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Mufulmanifme approchant, fa femme lui dit : « Je ne » murmure point contre la Providence, de ce qu'el'e » nous a réduits dans une fituation fi déplorable; & je » fupporte avec résignation toutes nos difgraces. Mais » voici la fête qui arrive; & je vous avoue que j'aurai » beaucoup de peine à voir mes enfans avec des habits » déchirés, tandis que ceux de nos plus proches parens

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feront vêtus avec magnificence. Trouvez, je vous "prie, s'il eft poffible, quelqu'expédient qui nous » merte à couvert de cette honte. » Vaked, après avoir long-tems réfléchi fur la demande de fa femme, réfolut d'écrire à l'un de fes deux amis ces paroles : « Je » fuis dans une extrême néceffité; & la fête approche.» Auffi-tôt que ce généreux ami eut reçu la Lettre de Vaked, il lui envoya, pour toute réponse, une bourse remplie d'or. Vaked, furpris de ce préfent, fe rendit dans le moment chez fon ami, pour apprendre de luimême s'il n'y avoit point de méprife. Mais, dès que cet homme généreux l'eut apperçu, il fit appeller leur troifieme ami, & leur dit à tous deux : « Voici tout » l'argent que je poffede; trouvez bon que nous le par»tagions entre nous, pour fubvenir à nos befoins com

» muns. >>

5. Le célèbre Voiture, l'un des beaux efprits du fiécle de Louis XIII, ayant, un jour, perdu tout fon argent au jeu, fe trouva avoir besoin de deux cens piftoles. Il écrivit, en conféquence, à l'abbé Coftar, fon fidèle ami. Cette Lettre admirable nous préfente un trait de cette confiance & de cette franchise qu'inspire la fincere amitié. La voici :

» Je perdis hier tout mon argent, & deux cens pif»toles au-delà, que j'ai promis de rendre dès aujour» d'hui. Si vous les avez, ne manquez pas de me les » envoyer: fi vous ne les avez pas, empruntez-les. De » quelque façon que ce foit, il faut que vous me les "prêtiez; & gardez-vous bien de fouffrir qu'un autre » vous enleve fur la mouftache cette occafion de me » faire plaifir: j'en ferois fâché pour l'amour de vous. » Comme je vous connois, vous auriez de la peine à » vous en confoler. Afin d'éviter ce malheur, vendez

» plutôt ce que vous avez.... Vous voyez comme l'a» mour eft impérieux. Je prends un certain plaifir à en » user de la forte avec vous; & je fens bien que j'en » aurois encore un plus grand, fi vous en ufiez ainfi » avec moi; mais vous êtes un poltron: jugez s'il ne » faut pas que je m'affure bien de vous.... Je donnerai » ma promeffe à celui qui m'apportera votre argent. » Bon jour. »

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L'abbé Coftar lui fit cette réponse : « J'ai une extrême » joie d'être en état de vous rendre le petit service que » vous exigez de moi. Jamais je n'euffe pensé qu'on eût "tant de plaifir pour deux cens piftoles. Après l'avoir » éprouvé, je vous donne ma parole que j'aurai toute » ma vie un petit fonds tout prêt aux occafions où vous » en aurez à faire.... Ordonnez-moi donc hardiment » ce qu'il vous plaira : vous ne sçauriez prendre tant de » plaifir à me commander, que j'en aurai à vous obéir ; » mais, quelque foumis que je fois, je me révolterai, fi » vous voulez m'obliger à prendre une promeffe de

» vous. "

6. M. S*** perd un ami qui, en mourant, laisse des dettes, & deux enfans en bas-âge, fans biens, fans efpérances, fans reffources. L'ami qui lui furvit retranche fon train, fon équipage, & va fe loger dans un fauxbourg, d'où, tous les jours, il venoit, fuivi d'un laquais, au palais, & y remplifloit les devoirs de fa charge. Il eft auffi-tôt foupçonné d'avarice, de mauvaise conduite; il eft en butte à toutes les calomnies. Enfin, au bout de deux ans, M. S*** reparoît dans le monde. Il avoit accumulé une fomme de vingt mille livres, qu'il plaça au profit des enfans de fon ami.

7. M. Freind, premier médecin de la reine d'Angleterre, avoit affifté au parlement, en 1722, comme député du bourg de Lancefton, & s'étoit élevé avec force contre le miniftere. Cette conduite hardie ayant indifpofé la cour, on suscita à Freind un crime de haute trahifon; & il fut enfermé, au mois de Mars, dans la tour de Londres. Environ fix mois après, le Miniftre tomba malade, & envoya chercher Richard Méad, autre médecin Anglois, & le plus grand ami de Freind. Après

s'être inftruit à fond de la maladie du Miniftre, il lui dit qu'il répondoit de sa guérison; mais qu'il ne lui donneroit pas feulement un verre d'eau, qu'il n'eût rendu la liberté qu'on avoit fi injuftement ravie à M. Freind.. Le Miniftre, quelques jours après, voyant fa maladie. augmentée, fit fupplier le Roi d'élargir le prifonnier. L'ordre expédié, le malade crut que Méad alloit ordonner ce qui convenoit à son état; mais ce médecin perfifta dans fa résolution, jufqu'à ce que fon ami fût rendu à fa famille. Alors il traita le Miniftre, & lui procura bientôt une guérifon parfaite. Le foir même, il porta à Freind environ cinq mille guinées qu'il avoit reçues, pour fes honoraires, en traitant les malades de fon ami, pendant fa détention, & le contraignit de recevoir cette fomme, quoiqu'il eût pu la retenir légitimement, puifqu'elle étoit le fruit de fes peines.

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8. L'hiftorien Polybe fe trouvoit fouvent avec Fabius & Scipion, fils de Paul-Emile. Un jour que Scipion se vit feul avec lui, il lui ouvrit fon cœur avec une pleine effufion, & fe plaignit, mais d'une maniere douce & tendre, de ce que, dans les converfations qu'on avoit à table, il adreffoit toujours la parole à fon frere, préférablement à lui. « Je fens bien, lui dit-il, que cette » indifférence pour moi vient de la pensée où vous êtes, » comme tous nos concitoyens, que je fuis un jeune » homme inappliqué, & que je n'ai rien du goût qui règne aujourd'hui dans Rome, parce qu'on ne voit » pas que je m'attache aux exercices du barreau, & » que je cultive le talent de la parole. Mais comment » le ferois-je? On me dit perpétuellement que ce n'eft » point un orateur que l'on attend de la maifon des » Scipions, mais un général d'armée. Je vous avoue, » pardonnez-moi la franchise avec laquelle je vous » parle, que votre indifférence pour moi me touche & » m'afflige fenfiblement. » Polybe, furpris de ce difcours, auquel il n'avoit pas lieu de s'attendre d'un jeune homme de dix-huit ans, le confola du mieux qu'il put, & l'affura que, s'il adreffoit ordinairement la parole à fon frere, ce n'étoit point du tout faute d'eftime ou d'affection pour lui, mais uniquement parce que Fa

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bius étoit l'ainé; & que d'ailleurs, fçachant que les deux freres penfoient de même, & étoient fort unis, il avoit cru que parler à l'un c'étoit parler à l'autre. « Au refte, » ajoûta-t-il, je m'offre de tout mon cœur à votre fer>> vice; & vous pouvez difpofer de moi. Par rapport » aux fciences de l'étude defquelles on vous occupe ac»tuellement, vous trouverez affez de fecours dans ce » grand nombre de fçavans qui viennent, tous les jours, » de Grèce à Rome. Mais, pour le métier de la guerre, » qui eft proprement votre profeffion, auffi-bien que » votre paffion, je pourrai vous être de quelqu'utilité. Alors Scipion lui prenant les mains, & les ferrant avec les fiennes : « Oh! dit-il, quand verrai-je cet heureux » jour où, libre de tout autre engagement, & vivant » avec moi, vous voudrez bien vous appliquer à me » former l'efprit & le cœur? C'est alors que je me » croirai véritablement digne de mes ancêtres. » Depuis ce tems-là, Polybe, charmé & attendri de voir dans un jeune homme de fi nobles fentimens, s'attacha particuliérement à lui. Scipion, de fon côté, ne pouvoit le quitter: fon grand plaifir étoit de s'entretenir avec lui. Il le refpectoit comme un pere; & Polybe, de fon côté, le chérissoit comme fon fils.

9. Philippe, roi de Macédoine, pere d'Alexandre le Grand, faifoit vendre les prifonniers qu'il avoit faits à la guerre, & affiftoit lui-même à cette enchere, ayant la robe retrouffée, d'une maniere indécente. Un des prisonniers, s'en étant apperçu, s'écria : « Excufez-moi, »Seigneur, je fuis un ancien ami de votre pere. » Le Monarque furpris lui demanda comment il avoit fait cette amitié? « Je vais vous l'apprendre, répondit-il ; » &, s'approchant, comme pour lui parler en fecret: » Baif» fez votre robe, » lui dit-il. Philippe auffi-tôt donna la liberté à cet homme, ajoûtant qu'il venoit de lui faire connoître qu'il étoit en effet fon ami.

10. Quelqu'un fouffroit impatiemment d'être repris par fon ami, &, pour cette raifon, vouloit rompre avec lui. « Songez, lui dit Caton l'Ancien, qu'on ne » hait pas l'abeille, à caufe de fon aiguillon, & qu'on » la conferve, à caufe de fon miel. »

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11. Pififtrate, tyran d'Athènes, abandonné par quelques-uns de fes amis, s'informa du lieu où ils s'étoient retirés; puis, ayant fait un gros paquet des chofes les plus nécessaires à la vie, il le chargea fur fon dos, & alla les trouver. « Eh! que voulez-vous donc, lui cria»t-on, dès qu'on l'apperçut ? » --- Je viens, répon» dit-il, vous prier de revenir auprès de moi. Si je ne » puis y réuffir, je refterai avec vous: j'ai apporté » tout exprès mon bagage. »

12. Deux Arcades, étroitement liés par les nœuds de l'amitié, faisant voyage ensemble, arriverent à Mégare, ville de la Grèce. L'un alla, par droit d'hofpitalité, loger chez un citoyen de la ville; & l'autre, dans une hôtellerie. Celui qui logeoit chez le citoyen vit en fonge fon ami qui le prioit de venir le tirer du piége où le cabaretier l'avoit fait tomber, parce que, s'il accouroit promptement, il le pourroit fouftraire au danger qui le menaçoit. Réveillé par ce fonge, il faute en bas du lit, & fe difpofe à courir à l'hôtellerie de fon ami. Mais enfuite, par un funefte effet de la deftinée, il condamne, comme inutile, l'acte d'humanité qu'il fe propofoit de faire; &, comptant ce fonge pour une vaine illufion du fommeil, il fe remet au lit; & fe rendort. Il voit alors fon ami bleffé, couvert de fang, qui, d'une voix lamentable, le fupplie, puisqu'il a négligé de le secourir vivant, de ne pas refufer au moins de venger fa mort. Actuellement même, fon corps maffacré par le cabaretier eft conduit, couvert de fumier, dans un chariot, à la porte de la ville. Cette vifion, plus effrayante encore que la premiere, rompt tout-à-coup fon fommeil; le trouble; allarme sa tendresse. Il vole à l'inftant, à la porte défignée; arrête le chariot qu'il avoit vu dans fon fonge; conduit le cabaretier au magiftrat, & venge, par le fupplice du coupable, l'affaffi

nat de fon ami.

13. Pendant qu'on faifoit le procès à Henri II, duc de Montmorenci, qui avoit été pris, les armes à la main, contre fon Prince, Paul du Hay, seigneur du Châtelet, fon ami, follicita en fa faveur, d'une maniere fine & ingénieufe, qui fit honneur à fon efprit & à fon

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