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B

ENEDETTO Lutti qui a pris naiffance à
Florence en 1666. terminera l'hiftoire des pein- LUTTI.
tres Florentins. J'ai connu cet habile homme
dans mon féjour à Rome; outre le plaifir qu'a-

voient les amateurs de voir fes ouvrages, ils joüiffoient encore d'une collection fuivie de deffeins de grands maîtres, qu'il avoit formée avec beaucoup de foin. Lutti faifoit cas des peintres François & furtout des eftampes de Sébaftien le Clerc fameux graveur.

Il fut éléve de Dominique Gabiani à qui fon pere Jacques Lutti l'avoit confié. A vingt-quatre ans fon mérite égala celui de fon maître; les fameufes peintures de Rome l'attirérent dans cette ville, & le Grand Duc lui fournit le moyen

d'étudier en lui donnant un logement dans fon palais de CamLUTTI. po Marzo. Son dessein étoit de travailler fous Ciro Ferri ; le chagrin qu'il eut d'apprendre fa mort en arrivant à Rome fut extrême, il redoubla fes études & fe rendit fi habile, que la France, l'Allemagne, & l'Angleterre s'emprefférent d'avoir de fes ouvrages: l'Empereur le fit chevalier, & l'Electeur de Mayence lui envoya avec les patentes, la croix enrichie de dia

mans.

Lutti n'étoit jamais content de lui-même; il retouchoit fans ceffe fes tableaux fans qu'il y parût rien de peiné; heureux dans fes changemens, fa derniére pensée étoit toujours la meilleure : lent à fe mettre au travail, il ne le quittoit qu'avec peine lorfqu'il y étoit engagé. Son pinceau étoit frais & vigoureux, fa maniére tendre & délicate étoit reffentie & fon goût exquis: un accord harmonieux regnoit dans fes tableaux; plus attaché à la couleur qu'à toutes les autres parties de la peinture, il n'étoit pas extrêmement correct.

Toutes les maniéres différentes des maîtres lui étoient connues; Lutti aimoit les anciens tableaux, & il en faifoit commerce. Il n'a prefque fait que des tableaux de chevalet qui font répandus de tous côtés: on ne connoît de lui à Rome que trois ouvrages publics, une Madeleine dans l'Eglife de fainte Catherine de Sienne à Monte Magna Napoli, le prophéte Ifaïe en ovale dans faint Jean de Latran, & faint Antoine de Padouë à la chapelle Odefcalchi dans l'Eglife de fanti Apoftoli. On voit encore dans le palais Albani aux quatre fontaines un miracle de faint Piò qui eft fon chef-d'œuvre : un plafond d'une chambre du connétable Colonne, & un autrè dans le palais du Marquis Carolis. Lutti ne put terminer un tableau de faint Eufepe évêque de Verceil, lequel étoit destiné pour Turin, il avoit reçû de groffes arrhes, & avoit promis de rendre le tableau dans un certain temps: plufieurs contef tations qui furvinrent à ce fujet entre lui & ceux qui avoient commandé le tableau, le chagrinérent; il tomba malade, & mourut à Rome quelque-temps après en l'année 1724. âgé de près de cinquante-huit ans. Ses héritiers furent obligés de rendre les arrhes, & le tableau a été terminé dans la fuite par Pietro PIETRO Bianchi l'un de ses éléves, mort depuis peu, & qui s'étoit acBIANCHI. quis beaucoup de réputation par fon goût de deffiner & par la correction de fes figures: on compte encore parmi fes dif

ciples Gaetano Sardi, Domenico Piaftrini & Placido Cóftanzi.
On a reproché à Benedetto Lutti de n'avoir pas placé
pas placé avan-
tageufement fes figures, de manière qu'une partie des bras &
des jambes eft hors la toile: il a cela de commun avec Paul
Veronefe & Rubens qui pour rendre le fujet qu'ils traitoient &
plus grand & plus majestueux, ont mis fur le devant de leurs
tableaux des grouppes de gens à cheval, des bouts de têtes, des
bras dont tous les corps & les jambes ne fe voyent pas.

Lutti étoit fpirituel dans la converfation ; fes amis trouvoient
en lui des maniéres polies qui en lui faifant rendre aux autres
ce qu'il leur devoit, exigeoient d'eux à fon égard des confidé-
rations & même du refpect. Il eftimoit & parloit bien en gé-
néral de tous les peintres, mais il n'en fréquentoit aucun,
quoiqu'il fût le chef de l'académie de faint Luc; perfuadé que
la vraie protection d'un grand peintre eft de bien faire, il ne
connoiffoit nullement celle des grands qu'il ne visitoit point
& qui venoient auffi rarement le voir.

Les deffeins de Benedetto Lutti font affez rares en France; ils font presque tous à la fanguine : on y trouve de la couleur & de l'expreffion, mais ils ne font pas toujours corrects. Ce peintre avoit eu pour objet la couleur, plus que la partie du deffein. Ses académies font fort eftimées & d'un beau fini : il n'y a aucune marque particulière qui puiffe diftinguer ce peintre d'avec les autres modernes ; il faudroit avoir vû beaucoup de fes ouvrages & il n'y en a point en France.

On voit à Duffeldorf dans la galerie de l'Electeur Palatin, fainte Anne qui apprend à lire à la Vierge.

Il y a une communion de la Madeleine gravée d'après Lutti & une autre Madeleine pénitente dans le recueil de Crozat.

LUTTI.

le GIORGION.

GIORGION.

(a) Fare il Giorgio, veut dire, faire le fanfaron. Sandrat. Acad. Pitt. p. 118.lib.2.

p. 2.

(b) Che per cer

to fuo decorofo af

UR le bruit qui couroit que quelques peintres Grecs avoient été appellés à Venife, André Taffi quitta Florence & vint travailler avec eux en Mofaïque, on nomme parmi ces peintres un Apollonius: quoiqu'il en foit, les peintrès Vénitiens fe font honneur d'avoir à petto fu detto Gior- leur tête le Giorgion : c'eft lui qui le premier a connu le bon coloris. Le bourg de Caftel Franco fitué dans le Trevifsan a donné naiffance à ce grand peintre en 1478. il s'appelloit ze della perfonna e Giorgio dont on a fait Giorgione qui felon un (a) auteur vient della grandezza de ce qu'il étoit fanfaron, fe difant de noble origine, quoiqu'il dell'animo chiama- fût de baffe naissance; d'autres (b) difent qu'il fut ainfi

gione.

Ridolfi. p. 77.

(b) Dalle Fatez

to poi col tempo

ap

Giorgione. pellé à cause de sa figure aimable & de l'étendue de fon efprit.

Vafari. p. 19 t. 2.

Le Giorgion fut élevé à Venise; son inclination se détermina d'abord pour le chant & pour le luth dont il joüoit fi GIORGION. parfaitement, qu'il étoit admis dans les meilleures compagnies. Le deffein fut fa feconde paffion; il étudia fous Jean Bellin, & il fut camarade & enfuite maître du grand Titien: forti de l'école du Bellin qu'il ne tarda guéres à furpaffer, il se mit chez des marchands de tableaux à peindre des fujets de dévotion & des portraits: ce qui avança le plus le Giorgion dans la pratique de fon art, ce fut les ouvrages de Léonard de Vinci; il apprit à penfer comme lui & le beau maniment du pinceau de ce maître le rendit un très-grand peintre en peu de temps.

Le Titien charmé de l'effet de ce nouveau coloris, se mit chez le Giorgion pour tâcher de l'imiter ; ce maître qui s'en apperçut, le congédia fur le champ de fa maison. Celui-ci retourna chez fes parens, où il peignit pour la paroiffe de Caftel Franco un faint George & un faint François d'une grande maniére, ainfi que plufieurs portraits.

Le Giorgion de retour à Venife s'avifa de peindre en dehors la façade de la maifon où il demeuroit pour engager les Vénitiens à fuivre fon exemple: fon attente ne fut point vaine; on lui donna plusieurs façades où il épuifa les fujets des métamorphofes & des amours des Dieux. Il ne deffinoit rien que d'après nature; fon goût approchoit de celui de l'école Romaine, & il cherchoit moins à donner de la correction que de la rondeur à fes figures. Par fa maniére d'employer peu de teintes & de peindre avec une franchise qui imite la fraicheur de la chair, on croit voir paffer le fang dans les veines: rien ne paroît fi facile que fon travail & fous la fonte des couleurs, il en a caché la plus grande partie.

Comme il difputoit avec des fculpteurs fur la prééminence de leurs arts, le fculpteur foutenoit qu'il avoit l'avantage de faire voir une figure de tous côtés, ce que la peinture ne pouvoit exécuter. Giorgion difoit qu'il pouvoit de même représenter une figure de quatre côtés tout à la fois. Il peignit à cet effet un homme nu vû par les épaules, & fur la teraffe du même tableau une fontaine claire qui réfléchiffoit fon vifage, il mit à gauche de la figure une cuiraffe très-polie où fe voyoit un de fes côtés, & un miroir placé à droite exposa l'autre. Cette ingénieuse idée le tira

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