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feint de la remettre dans le coffre, & la garde. Quel que tems après, il a befoin de recourir de nouveau à la libéralité de Spiridion. « Prenez, mon ami, prenez, » lui dit le prélat. Le fourbe, qui fe flatoit déja d'une nouvelle infidélité, court au coffre; mais il le trouve vuide. Etonné, il en inftruit l'évêque. « Cela me fur» prend, répond Spiridion. Vous êtes le premier qui » n'ayez rien trouvé dans ce coffre. Il faut, mon frere, » que vous n'ayez point rapporté ce que vous avez » pris la derniere fois; & cet accident est un effet de » la juftice de Dieu qui punit votre avarice. » Ces paroles furent un coup de foudre. Le coupable, couvert de confufion, fit l'aveu de fa faute. Le bon prélat, touché de fes larmes, lui abandonna cette fomme, & l'exhorta vivement à être, dans la fuite, moins attaché aux richeffes.

2. S. Grégoire, évêque de Conftantinople, que fa haute vertu, ni la faveur de Théodofe le Grand ne mettoient pas à l'abri de l'infolence des hérétiques, réfolut de renoncer à l'épiscopat; mais les vives inftances de fon peuple l'obligerent de différer l'exécution de ce projet. L'Empereur, qui vouloit concilier tous les partis, & rendre la paix à l'Eglife, convoqua un concile à Conftantinople. Ce fut pour Grégoire l'occafion qu'il defiroit depuis fi long-tems. Les évêques d'Occident étoient prévenus contre fon ordination. Ils réclamoient l'autorité des Canons contre un prélat qui, déja évêque de deux fiéges; difoient-ils, étoit venu s'emparer encore de celui de Conftantinople. Saint Grégoire n'eût pas été embarraffé de fe défendre, s'il eût fouhaité de gagner fa caufe. Mais, indifférent pour les dignités, il faifit avec empreffement cette occafion de fe dépouiller de celle dont il étoit revêtu; &, après avoir déclaré que, pour calmer la tempête, il fubiffoit avec joie le fort de Jonas, il abdiqua l'épifcopat en plein concile. La plûpart des prélats accepterent, fans délibérer, la démiffion de cet homine divin, dont l'éloquence excitoit leur jalousie, & dont l'austérité condamnoit leur luxe. Cependant il falloit encore le confentement de Théodofe; & c'étoit

le plus grand obftacle. Grégoire alla au palais; &, s'approchant de l'Empereur, qu'il trouva environné d'une cour nombreuse & brillante : « Prince, lui dit-il, » je viens vous demander une grace; vous aimez à en accorder. Ce n'eft pas de l'or pour mon ufage, ni » des ornemens pour mon église; ce ne font pas non "plus des gouvernemens ni des emplois pour quel» qu'un de mes proches. Je laiffe ces faveurs à ceux » qui ne recherchent que ce qui eft de nul prix. Mon » ambition s'eft toujours élevée au-deflus des chofes » de la terie. Je ne defire de votre bonté que la per» miffion de céder à l'envie. Je refpecte le thrône épif» copal; mais je ne veux le voir que de loin. Je fuis las "de me rendre odieux à mes amis même, parce que » je ne cherche qu'à plaire à Dieu. Rétabliffez entre les

évêques cette concorde fi précieuse: qu'ils terminent » enfin leurs débats, fi ce n'est par la crainte de la juf»tice divine, du moins par complaifance pour l'Em» pereur. Vainqueur des Barbares, remportez encore » cette victoire fur l'ennemi de l'Eglife. Vous voyez » mes cheveux blancs & mes infirmités. J'ai épuifé au » service de Dieu ce qu'il m'avoit donné de forces. » Vous le fçavez, Prince; c'eft contre mon gré que » vous m'avez chargé du fardeau fous lequel je fuc»combe: permettez-moi de le mettre à vos pieds, & » d'achever en liberté ce qui me refte d'une longue & » pénible carrière. » Ces paroles affligerent fenfiblement l'Empereur. Mais la demande étoit auffi jufte que fincere. Il confentit à regret; & le faint prélat, après avoir dit adieu à fon peuple, par un discours plein d'une tendresse noble & chrétienne, qu'il prononça, dans la grande église de Conftantinople, en préfence des évêques du concile, alla terminer le cours d'une vie pénitente & laborieufe dans fa chere folitude, après laquelle il n'avoit ceffé de foupirer.

3. Un faint abbé, nommé Ammonius, joignant la fcience la plus profonde avec la piété la plus éminente, fut demandé pour évêque par les habitans d'une ville, qui vinrent trouver le faint évêque Timothée, & le prierent de vouloir bien lui conférer l'onction épifco

pale. « Amenez-le moi, leur dit Timothée, & je l'of » donnerai. » Ils allerent donc en foule pour le prendre; mais il prit la fuite. On l'atteignit pourtant; &, comme on vouloit le faifir, malgré fes prieres, il fe coupa l'oreille gauche, & leur dit : « Vous voyez » maintenant que je ne puis devenir ce que vous vou»lez que je fois par force, puifque la loi défend que » celui qui a les oreilles coupées foit élevé au facer"doce." Etonnés de cette conduite, ils retournerent auffi-tôt vers Timothée, & lui raconterent l'action d'Ammonius, & le prétexte fur lequel il fondoit fon refus. «Que cette loi, répondit Timothée, foit en usage chez les Juifs, à la bonne heure! mais pour » moi, quand vous m'ameneriez un homme qui auroit » le nez coupé, pourvu qu'il fût de bonnes mœurs, je l'ordonnerois. » Ils allerent donc réitérer leurs inftances auprès d'Ammonius; mais, ne pouvant rien gagner fur lui, ils réfolurent d'employer la violence. Ce faint abbé, usant alors du ferment, leur dit : « Si vous »me contraignez davantage, je me couperai la lan»gue. Cette menace les intimida. Pleins d'admiration pour fa vertu, & pour cet héroïque défintéressement, ils fe retirerent en fe recommandant à ses prieres.

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4. Albornos, archevêque de Tolède, donna la dé- miffion de ce riche archevêché auffi-tôt qu'il fut cardinal. Il dit à ceux qui paroiffoient furpris de fa conduite: » Je ferois très-blamable de garder une époufe que je » ne puis fervir. »

5. Agis IV, roi de Lacédémone, auroit pu vivre, comme la plupart des monarques, dans l'opulence & dans les délices; mais il méprifa l'un & l'autre. Plein d'un noble défintéreffement, entiérement détaché des richeffes, loin d'augmenter fes biens, il voulut rétablir l'égalité que les loix de Lycurgue avoient mise entre tous les citoyens. Il en donna le premier l'exemple; mit tout ce qu'il poffédoit en commun, & defcendit au niveau des autres.

6. Un Lacédémonien nommé Timandrides, partant pour un voyage, abandonna le gouvernement de fa maifon & de fes biens à son fils. De retour, ayant re

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tonnu que, par fon œconomie, il avoit augmenté fon héritage, il lui dit fort en colere : « Malheureux ! as-tu » pu commettre une pareille injuftice contre les dieux, » tes proches, tes amis, tes hôtes, & les pauvres? Et » ne devois-tu pas te contenter de prendre fur cès » biens, vils objets de ton avarice, ce qu'il te falloit » pour vivre, fans priver les miférables du fuperflu qui » leur appartient? » Il le deshérita.

7. Le maréchal de Boucicaut ne laissa qu'un fils âgé de trois ou quatre ans, qui fut depuis maréchal de France, & gouverneur de Gènes. Če grand homme ne s'étoit pas foucié d'accumuler de grands biens fur la tête de cet héritier de fon nom & de fa gloire : indifférent pour les richesses, il n'avoit fongé qu'à lui laiffer de grands modèles de vertu. Ses amis le blâmerent un jour de n'avoir point profité de la faveur du roi Jean, fon maître. « Je n'ai rien vendu de l'héritage de mes » peres, leur répondit-il; & je n'y ai rien non plus » augmenté. Si mon fils eft homme de bien, il aura » aflez: mais, s'il ne vaut rien, il aura trop; & ce » fera grand dommage. »

8. Les députés d'une ville rebelle, pour calmer la .colere du comte de Ligny, qui se disposoit à les traiter avec la derniere févérité, lui présenterent un service de vaiffelle d'argent, du poids de trois cens marcs; mais le Comte ne voulut point le prendre pour lui; &, fe tournant vers le chevalier Bayard, dont la rare valeur avoit fait profpérer toutes fes entreprifes en Italie: «< Che»valier, lui dit-il, voilà ce que je vous donne. » Bayard remercia très-respectueufement le Général, & le refufa, en ajoûtant : « Je craindrois, Monseigneur, que ce riche » don ne me communiquât quelque chofe de l'infidélité » de ceux qui vous l'ont offert ; » &, prenant cette argenterie, il la diftribua toute à ceux qui fe trouverent auprès de lui.

9. Le maréchal de Fabert étoit fi peu attaché aux richeffes, qu'il facrifioit généreusement tout fon bien au fervice du Roi. Il faifoit, en beaucoup d'occafions, travailler les foldats, & élever des fortifications à ses dépens. Lorfque fon épouse, ou fes plus intimes amis

lui représentoient que, par ces dépenses, il ôtoit à fa famille un bien qu'il étoit obligé de lui conserver, il répondoit: « Si, pour empêcher qu'une place, que le "Roi m'auroit confiée, ne tombât au pouvoir des en» nemis, il falloit mettre à une brèche, que je verrois » faite, ma perfonne, ma famille, tout ce que je pos» fede, je ne balancerois point à le faire. »

10. Henri II, pour connoître les difpofitions de fon fils Charles IX, fit, un jour, apporter devant lui une couronne toute couverte de diamans, & un cafque de fer. Il lui demanda lequel il aimoit le mieux, ou d'être couronné roi, ou d'être armé chevalier? « Monfei»gneur, répondit auffi-tôt le jeune Prince, donnez» moi le cafque, & gardez votre couronne, » Voyez DESINTÉRESSEMENT. HUMILITÉ.

ABSTINENCE.

1.E prince de Conti, frere du grand Condé, fe refufoit aux goûts les plus innocens, à la curiofité même des peintures, où fes infirmités auroient pu trouver un délaffement; &, fur les inftances que lui faifoit la Princeffe fon époufe, toujours attentive à foulager l'ennui de ses maux, il répondoit : « En fe livrant à un goût, » on s'accoutume à se livrer à tous les autres. Il faut fça» voir ou ne pas tout defirer, ou fe paffer fouvent de » ce qu'on defire. »

2. Un jour, on envoya à S. Macaire d'Alexandrie un panier de fort beau raifin qui tenta fon appétit. Mais, fongeant en lui-même que, s'il fatisfaifoit ce defir innocent, cette facilité pourroit réveiller des paffions affoupies, plutôt qu'éteintes, il ne voulut point goûter de ce fruit délicieux, & l'envoya à un autre fo❤ hitaire que ce préfent tenta pareillement. Le folitaire fit comme Macaire; & tous les autres anachorètes auxquels le raifin fur porté fucceffivement, imiterent ces deux faints perfonnages, & ne voulurent point y toucher. Ce raifin paffa, de la forte, de main en main; & celui qui le reçut le dernier le fit porter à faint Ma

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