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l'abfolution à quiconque balançoit entre la patrie & les ennemis. Un hermite fe mit à la tête des milices qu'il encourageoit par fon enthousiasme, en leur parlant, & par fon exemple, en combattant. Il fut tué dans un de ces petits combats qui fe donnoient, tous les jours, pour chaffer les ennemis de leurs poftes, & mourut en exhortant les Génois à fe défendre. Les dames Génoises, semblables à celles de l'ancienne Rome, mirent en gage leurs pierreries chez les Juifs, pour fubvenir aux frais des ouvrages néceffaires. Enfin la cour de Vienne, défefpérant du fuccès de fes tentatives, confentit à la paix. Les ennemis fe retirerent; & les Génois conferverent une liberté d'autant plus précieufe, qu'ils l'avoient recouvrée par leur valeur.

6. Xerxès, roi des Perfes, étant entré dans la Grèce avec fa formidable armée, s'avançoit dans la Phocide, brûlant & faccageant toutes les villes qu'il rencontroit fur fa route. Les peuples du Péloponnèse, ne fongeant qu'à fauver leur pays, avoient réfolu d'abandonner tout le refte, & d'aflembler toutes les forces de la Grèce au-dedans de l'ifthme, qu'on prétendoit fermer d'une groffe muraille, depuis une mer jufqu'à l'autre. Cet efpace étoit de près de deux lieues. Les Athéniens, irrités d'une fi lâche défertion, fe voyoient tout près de tomber entre les mains des Perfes, & de porter tout le poids de leur colere & de leur vengeance. Ils avoient confulté, quelque tems auparavant, l'oracle de Delphes, qui leur avoit répondu que la ville ne trouveroit fon falut que dans des murs de bois. Cette expreffion ambiguë partagea les efprits. Quelques-uns l'interprétoient de la citadelle, parce qu'autrefois elle avoit été environnée de paliffades de bois. Thémistocle lui donnoit un autre fens bien plus naturel, l'entendant des vaiffeaux, & montroit que le feul parti qu'ils euffent à prendre étoit d'abandonner leur ville, & de s'embarquer. Mais c'est à quoi le peuple ne vouloit nullement entendre, comme ne fe fouciant plus de vaincre, & ne voyant aucun moyen de fe fauver, après avoir abandonné les temples de leurs dieux & les tombeaux de leurs ancêtres. Themistocle eut ici besoin de toute

fon adreffe & de toute fon éloquence pour ébranler le peuple. Après leur avoir représenté qu'Athènes ne confiftoit ni dans les murs, ni dans les maisons, mais dans les citoyens, & que conferver ceux-ci c'étoit fauver la ville, il chercha à les toucher par le motif le plus capable de faire impreffion fur eux, dans l'état de malheur, d'affliction & de danger où ils étoient, celui de l'autorité divine; leur faifant entendre, par les paroles même de l'oracle, que la volonté des dieux étoit qu'ils s'éloignaffent d'Athènes pour un tems. On fit un décret par lequel, , pour adoucir ce qu'il y avoit de dur dans la résolution d'abandonner la ville, il étoit ordonné : « Qu'on mettroit Athènes en dépôt entre les mains & fous la fauve-garde de Minerve, patrone de la répu→→ blique; que tous ceux qui étoient en état de porter les armes monteroient fur les vaiffeaux, & que chacun pourvoiroit, comme il pourroit, au falut & à la sûreté de fa femme, de ses enfans & de fes esclaves. »

Une démarche finguliere de Cimon, encore jeune pour lors, fut d'un grand poids dans cette occafion. On le vit, fuivi de fes camarades, & avec un vifage gai, monter à la citadelle, pour y confacrer, dans le temple de Minerve, un mors de bride qu'il portoit à la main; voulant faire entendre, par cette cérémonie religieufe & frappante, qu'il n'étoit plus queftion de troupes de terre, & qu'il falloit fe tourner du côté de la mer. Après avoir fait l'offrande de ce mors, il prit un des boucliers qui étoient appendus aux parois du temple; fit fes prieres à la déeffe; defcendit fur le rivage, & fut le premier qui, par fon exemple, infpira la confiance à la plupart des autres, & leur donna le courage de s'embarquer.

Le plus grand nombre firent paffer leurs peres & leurs meres qui étoient âgés, avec leurs femmes & leurs enfans, dans la ville de Trézène, dont les habitans les reçurent avec beaucoup de générofité & d'humanité; car ils firent ordonner qu'ils feroient nourris aux dépens du public, & leur affignerent à chacun deux oboles par jour, qui valoient à-peu-près trois fols & demi de notre monnoie. Ils permirent, outre cela,

aux

aux enfans de prendre des fruits par-tout, & établirent encore un fonds pour le paiement des maîtres qui les inftruiroient. Quand toute la ville vint à s'embarquer, ce fpectacle, le plus trifte & le plus touchant qui fût jamais, tiroit les larmes des yeux de tous les affiftans & excitoit en même tems des fentimens d'admiration pour la fermeté & le courage de ces hommes qui envoyoient ailleurs leurs peres & leurs meres, & qui, fans être ébranlés par leurs gémiffemens, ni par les tendres embraffemens de leurs enfans & de leurs femmes, abandonnoient généreusement leur patrie, pour la défendre. Mais ce qui augmentoit infiniment la compaffion, étoit un grand nombre de vieillards qu'on étoit forcé de laiffer dans la ville, à caufe de leur âge & de leur foibleffe, & dont plufieurs même voulurent y refter, par un motif de religion, entendant de la citadelle ce que l'oracle avoit dit des murailles de bois,

Cependant Xerxès s'avançoit vers Athènes abandonnée de ses citoyens. Cette ville fut prife fans réfiftance. Le petit nombre de citoyens qui s'étoient retirés dans la citadelle s'y défendirent jufqu'à la mort, avec un courage incroyable, fans vouloir entendre à aucufi accommodement. La flamme & le fer furent les inftrumens de la vengeance du monarque qui ne fit de cette fameufe cité qu'un monceau de cendres & de débris.

7. Jamais on ne vit mieux qu'à Sparte combien l'amour de la patrie a d'empire fur les belles ames. Hommes, femmes, enfans, vieillards, tous les âges, toutes les conditions fe difputoient la gloire de lui faire les plus grands facrifices; & les deux fexes, également animés d'un beau zèle, fe dévouoient fans referve au falut, au bonheur, à la gloire de l'Etat. Voici plusieurs traits que l'Hiftoire a confacrés, & qui feront connoître le génie patriotique de ces républicains fameux.

Une mere de Lacédémone, armant fon fils pour un combat, & lui remettant fon bouclier: « Rapportes-le, » dit-elle, ou qu'on te rapporte deffus. »

Une autre, voyant fon fils qui revenoit de la guerre, lui demanda des nouvelles. « Tous mes compagnons

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» font morts, lui dit-il. » Cette mere indignée lui jetta D. d'Educ. T. I、

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auffi-tôt une tuile, & le tua, en lui difant : « C'est done » toi, malheureux, qu'ils ont envoyé nous annoncer » ces difgraces? >>

Une autre, apprenant qu'un de fes fils étoit mort glorieufement dans le combat : « Je ne m'en étonne " pas, dit-elle; c'étoit mon enfant. » Apprenant enfufte que l'autre avoit fui lâchement: « Il n'étoit donc » pas mon fils,» s'écria vivement cette généreufe mere. Une autre, ayant appris que fon fils s'étoit fauvé du combat, lui écrivit : « Il se répand un bruit injurieux à » ton honneur; fais-le taire, ou meurs. »

Une autre, entendant fon fils raconter la mort glorieufe de fon frere qui avoit été tué en combattant vaillamment: « Malheureux ! lui dit-elle, pourquoi donc » ne l'as-tu pas accompagné? »

Une autre avoit cinq fils à l'armée, & attendoit des nouvelles de la bataille. Elle en demande en tremblant à un Ilote qui revenoit du camp. « Vos cinq fils ont été » tués, lui dit-il.--- Vil efclave, reprit-elle, eft-ce là ce » que je demande? --- Nous avons gagné la victoire, » replique l'Ilote. La mere court au temple, & rend graces aux Dieux.

Une autre voyant, au fiége d'une ville, fon fils aîné, qu'elle avoit placé dans un pofte, tomber mort à ses pieds: « Qu'on appelle fon frere pour le remplacer, » s'écria-t-elle auffi-tôt.

Lorsqu'on vint annoncer à Lacédémone la perte de la fameuse bataille de Leutres, la ville célébroit une grande fête. Elle étoit pleine d'étrangers que la curiofité y avoit attirés. Les choeurs de jeunes garçons & de jeunes filles combattoient tout nuds en plein théatre. Dans ce moment, les couriers arriverent de Leuctres. Il eft remarquable qu'une fi trifte nouvelle n'interrompit point les jeux, & ne fit point changer l'appareil de la fête. On envoya feulement, dans toutes les maisons, aux parens les noms des morts qui leur appartenoient. Le lendemain matin, chacun fçachant déja tous ceux qui s'étoient sauvés ou qui étoient morts, des peres & les parens de ceux qui avoient été tués, s'étant rendus à la place publique, fe faluoient & s'em

braffoient les uns & les autres avec un vifage content; au lieu que les peres & les parens de ceux qui étoient échappés au fer de l'ennemi fe tenoient cachés dans leurs maifons, comme dans un deuil. Si quelqu'un d'eux étoit forcé de fortir pour les affaires, il paroiffoit avec une figure, une voix & un regard qui marquoient fa trifteffe & fon abbatement ; &, dans le malheur com→ mun de la patrie, il rougiffoit d'avoir un sujet de joie domeftique.

Un Lacédémonien appellé Padarète, n'ayant pu être reçu au nombre des trois cens qui compofoient le fénat de Sparte: « Dieux tout-puiffans! s'écria-t-il, en répandant des larmes de joie, » graces vous foient ren» dues de ce que ma patrie a trois cens citoyens qui »valent mieux que moi!»

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8. Alexandre, roi de Macédoine, fut chargé par Mardonius, général de Xerxès, roi de Perfe, de faire tous fes efforts pour engager les Athéniens à se déclarer pour lui contre le reste de la Grèce, & d'offrir à cette république les plus grands avantages. Les Lacédémoniens, fur le premier bruit de cette négociation, envoyerent des députés à Athènes, pour en détourner l'effet. Ariftide étoit alors à la tête des Archontes. » Sçachez, dit ce grand homme au roi de Macédoine, en lui montrant le foleil; » fçachez que, tant que cet » aftre continuera fa course, les Athéniens feront mor»tels ennemis des Perfes & qu'ils ne cefferont de »venger fur eux le ravage de leurs terres, & l'incendie » de leurs maisons & de leurs temples. Ainfi, Prince, » fi vous voulez être véritablement notre ami, ne nous » faites plus déformais de semblables propofitions. Pour » vous, feigneurs Spartiates, vous aviez donc une bien » petite idée du courage Athénien, & de notre amour pour la patrie? Quoi! vous venez nous supplier de » l'aimer, nous qui avons tout facrifié pour elle ! Ap» prenez du moins à nous connoître par ce qui fe palle » aujourd'hui, & n'oubliez pas que, dans cette ville, » la Grèce trouvera toujours fes plus zélés défenfeurs. » Ariftide ne fe contenta pas d'une déclaration fi forte & fi précife. Pour infpirer encore plus d'horreur de fem

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