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tre auffi fon linge & celui de fa femme. Quand il avoit fait ufage de ces livres, on les reportoit; & on lui en donnoit de nouveaux. Marie de Reigesberg, fon épouse, s'étant apperçue que les gardes, ennuyés de ne trouver dans cette caiffe que des livres & du linge fale, ne la fouilloient plus, engagea Grotius à fe mettre dans la caiffe, à la place des livres. Il y confentit. Deux jours avant l'exécution de ce projet, elle le fit refter auprès de fon feu, dans un fauteuil, affublé d'un bonnet, & fit fort l'affligée de la maladie de fon mari. Au jour marqué pour venir prendre les livres, ayant fait mettre Grotius dans la caiffe, elle tint les rideaux de fon lit bien fermés, & recommanda à l'homme qui vint enlever le ballot de le faire le plus doucement qu'il pourroit. Il le charge avec beaucoup de peine fur fes épaules, & s'en va, jurant contre la pefanteur de fon fardeau. Marie prit alors les habits & le bonnet de Grotius, & fe mit auprès du feu, de crainte que le geolier n'entrât. Lorsqu'elle le crut en fûreté, elle alla elle-même avertir les gardes de l'évasion de fon mari, leur reprochant le peu de foin qu'ils prenoient de leurs prifonniers. On eut honte de lui faire un crime de cet innocent ftratagême; & on lui permit de rejoindre fon époux.

14. Un homme avoit un chien qu'il aimoit beaucoup, parce qu'il lui rendoit de grands fervices, & qu'il lui étoit fort attaché. Cet animal vint à mourir ; & fon maître en fut inconfolable. Pour foulager sa douleur, il l'inhuma, avec pompe, dans fon jardin, & convia, le foir, fes amis à un banquet, pendant lequel il leur fit l'oraifon funébre du défunt; & ainfi finirent fes obféques. Le lendemain, quelques gens malintentionnés allerent rapporter au Cadi, ou juge du lien, tout ce qui s'étoit paffé, le foir, & ajoûterent

la vérité du fait un détail de toutes les cérémonies funébres des Mufulmans qu'es difoient avoir été pratiquées aux funérailles de l'animal. Le Cadi, fort fcandalifé de cette action, envoya fes huiffiers fe faifir de l'accufé; &, après bien des réprimandes, il lui demanda s'il étoit du nombre de ces infidèles qui adoroient les

chiens,

chiens; puifqu'il avoit fait plus d'honneur au fien, que l'on n'en avoit rendu à celui des Sept Dormans, & à l'âne d'Ozaïr, ou d'Efdras. Le maître du chien lui répondit, fans s'émouvoir: « Seigneur, l'histoire de » mon chien feroit trop longue à vous raconter; mais, » ce qu'on ne vous a peut-être pas dit, c'eft qu'il a » fait un teftament; &, entr'autres chofes dont il a » difpofé, il vous a fait un legs de deux cents afpres » que je vous apporte de fa part.» A ces mots, le Cadi, agréablement furpris, fe tourna vers les huiffiers, & dit: « Voyez comme les gens de bien font » exposés à l'envie, & quels difcours on faifoit de cet » honnête homme !» Puis, s'adreffant à l'accufé, il lui dit: » Puifque vous n'avez pas fait les prieres pour le défunt, » je fuis d'avis que nous les commencions (4) ensemble.»

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15. Le Khalife Mahadi aimoit paffionnément la chaffe. Egaré de fa route, il entra chez un paysan, & lui demanda à boire. Celui-ci lui apporte une cruche de vin dont le Khalife but quelques coups. Mahadi lui demanda enfuite s'il le connoiffoit? « Non, ré"pondit l'Arabe. Je fuis un des principaux fei»gneurs de la cour du Khalife.» Il but enfuite un autre coup, & demanda encore au payfan s'il le connoiffoit? Celui-ci lui répondit qu'il venoit de lui dire qui il étoit. « Ce n'eft pas cela, reprit Mahadi, je fuis en» core plus grand que je ne vous l'ai dit. » Là-dessus, il but encore un coup, & répéta la premiere demande. L'Arabe, fatigué de cette queftion, lui repliqua qu'il venoit de s'expliquer lui-même à ce fujet. «Non, dit » le Prince, je ne vous ai pas tout appris; je fuis le » Khalife devant qui tout le monde fe profterne. « A ces paroles, l'Arabe, au lieu de fe profterner, prit la cruche avec précipitation, pour la reporter où il l'avoit prife. Le Khalife étonné, croyant qu'il n'emportoit ce vase, qu'à cause de sa présence, vouloit le raffurer contre la crainte d'avoir transgressé la loi du

(a) L'expreffion, dont fe fert ici le Juge, eft équivoque ca langue turque; elle fignifie également commencer des prieres a &ouvrir un fac d'argent.

D. d'Educ. T.I.

C

prophète Mahomet, qui défend le vin: «Oh! ce n'eft »point cela, répondit l'Arabe ; mais c'eft que, fi vous »buviez encore un coup, j'aurois peur que vous ne » fuffiez le Prophète ; & qu'enfin, à un dernier coup » vous ne prétendiffiez me faire accroire que vous êtes » le Dieu tout-puiffant. » Mahadi fentit toute l'adresse de cette réponse, & fit à l'ingénieux Arabe un préfent magnifique.

16. Quand les Perfes eurent été chaffés de la Grèce, les Athéniens, qui, pour leur réfifter, avoient abandonné leur patrie, y revinrent, avec leurs femmes & leurs enfans, & fongerent à rétablir cette ville que les Barbares avoient prefqu'entiérement détruite, & à l'environner de bonnes murailles pour la mettre hors d'infulte. Les Lacédémoniens, en ayant eu avis, entrerent en jaloufie, & commencerent à craindre qu'Athènes, déja trop puiffante fur mer, venant à fe fortifier de jour en jour, n'entreprît de leur faire la loi, & de leur enlever l'autorité & la prééminence qu'ils avoient toujours eue jufques-là dans la Grèce. Ils députerent donc vers les Athéniens, pour leur repréfenter que l'intérêt commun de la Grèce demandoit qu'on ne laiffat hors du Péloponnèfe aucune ville fortifiée, de peur qu'en cas d'une feconde irruption, elle ne fervit de place d'armes aux Perfes qui ne manqueroient pas de s'y établir, comme ils avoient fait auparavant à Thèbes, & qui de-là infesteroient tout le pays, & s'en rendroient bientôt maîtres. Thémistocle, qui, depuis la bataille de Salamine, avoit un grand crédit fur l'efprit de fes concitoyens, pénétra fans peine le véritable deffein des rivaux de fa patrie, quoiqu'ils le cachaffent, fous le prétexte fpécieux du bien public. Mais, comme ils étoient en état, en fe joignant aux Alliés, d'empêcher par la force l'ouvrage commencé, fi on leur donnoit une réponse abfolue & négative, il confeilla au fénat d'ufer d'adreffe auffi-bien qu'eux. La réponte fut donc qu'on enverroit des députés à Lacédémone, pour fatisfaire la République, fur les craintes & les foupçons qu'elle avoit. Il fe fit nommer parmi les députés, & avertit le fénat de ne pas faire partir

fes collégués avec lui, ni tous enfemble, afin de ga gner du tems, & d'avancer l'ouvrage. Tout fut exécuté, comme il l'avoit prefcrit. Il arriva le premier à Lacédémone; mais il laiffa paffer plufieurs jours, fans tendre vifite aux magiftrats & fans fe tranfporter au fénat; &, fur ce qu'on le preffoit de le faire, & qu'on lui demandoit les raifons d'un fi long délai, il répondit qu'il attendoit que tous fes collégues fuffent arrivés, pour se rendre conjointement avec eux dans le fénat, & témoigna beaucoup de furprise de ce qu'ils étoient fi long-tems à venir. Ils arrivoient fucceffivement les uns après les autres. Pendant tout ce tems-là, on preffoit extrêmement l'ouvrage à Athènes. Les femmes, les enfans, les étrangers, les efclaves, tous en un mot étoient occupés à ce travail; & l'on ne fe donnoit de repos, ni jour ni nuit. On ne l'ignoroit pas à Lacédémone, & l'on en fit de grandes plaintes à Thémistocle qui nia abfolument le fait, & preffa les Lacédémoniens d'envoyer à Athènes de nouveaux députés pour s'afsuter par eux-mêmes de ce qui en étoit, & de ne point s'arrêter à des bruits vagues & confus, qui n'avoient aucun fondement. Il fit donner avis fous main à Athènes d'y retenir les députés, jufqu'à leur retour, comme autant d'ôtages, craignanr, avec raifon, qu'on ne l'arrêtât lui & fes collègues à Lacédémone. Pour lors quand tous fes collegues furent arrivés, il demanda audience, & déciara, en plein fénat, qu'il étoit vrai que les Athéniens avoient réfolu d'environner & de fortifier leur ville de bonnes murailles; que l'ouvrage étoit prefque fini; qu'ils l'avoient jugé d'une néceffité abfolue, & pour leur propre fûreté, & pour le bien commun des Alliés; qu'après tout ce qui s'étoit paffé, on ne pouvoit pas les foupçonner de manquer de zèle pour l'intérêt commun; mais que, la condition de tous les Alliés devant être égale, il étoit jufte que les Athéniens puffent, comme tous les autres, pourvoir à leur propre fûreté par tous les moyens qu'ils jugeroient néceffaires; qu'ils l'avoient fait, & qu'ils étoient en état de défendre leur ville contre quiconque oferoit l'at taquer; qu'au refte, les Lacédémoniens avoient fort

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mauvaise grace de vouloir établir leur pouvoir, non fur leurs propres forces & leur courage, mais fur la foi bleffe de leurs Alliés. Ce difcours déplut beaucoup aux Lacédémoniens. Mais, foit par un sentiment d'eftime & de reconnoiffance pour les Athéniens qui avoient rendu de fi grands fervices à la patrie, foit par impuiffance de s'oppofer à leur entreprise, ils diffimulerent; & les députés, renvoyés de part & d'autre avec honneur, retournerent dans leur ville.

17. Adhad-Eddoulat, Sultan de Perse, ayant deffein de s'attirer l'eftime & la vénération des princes étrangers, & fur-tout de renouveller l'alliance que les anciens rois de Perse avoient faite avec les Empereurs Grecs, réfolut d'envoyer une ambaffade à Conftantinople. Il choifit, pour cet effet, un marchand, homme d'efprit, qui avoit beaucoup voyagé, & lui donna des inftructions fur ce qu'il devoit faire, avec plufieurs fortes de marchandifes rares & précieuses, qu'il tira de fon thréfor. Cet homme, étant arrivé à Conftantinople, fe préfenta, comme un marchand particulier, à l'empereur. Il gagna d'abord fes bonnes graces, par les riches préfens qu'il lui fit; & il acquit auffi, en peu de tems, par les mêmes voies, beaucoup de crédit auprès des plus grands de la cour. Après que notre marchand eut fait quelque féjour à Conftantinople, il demanda la permiffion de faire bâtir une maison. Il l'obtint; & on lui donna une place, où il n'y avoit alors qu'une mafure, pour en faire ce qu'il lui plairoit. Auffi-tôt qu'il en fut le maître, il y fit enterrer, bien avant en terre, un rouleau de parchemin, qui contenoit ce qu'il avoit projetté; &, après avoir laiffé couler un tems confidérable, il fit creufer les fondemens de fon bâtiment. Lorsqu'on fut arrivé à la profondeur de quelques toiles, on ne manqua pas de trouver le rouleau de parchemin; & les ouvriers le porterent auffi-tôt à la cour, ne doutant point que ce ne fût l'inventaire de quelque thréfor caché. Mais; quand il fut ouvert, on trouva seulement quelques lignes écrites en grec, fur une peau de cerf, dont le contenu étoit, qu'un grand aftrologue avoit prédit qu'en un tel tems, qui fe rapportoit à celui

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