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tout par rapport au second article. Il avoit à Rome fa femme & fes enfans, grand nombre de parens & d'a mis dans le fénat: fon coufin-germain étoit revêtu de la dignité de Conful. On avoit lieu de préfumer que le defir de fe retirer du trifte état où il languiffoit depuis plufieurs années, de rentrer dans fa famille qui lui étoit fort chere, & d'être rétabli dans une patrie où il étoit généralement eftimé & refpecté, le porteroit infailliblement à appuyer la demande des Carthaginois. On le preffa donc de fe joindre aux ambassadeurs dans le voyage qu'ils fe préparoient à faire. Il ne crut pas devoir le refuser à cette demande. La fuite fera connoître quels étoient fes motifs. Avant de partir, on lui fit prê ter ferment, qu'en cas qu'il ne réufsît point dans fes demandes, il reviendroit à Carthage: on lui fit même entendre que fa vie dépendoit du fuccès de fa négociation. Quand ils furent près de Rome, Régulus refufa d'y entrer, alléguant pour raifon que la coutume des ancêtres étoit de ne donner audience aux ambaffadeurs des ennemis que hors de la ville. Le fénat s'y étant af femblé, les députés de Carthage, après avoir expofe le fujet de leur ambaffade, fe retirerent. Régulus vouloit les fuivre, quoique les fénateurs le priaffent de refter; & il ne fe rendit à leurs prieres qu'après que les Carthaginois, dont il fe regardoit comme l'esclave, le lui eurent permis. Il ne paroît pas qu'on fit mention de ce qui regardoit la paix. La délibération ne roula que fur ce qui concernoit les prifonniers. Régulus, invité par la compagnie à dire fon avis, répondit qu'il ne pouvoit le faire, comme fénateur, ayant perdu cette glorieuse qualité, auffi-bien que celle de citoyen Romain, depuis qu'il étoit tombé entre les mains des ennemis ; mais il ne refufa pas de dire, comme particulier, ce qu'il penfoit. La conjoncture étoit délicate. Tout le monde étoit touché du malheur d'un si grand homme. Il n'avoit qu'à prononcer un mot pour recouvrer, avec fa liberté, fes biens, fes dignités, fa femme, fes enfans, fa patrie; mais ce mot lui paroiffoit contraire à l'honneur & au bien de l'Etat. Il ne fut attentif qu'aux fentimens que lui infpiroient la force & la grandeur

d'ame. Il déclara donc nettement qu'on ne devoit point fonger à faire l'échange des prifonniers ; qu'un tel exemple auroit des fuites funeftes à la République; que des citoyens, qui avoient été affez lâches pour livrer leurs armes à l'ennemi, étoient indignes de compaffion, & incapables de fervir leur patrie; que, pour lui, à l'âge où il étoit, on devoit compter que le perdre, c'étoit ne rien perdre; au lieu qu'ils avoient entre leurs mains plufieurs généraux Carthaginois dans la vigueur de l'âge, & en état de rendre encore à leur patrie de grands fervices, pendant plufieurs années. Ce ne fut pas fans peine que le fénat se rendit à un avis qui devoit coûter fi cher à son généreux auteur, & qui étoit fans exemple dans le cas où fe trouvoit Régulus. Cet illuftre captif partit de Rome pour retourner à Carthage, fans être touché ni de la vive douleur de fes amis, ni des larmes de fa femme & de fes enfans, mais avec la tranquillité d'un magiftrat qui, libre enfin de toute affaire, part pour fa maison de campagne. Cependant il n'ignoroit pas à quels fupplices il étoit réfervé. En effet, dès que les ennemis le virent de retour, fans avoir obtenu l'échange, & qu'ils fçurent qu'il s'y étoit même oppofé, leur barbare cruauté imagina des fupplices inouïs, & arma la main des bourreaux. Ils le tenoient long-tems refferré dans un noir cachot, d'où, après lui avoir coupé les paupières, ils le faifoient fortir tout-à-coup pour l'expofer au foleil le plus vif & le plus ardent. Ils l'enfermerent enfuite dans une espece de coffre, tout hériffé de pointes qui ne lui laiffoient aucun moment de repos ni jour ni nuit. Enfin, après l'avoir ainfi tourmenté par d'exceffives douleurs & une cruelle infomnie, ils l'attacherent à une croix, pour lui arracher le reste de vie que lui laiffoient encore ces horribles fouffrances.

15. Après avoir établi à Lacédémone les loix les plus fages & les plus utiles à l'Etat, Lycurgue affembla le peuple, & lui fit entendre qu'il lui reftoit encore un point, le plus important & le plus effentiel de tous, fur lequel il vouloit confulter l'oracle d'Apollon; &, en

attendant, il les fit tous jurer qu'ils obferveroient inviolablement fes loix jufqu'à fon retour. Quand il fut arrivé à Delphes, il confulta le Dieu, pour fçavoir fi fon ouvrage étoit bon & fuffifant pour rendre les Spartiates heureux & vertueux? La prêtreffe lui répondit qu'il ne manquoit rien à fes loix, & que, tant que Sparte y feroit attachée, elle jouiroit d'un bonheur parfait, & deviendroit la plus glorieuse ville du monde. Alors ce grand légiflateur, perfuadé que la mort même des hommes d'Etat ne doit pas être oifive ni inutile à la République, mais une fuite de leur ministere, une de leurs plus importantes actions, & celle qui doit couronner toutes les autres, après avoir tout fait pour fa patrie, voulut encore lui facrifier les années de la vieilleffe. Croyant fon miniftere consommé, & voulant obliger fes citoyens à garder toujours fes ordonnances, il leur envoya la réponse de l'Oracle, & mourut volontairement à Delphes, en s'abstenant de manger.

16. Il s'étoit élevé une grande difpute entre Cyrène, ville puiffante, & Carthage, au fujet des limites. On convint, de part & d'autre, que deux jeunes gens partiroient en même tems de chacune des deux villes, & que le lieu où ils fe rencontreroient ferviroit de borne aux deux Etats. Les Carthaginois, ( c'étoient deux freres nommés Philènes,) firent plus de diligence: les autres, prétendant qu'il y avoit de la mauvaise foi, & qu'ils étoient partis avant l'heure marquée, refuferent de s'en tenir à l'accord, à moins que les deux freres, pour écarter tout foupçon de fupercherie, ne confentiffent à être enfevelis tout vivans dans l'endroit même où s'étoit fait la rencontre. Ces deux citoyens géréreux, préférant la grandeur & la gloire de leur patrie à la confervation de leurs jours, accepterent avec joie la propofition, & fe laifferent enfouir dans cette efpece de tombeau. Les Carthaginois y éleverent en leur nom deux autels, & leur rendirent chez eux les honneurs divins.

17. Les Lacédémoniens ayant fait mourir les ambaffadeurs du roi de Perfe, l'oracle lur annonça les plus grands malheurs, s'ils n'expioient promptement

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ce crime. Deux braves Spartiates, Buris & Spartis, fe dévouerent pour le falut commun. Ils allerent d'euxmêmes fe livrer à Xerxès, pour qu'il vengeât fur eux le meurtre de ses ambaffadeurs. Le Monarque admira leur courage; &, loin de leur faire aucun mal, il les pria de refter à fa cour; mais les deux Lacédémoniens lui répondirent: « Pourrions-nous vivre hors de no» tre patrie, nous qui voulions mourir pour elle?»

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18. Les Athéniens, vers l'an 1071 avant J. C. étoient en guerre avec les Héraclides qui s'étoient rendus maîtres du Péloponnèse. L'Oracle annonça que les Athéniens feroient vainqueurs, fi leur Roi étoit tué par les ennemis. Les Péloponnéfiens, l'ayant fçu, convinrent entr'eux de ne porter aucun coup à Codrus, alors roi d'Athènes; mais Codrus, plein d'amour pour fa patrie, imagine un moyen de se faire tuer avec autant d'adrefle que d'autres en emploient pour fauver leur vie. Sur le foir, il fe déguife en bûcheron, & va couper du bois dans une forêt voifine; des Péloponnéfiens y viennent auffi pour le même fujet. Codrus leur cherche querelle; des paroles, on en vient aux coups, suivant l'ufage: il en bleffe un avec fa coignée; les compagnons du bleffé veulent le venger, & fe jettent fur l'aggreffeur: Codrus eft maffacré. Les Athéniens vinrent auffitôt demander, avec des cris de joie, le corps de leur Monarque; & les Péloponnéfiens, apprenant que c'étoit Codrus qu'ils avoient tué, prirent la fuite, & s'avouerent vaincus.

19. A la bataille de Veferis contre les Latins, le conful Décius - Mus, remarquant que les Romains plioient, & que le trouble fe mettoit dans l'armée, prit la généreufe réfolution de fe dévouer pour la gloire & la confervation de fa patrie. Il appella à haute voix le pontife, qui lui fit pratiquer les cérémonies ufitées dans les dévouemers, & prononça contre les ennemis & contre lui-même les imprécations ordinaires. Enfuite il ordonna à fes Licteurs de fe retirer vers Manlius fon collégue, & d'aller lui annoncer qu'il s'eft dévoué pour le falut de la République; puis il faute tout armé fur fon cheval, & fe jette, tête baiffée, au milieu des D. d'Educ. T. I.

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ennemis. Il parut aux deux armées avec un air & une preftance au-deffus de l'humain, comme étant envoyé du ciel pour appaifer la colere des Dieux contre les fiens, & la faire tomber fur les ennemis. La terreur & la confternation fembloient marcher devant lui. Partout où il fe montroit, les Latins, comme frappés de la foudre, étoient auffi-tôt faifis de frayeur. Enfin, accablé de traits, il tomba mort. Dans ce moment, le trouble & le défordre redoublerent parmi les ennemis. La mort du Général, qui d'ordinaire eft un fujet de découragement pour les foldats, infpira aux Romains une nouvelle valeur. Ils firent un carnage horrible des Latins, & remporterent une victoire complette.

20. Les Athéniens affiégeoient la ville de Thafe dans la mer Egée. Les habitans étoient réduits à la plus affreufe famine; mais perfonne n'ofoit propofer de se rendre; car il y avoit une loi qui défendoit, fous peine de mort, de propofer aucun traité avec les Athéniens. Hégétoridès, citoyen refpectable par fa naiffance & par fes vertus, touché des maux de fa patrie, réfolut de fe facrifier pour elle. Il vint dans l'affemblée du peuple avec une corde au col: « Citoyens, dit-il, je » n'ignore pas le fort qui m'attend; mais je me croirai » heureux de pouvoir acheter, par ma mort, votre » conservation. Je vous confeille donc de faire la paix » avec les Athéniens. » Les Thafiens admirerent sa générosité; &, loin de le punir, ils abrogerent la loi qu'ils avoient faite.

21. Un Chinois, juftement irrité des vexations des Grands, fe préfenta à l'Empereur, & lui porta fes plaintes. « Je viens, dit-il, m'offrir au fupplice auquel

de pareilles représentations ont fait traîner fix cents » de mes compatriotes, & je t'avertis de te préparer à » de nouvelles exécutions. La Chine poffede encore » dix-huit mille bons patriotes qui, pour la même cause, » viendront fucceffivement te demander le même fa»laire.» La cruauté de l'Empereur ne put tenir contre cette héroïque fermeté. Il accorda à cet homme vertueux la récompenfe qui le flatoit le plus, la punition des coupables, & la fuppreffion des impôts.

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