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chées. Ce fpectacle me fit rêver; & peut-être fans la Marquife euffai-je rêvé affez long-temps ; mais la prefence d'une fi aimable Dame ne me permit pas de m'abandonner à la Lune & aux Etoiles. Ne trouvez-vous pas, lui dis-je, que le jour même n'est pas fi beau qu'une belle nuit ? Oui, me répondit-elle, la beauté du jour eft comme une beauté blonde qui a plus de brillant; mais la beauté de la nuit eft une beauté brune qui eft plus touchante. Vous êtes bien genereufe, repris-je, de donner cet avantage aux Brunes vous qui ne l'êtes pas. Il eft pourtant vrai ! que le jour eft ce qu'il y a de plus. beau dans la Nature, & que les Heroïnes de Roman, qui font ce qu'il ya de plus beau dans l'imagination, font prefque toûjours blondes. Ce n'eft rien que la Beauté repliqua-telle, fi elle ne touche. Avoüez que le jour ne vous eût jamais jetté dans une rêverie auffi douce que celle où

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je vous ai vû prêt de tomber tout à l'heure à la vûë de cette belle nuit. J'en conviens, répondis-je; mais en récompenfe, une Blonde comme vous me feroit encore mieux rêver que la plus belle nuit du monde avec toute fa beauté brune. Quand cela feroit vrai, repliqua-t-elle, je ne m'en contenterois pas. Je voudrois que le jour, puifque les Blondes doivent être dans fes interêts, fit auffi le même effet. Pourquoi les Amans qui font bons Juges de ce qui touche, ne s'adreffent-ils jamais qu'à la nuit dans toutes les Chanfons & dans toutes les Elegies que je connois? II faut bien que la nuit ait leurs remerciemens, lui dis-je ; mais reprit-elle, elle a auffi toutes leurs plaintes. Le jour ne s'attire point leurs confidences; d'où cela vient-il? C'eft apparemment, répondis-je, qu'il n'infpire point je ne fçai quoi de trifte & de paffionné. Il femble pendant la nuit que tout foit en repos. On s'imagine que

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les Etoiles marchent avec plus de filence que le Soleil ; les objets que le Ciel prefente font plus doux, la vûë s'y arrête plus aisément ; enfin on en rêve mieux, parce qu'on fe flate d'être alors dans toute la Nature la feule perfonne occupée à rêver. Peut-être auffi que le spectacle du jour est trop uniforme, ce n'eft qu'un Soleil, & une voûte bleuë, mais il fe peut que la vûë de toutes ces Etoiles femées confufément, & difpofées au hazard en mille figures differentes, favorise la rêverie, & un certain defordre de pensée où l'on ne tombe point fans plaifir. J'ai toûjours fenti ce que vous me dites, reprit-elle, j'aime les Etoiles, & je me plaindrois volontiers du Soleil qui nous les efface. Ah! m'écriai-je, je ne puis lui pardonner de me faire perdre de vûë tous ces Mondeş.. Qu'appellez-vous tous ces Mondes, me dit-elle en me regardant, & en fe tournant vers moi? Je vous demande pardon, répondis- je. Vous

m'avez mis fur ma folie, & auffi-tôt mon imagination s'eft échapée. Quelle eft donc cette folie, reprit-elle ? Helas! repliquai-je, je fuis bien fâché qu'il faille vous l'avouer, je me fuis mis dans la tête que chaque Etoile pourroit bien être un Monde. Je ne jurerois pourtant pas que cela fût vrai, mais je le tiens pour vrai, parce qu'il me fait plaifir à croire. C'est une idée qui me plaît, & qui s'eft placée dans mon efprit d'une maniere riante. Selon moi, il n'y a pas jusqu'aux Veritez à qui l'agrément ne foit neceffaire. Et bien, reprit-elle, puifque vôtre folie eft fi agréable, donnez-la moi, je croirai fur les Etoiles tout ce que vous voudrez, pourvû que j'y trouve du plaifir. Ah? Madame, répondis-je bien vîte, ce n'eft pas un plaifir comme celui que vous auriez à une Comedie de Moliere; c'en eft un' qui eft je ne fçai où dans la raison, & qui ne faitrire que l'efprit.Quoi done; reprit-elle, croyez-vous qu'on feis By

incapable des plaifirs qui ne font que dans la raifon? Je veux toute à l'heure vous faire voir le contraire,apprenezmoi vos Etoiles. Non, repliquai-je, il ne me fera point reproché que dans un Bois, à dix heures du Soir, j'ayẹ parlé de Philofophie à la plus aimable perfonne que je connoiffe. Cherchez ailleurs vos Philofophes.

J'eus beau me défendre encore quelque temps fur ce ton-là, il fallut ceder. Je lui fis du moins promettre pour mon honneur, qu'elle me garderoit le fecret; & quand je fus hors d'état de m'en pouvoir dédire, & que je voulus parler, je vis que je ne fçavois par où commencer mon dif cours: car avec une perfonne comme elle, qui ne fçavoit rien en matiere de Phyfique, il falloit prendre les chofes de bien loin, pour lui prouver que la Terre pouvoit être une Planete, & les Planetes autant de Terres, & toutes les Etoiles autant de Soleils qui éclairoient des Mondes.

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