pensera-ton de moi à la cour? On dira que j'ai fait un mariage ridicule.

Belflor, ainsi partagé entre l'amour et l'ambition, ne savait à quoi se résoudre; mais,

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