à sa surface, parce que les Colonnes laterales égales en force, l'empêchent de s'écarter, ni à droite, ni à gauche. Si la Pierre étoit à une égale distance & de la Terre, & de la derniere surface de l'Air, elle demeureroit en repos, plus loin elle monteroit. Ce qu'on a dit de l'Air, on le dira de même de la matiere fubtile, & de tout autre Liquide où des Corps feront posez. Telle est en general l'idée de M. Varignon sur la cause de la Pesanteur. Plusieurs grands Hommes ont prouvé par l'inutilité de leurs efforts l'extrême difficulté de cette matiere; & j'avoue qu'il pourroit bien aussi l'avoir prouvée. Du moins ce Systême a-t'il eu peu de Sectateurs ; & quoique fimple, bien lié, bien suivi, il est vrai qu'un Physicien, même avant la discussion , ne se sent point porté à le croire. L'Auteur l'auroit plus aisément défendu que perfuadé. Aussi ne l'a-t'il point donné avec cette confiance & cet air triomphant, qui ont accompagné tant d'autres Systèmes; le titre modeste de Conjectures répondoit fincerement à sa pensée. Il ne croyoit point qu'en matiere de Physique, & principalement fur les premiers principes de la Physique, on pût passer la conjecture, & il sembloit être ravi que sa chere Géométrie eût seule la certitude en partage.. Dans ses recherches mathématiques, son génie le portoit toûjours à les rendre les plus generales qu'il fût possible. Un Païsage dont on aura vû toutes les parties l'une après l'autre, n'a pourtant point été vû, il faut qu'il le foit d'un lieu affez élevé, où tous les objets auparavant dispersez, se rassemblent sous un seul coup d'œil. Il en va de même des veritez géométriques; on en peut voir un grand nombre dispersées çà & là, fans ordre entr'elles, sans liaison; mais pour les voir toutes ensemble, & d'un coup d'œil, on est obligé de remonter bien haut, & cela demande de l'effort & de l'adressfe.. Les formules generales Algébriques sont les lieux élevez où l'on se place pour découvrir tout à la fois un grand Pays. Il n'y a peut-être pas eu de Géométre, ni qui ait mieux connu, ni qui ait mieux fait sentir le prix de ces formules que M. Varignon. Il ne pouvoit donc manquer de saisir avidement la Géométrie des Infiniment Petits, dès qu'elle parut ; elle s'éleve sans cesse au plus haut point de vûë possible, à l'Infini, & de-là elle embrasse une étenduë infinie. Avec quel transport vit-il naître une nouvelle Géométrie, & de nouveaux plaisirs ? Quand cette belle & fublime * v. l'Hist. Méthode fut attaquée dans l'Académie même *, car il de 1701. P. falloit qu'elle subît le fort de toutes les nouveautez, il en fut un des plus ardens Défenseurs, & il força en sa faveur fon caractere naturel ennemi de toute contestation. Il se plaignit quelquefois à moi, que cette dispute l'avoit interrompu dans des recherches sur le Calcul Integral, dont il auroit de la peine à reprendre le fil. Il facrifia les Infiniment Petits à eux-mêmes, le plaifir & la gloire d'y faire des progrès au devoir plus pressant de les défendre. 89. & suiv. 2de Edit.. Tous les Volumes que l'Académie a imprimez, rendent compte de ses travaux. Ce ne sont presque jamais des morceaux détachez les uns des autres ; mais de grandes Théories completes sur les Loix du Mouvement, fur les forces Centrales, sur la Resistance des Milieux au Mouvement. Là par le moyen de ses formules generales, rien ne lui échappe de ce qui est dans l'enceinte de la matiere qu'il traite. Outre les veritez nouvelles, on en voit d'autres déja connuës d'ailleurs, mais détachées, qui viennent de toutes parts se rendre dans sa Théorie. Toutes ensemble font corps, & les vuides qu'elles laissoient auparavant entr'elles, se trouvent remplis. La certitude de la Géométrie n'est nullement incompatible avec l'obscurité & la confufion; & elles font quelquefois telles, qu'il est étonnant qu'un Géométre ait pû se conduire surement dans le labyrinthe ténébreux où il marchoit. Les Ouvrages de M. Varignon ne causent ja mais cette desagréable surprise; il s'étudie à mettre tout dans le plus grand jour; il ne s'épargne point, comme font quelquefois de grands hommes, le travail de l'arrangement, beaucoup moins flateur, & fouvent plus pénible que celui de la production même, il ne recherche point par des souf-entendus hardis la gloire de paroître profond. Il possedoit fort l'Histoire de la Géométrie. Il l'avoit apprise non pas tant précisément pour l'apprendre, que parce qu'il avoit voulu rassembler des lumieres de tous côtez. Cette connoissance historique est sans doute un ornement pour un Géométre ; mais de plus ce n'est pas un ornement inutile. En general plus l'esprit a été tourné & retournéen differens sens sur une même matiere, plus il en devient fécond. Quoique la santé de M. Varignon parût devoir être à toute épreuve, l'affiduité & la contention du travail lui causferent en 1705. une grande maladie. On n'est guéres si habile impunément. Il fut fix mois en danger, & trois ans dans une langueur, qui étoit un épuisement d'esprits visibles. Il ma conté que quelquefois dans des accès de fievre, il se croyoit au milieu d'une forêt, où il voyoit toutes les feuilles des arbres couvertes de Calculs algebriques. Condamné par ses Medecins, par fes amis, & par lui-même à se priver de tout travail, il ne laissoit pas, dès qu'il étoit seul dans sa chambre, de prendre un Livre de Mathématique, qu'il cachoit bien vîte, s'il entendoit venir quelqu'un. Il reprenoit la contenance d'un malade, & n'avoit pas besoin de joüer beau coup. Il est à remarquer, par rapport à son caractere, que ce fut en ces tems-là qu'il parut de lui un Ecrit, ou il reprenoit M. Wallis sur de certains Espaces plus qu'Infinis, que ce grand Géométre attribuoit aux Hyperboles. Il soûtenoit au contraire qu'ils n'étoient que finis. * * v. P'Hift. La critique avoit tous les afsaisonnemens poffibles d'hon- de 17065 på. nêteté; mais enfin c'étoit une critique: & il ne l'avoit 47. faite que pour lui seul. Il la confia à M. Carré, étant dans un état qui le rendoit plus indifferent pour ces fortes de chofes ; & celui-ci touché du seul interêt des Sciences, la fit imprimer dans nos Memoires, à l'insçû de l'Auteur, qui se trouva Aggresseur contre son inclination. Il revint de sa maladie & de sa langueur, & ne profita nullement du passé. L'Edition de son Projet d'une Nouvelle Mécanique ayant été entierement débitée, il songea à en faire une seconde ou plûtôt un Ouvrage nouveau, quoique sur le même plan, mais beaucoup plus ample, & auquel le titre de Projet ne convenoit plus. On y devoit bien sentir la grande acquisition de richesses qu'il avoit faite dans l'intervalle. Mais il se plaignoit souvent que le tems lui manquoit, quoiqu'il fût bien éloigné d'en perdre volontairement. Une infinité de visites soit de François, soit d'Etrangers, dont les uns vouloient le voir pour l'avoir vû, & les autres pour le consulter & s'instruire des Ouvrages de Mathématique que l'autorité ou l'amitié de quelques personnes l'engageoient à examiner & dont il se croyoit obligé de rendre le compte le plus exact; un grand commerce de lettres avec les principaux Géométres de l'Europe, & des lettres sçavantes & travaillées; car il ne falloit pas plus se negliger avec ces amis-là, qu'avec le Public même: tout cela nuisoit beaucoup au Livre qu'il avoit entrepris. C'est ainsi qu'on devient celebre, parce qu'on a été maître de disposer d'un grand loisir, & qu'on perd ce loisir si précieux, parce qu'on est devenu celebre. De plus fes meilleurs Ecoliers, foit du College Mazarin, soit du College Royal, car il y occupoit aussi une Chaire de Mathématique, étoient en possession de lui demander des leçons particulieres. La joye de voir qu'ils en demandassent, fon zele pour les Mathématiques, sa bonté naturelle, son inclination à étendre un devoir plutôt qu'à le resserrer, leur avoient donné ce droit, & ôté la crainte d'en user trop librement. Il soupiroit après deux ou trois mois de vacances qu'il avoit pendant l'année ; il fuyoit fuyoit à quelque campagne, où les journées entieres étoient à lui, & s'écouloient bien vîte. de l'Acad. ann. 1722. pag. 74. & Malgré son extrême amour pour la paix, il a fini fa vie par être embarqué dans une contestation. Un Religieux Italien, habile en Mathématique, l'attaqua fur la Tangente & l'Angle d'attouchement des Courbes, tels qu'on les conçoit dans la Géométrie des Infiniment Petits. * Il se crut obligé de répondre, &, à dire le vrai, *v. Hift. les indifferens ne l'euffent pas trop crû. Je ne crois pas fortir du personnage de simple Historien, en aflurant que sa gloire ne couroit aucun péril; mais il étoit sensi- fuiv. ble de ce côté-là, ou plutôt toute sa sensibilité y étoit raffemblée. Il répondit par le dernier Memoire qu'il ait donné à l'Academie, & qui a été le seul où il fût queftion d'un differend. Son inclination pacifique y domi noit pourtant encore; il n'y nommoit point fon Adverfaire, qui l'avoit nommé à tout moment, que tout le monde connoiffoit, qui ne se cachoit point; & quoiqu'on lui representat la parfaite inutilité, & même la superstition de cette reticence, il s'obstina toûjours à ne le nommer que l'Aggreffeur. Il est vrai qu'il n'en usoit pas fi honnêtement à l'égard des Paralogismes, & qu'il leur donnoit leur veritable nom. Dans les deux dernieres années de sa vie, il fut fort incommodé d'un rhumatisme placé dans les muscles de la poitrine; il ne pouvoit marcher quelque tems fans être obligé de se repofer pour reprendre haleine. Cetre incommodité augmenta toujours, & tous les remedes y furent inutilles; ce qui ne le surprenoit pas beaucoup. Il n'en relâcha rien de ses occupations ordinaires; & enfin après avoir fait sa classe au College Mazarin le 22 Decembre 1722. fans être plus mal que de coûtume, il mourut fubitement la nuit suivante. Son caractere étoit auffi fimple que sa superiorité d'efprit pouvoit le demander. J'ai déja donné cette même loüange à tant de personnes de cette Academic, qu'on peut croire que le merite en appartient plutôt à nos |