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coutume d'entretenir tous les matins sa maîtresse. Il attendit ce moment avec beaucoup d'impatience, et quand il fut venu, il courut au rendez-vous.

Il y trouva l'inconnue qui s'y était rendue de meilleure heure qu'à l'ordinaire; mais il la trouva qui fondait en pleurs avec dona Juana, et qui paraissait agitée d'une vive douleur. Quel spectacle pour un amant ! Il s'approcha d'elle tout troublé; et se jetant à ses genoux : Madamẹ, lui dit-il, que dois-je penser de l'état où je vous vois ? Quel malheur m'annoncent ces larmes qui me percent le cœur ? Vous ne vous attendez pas, lui répondit-elle, au coup fatal que j'ai à vous porter. La fortune cruelle va nous séparer pour jamais : nous ne nous verrons plus.

Elle accompagna ces paroles de tant de soupirs; que je ne sais si don Pedre fut plus touché des choses qu'elle disait, que de l'affliction dont elle paraissait saisie en les disant. Juste ciel ! s'écria-t-il avec un transport de fureur dont il ne fut pas maître, peut-tu souffrir que l'on détruise une union dont tu connais l'innocence ! Mais, madame, ajouta-t-il, vous avez pris peut-être de fausses alarmes. Est-il certain qu'on vous arrache au plus fidèle amant qui fût

jamais? Suis-je en effet le plus malheureux de tous les hommes? Notre infortune n'est que trop assurée, répondit l'inconnue : mon frère, de qui ma main dépend, me marie aujourd'hui ; il vient de me le déclarer lui-même. Eh! quel est cet heureux époux? répliqua don Pedre avec précipitation; nommez-le-moi, madame; je vais dans mon désespoir........... Je ne sais point encore son nom, interrompit l'inconnue; mon frère n'a pas voulu m'en instruire : il m'a dit seulement qu'il souhaitait que je visse le cavalier auparavant.

Mais, madame, dit don Pedre, vous soumettrez-vous sans résistance aux volontés d'un frère? Vous laisserez-vous entraîner à l'autel sans vous plaindre d'un si cruel sacrifice ? ne ferez-vous rien en ma faveur ? Hélas! je n'ai pas craint de m'exposer à la colère de mon père pour me conserver à vous ses menaces n'ont pu ébranler ma fidélité; et, avec quelque rigueur qu'il puisse me traiter, je n'épouserai point la dame qu'on me propose, quoique ce soit un parti très-considérable. Et qui est cette dame? dit l'inconnue. C'est la sœur du comte de Belflor, répondit l'écolier. Ah! don Pedre, répliqua l'inconnue, en faisant paraître une extrême surprise, vous vous méprenez sans

doute; vous n'êtes point sûr de ce que vous dites. Est-ce en effet Eugénie, la sœur de Belflor, qu'on vous a proposée ?

Oui, madame, repartit don Pedre, le comte lui-même m'a offert sa main. Hé quoi ! s'écriat-elle, il serait possible que vous fussiez ce cavalier à qui mon frère me destine ? Qu'entendsje! s'écria l'écolier à son tour, la sœur du comte de Belflor serait mon inconnue! Oui, don Pedre, repartie Eugénie ; mais peu s'en faut que je ne croie plus l'être en ce moment, tant j'ai de peine à me persuader du bonheur dont yous m'assurez.

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A ces mots, don Pedre lui embrassa les genoux, ensuite il lui prit une de ses mains, qu'il baisa avec tous les transports que peut sentir un amant qui passe subitement d'une extrême douleur à un excès de joie. Pendant qu'il s'abandonnait aux mouvements de son amour Eugénie, de son côté, lui faisait mille caresses, qu'elle accompagnait de mille paroles tendres et flatteuses. Que mon frère, disait-elle, m'eût épargné de peines s'il m'eût nommé l'époux qu'il me destine! Que j'avais déjà conçu d'aversion pour cet époux! Ah! mon cher don Pedre, que je vous ai haï! Belle Eugénie, ré– pondait-il, que cette haine a de charmes pour

moi! Je veux la mériter en vous adorant toute ma vie.

Après que ces deux amants se furent donné toutes les marques les plus touchantes d'une tendresse mutuelle, Eugénie voulut savoir comment l'écolier avait pu gagner l'amitié de son frère. Don Pedre ne lui cacha point les amours du comte et de sa sœur, et lui raconta tout ce qui s'était passé la nuit dernière. Ce fut pour elle un surcroît de plaisir d'apprendre que son frère devait épouser la sœur de son amant. Dona Juana prenait trop de part au sort de son amie pour n'être pas sensible à cet heureux évènement : elle lui en témoigna sa joie, aussi bien qu'à don Pedre, qui se sépara enfin d'Eugénie, après être convenu avec elle qu'ils ne feraient pas semblant tous deux de se connaître quand ils se verraient devant le comte.

Don Pedre s'en retourna chez son père, qui, le trouvant disposé à lui obéir, en fut d'autant *plus réjoui, qu'il attribua son obéissance à la manière ferme dont il lui avait parlé la nuit. Ils attendaient des nouvelles de Belflor, lorsqu'ils reçurent un billet de sa part. Il leur mandait qu'il venait d'obtenir l'agrément du roi pour son mariage et pour celui de sa sœur, avec une charge considérable pour don Pedre; que

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dès le lendemain ces deux mariages se pourraient faire, parce que les ordres qu'il avait donnés pour cela s'exécutaient avec tant de diligence, que les préparatifs étaient déjà fort avancés. Il vint l'après-diné confirmer ce qu'il leur avait écrit et leur présenter Eugénie.

Don Luis fit à cette dame toutes les caresses imaginables, et Léonor ne se lassait point de l'embrasser. Pour don Pedre, de quelques mouvements d'amour et de joie qu'il fût agité, il se contraignit assez pour ne pas donner au comte le moindre soupçon de leur intelligence.

Comme Belflor s'attachait particulièrement à observer sa sœur, il crut remarquer, malgré la contrainte qu'elle s'imposait, que don Pedre ne lui déplaisait pas. Pour en être plus assuré, il la prit un moment en particulier, et lui fit avouer qu'elle trouvait le cavalier fort à son gré. Il lui apprit ensuite son nom et sa naissance, ce qu'il n'avait pas voulu lui dire auparavant, de peur que l'inégalité des conditions ne le prévint contre lui; ce qu'elle feignit d'entendre comme si elle l'eût ignoré.

Enfin, après beaucoup de compliments de part et d'autre, il fut résolu que les noces se feraient chez don Luis. Elles ont été faites ce soir, et ne sont point encore achevées ; voilà

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