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rent les confréres, il leur en fit préfent afin qu'il fût mis en TINTORET. place. Les autres peintres étonnés rendirent justice à son ouvrage : ils le nommérent il furiofo Tintoretto, un fulmine di penello. Les confréres dans la fuite lui affignérent une penfion (a) Ecole veut dire & lui destinérent tous les ouvrages de leur ( a ) école.

confrairie: celle-ci

eft le rendez-vous

Le Tintoret aimoit fi fort fon art, & fon génie étoit si vif, des amateurs & qu'il propofoit fouvent de peindre les grands ouvrages des des étrangers; on couvens pour le debourfé des couleurs. On l'a vu quelquefois y expofe dans une petite place les pour s'occuper, aider gratuitement le Schiavone & les autres nouvelles produc- peintres. Un tableau qu'il expofa en public proche le pont tions des peintres Rialto, fut trouvé fi beau, que le Titien qui en fut averti le vint voir auffitôt & ne put s'empêcher, malgré sa jalousie, de lui rendre justice.

Vénitiens,

Sitôt que le Tintoret eut donné des preuves de fon habileté dans l'Ecole de faint Marc, le Sénat l'employa dans la grande falle du confeil & il peignit le jugement univerfel dans celle du Scrutin.

L'Ecole de faint Roch qu'il entreprit enfuite & qui a été gravée, le mit dans un tel crédit que tous les peintres le prirent pour modéle. La grande compofition dans fes tableaux égale l'expreffion des figures & la grande force y marche de compagnie avec l'énergie.

Le Duc de Mantouë pendant fon féjour à Venise, alloit fouvent voir travailler le Tintoret. Il lui fit représenter en dix tableaux les actions héroïques de François de Gonzague. Ce peintre les vint placer à Mantouë; Le Duc par fes bienfaits ne put le fixer, & il revint à Venife. Le Sénat auffitôt à l'exclufion du Titien & de Joseph Salviati, lui donna à peindre dans la falle du Scrutin la fameufe victoire remportée sur les Turcs en 1571. Cette nouvelle preuve de fon heureuse facilité ne lui coûta qu'une année.

Quand Henry III. Roy de Pologne paffa à Venife, Tintoret peignit le portrait de ce Monarque; en fe mélant avec les écuyers du Doge dans le Bucentaure, il deffina le portrait au pastel, le remit en grand, & le Roy lui promit de le laiffer terminer d'après lui. Il excelloit dans cette partie de peinture. Plus réfolu & plus hardi dans fon ouvrage que Paul Veronese quoiqu'inferieur pour les graces & la richeffe de la compofition, il peignoit au premier coup, fa couleur vierge étoit portée d'une hardieffe fans égale, & fans être retouchée fe confer

voit très-fraîche. Un beau feu l'élevoit dans fes idées & fa pensée extraordinaire étoit toûjours accompagnée d'un grand TINTORET. goût de couleur, avec des attitudes furprenantes pour l'effet. Une fougue dont il n'étoit pas le maître lui a fait peindre des tableaux médiocres & rien n'eft plus inégal que ce peintre. On disoit à Vénise qu'il avoit trois pinceaux, il penello d'oro, il penello d'argento, e l'altro di ferro qu'il employoit fuivant fon caprice; dans les fujets de dévotion, les mouvemens de ses figures étoient trop violens, & souvent même peu

décens.

Tintoret n'étoit point intereffé, il travailloit pour la gloire, & pour contenter fon vaste génie. Extrêmement contemplatif il fe renfermoit dans l'endroit le plus retiré de fa maison, là il examinoit les différens effets de la lumière & par plusieurs modéles qu'il fufpendoit fouvent au plancher il compofoit fes tableaux; perfonne que fes difciples n'étoit introduit pendant qu'il travailloit & il ne faifoit voir ses tableaux que lorf qu'ils étoient finis. Son art ne le rendoit point capricieux, vifité des fçavans il en fçavoit foutenir la conversation avec efprit.

Des peintres Flamans lui montrérent un jour des têtes deffinées avec une grande patience, Tintoret leur demanda combien elles leur avoient coûté de temps; ils convinrent de quinze jours; alors il prit un pinceau trempé dans du noir & hit en quatre coups une figure rehauffée de blanc & leur dit, voici comme nous autres Vénitiens deffinons une figure, les Flamans restérent étonnés & fentirent toute la force du reproche.

Ce qui lui arriva avec l'Arètin mérite d'être rapporté ; ce fameux écrivain étoit ami du Titien & l'étoit peu du Tintoret dont il avoit mal parlé en plufieurs occafions, il l'invita un jour à venir chez lui pour faire fon portrait; l'Arètin accepta la propofition, Tintoret tira de deffous fa robe un pistolet chargé à bales ce qui effraya grandement l'auteur satyrique; n'ayez point peur, lui dit le peintre, c'est pour prendre votre mefure, puis commençant par la tête & pourfuivant jufqu'aux pieds, vous avez, dit-il, deux longueurs & demie de mon piftolet, l'Arètin lui répondit tu es un grand fou, & put s'empêcher de rire. L'Arètin fut plus refervé dans la fuite, & devint fon ami.

il ne

Plus modefte que fes femblables, Tintoret refufa d'être fait TINTORET. chevalier de faint Michel, voyant la facilité avec laquelle Henry III. donnoit cet ordre. Un titre ceffe d'honorer, lorfqu'il eft prodigué à des gens fans mérite.

Tintoret a vécu quatre-vingt-deux ans & il eft mort à Venise en 1594. On l'inhuma à fainte Marie del horto & on lui fit' une belle Epitaphe.

Ses deux enfans furent fes éleves. Son fils Dominique inDOMINIQUE férieur à fon pere pour traiter l'hiftoire & les grands fujets, a TINTORET. bien fait le portrait. Il devint paralytique à foixante & douze ans & fe mit à peindre de la main gauche : il mourut à Veni

fe en 163.7. âgé de foixante & quinze ans. Sa fille Marie Tintoret mérite dans ce recueil une place distinguée & va suivre fon pere.

Le Tintoret a fait beaucoup de deffeins heurtés & très-peu d'arrêtés. Il y en a à la pierre noire fans hachures, ni lavis rehauffés de blanc, & reffentis dans les ombres par quelques coups fiers. D'autres ont le trait fait au pinceau lavés au biftre ou à l'encre de la Chine. Le Tintoret fe reconnoîtra toujours aux attitudes extraordinaires de fes figures fouvent incorrectes, à fes têtes partículiéres, à fes draperies compofées de petits plis; il y regne un goût de couleur admirable.

On voit dans l'Eglife de fanta Maria del horto à Venise, l'adoration du veau d'or, le jugement dernier, & fur les orgues une présentation au Temple. A fanta Maria Zebenigo, la converfion de faint Paul fur les orgues en dehors, & les quatre évangelistes peints en dedans. A la Carità une defcente de croix, un Moïfe dans le defert dans le fanctuaire de faint Jofeph. Le ferpent d'airain dans l'Eglise de faint Silvestre. Dans celle de faint Philippe les quatre évangeliftes au plafond, & à l'Autel une annonciation, Jesus-Chrift au jardin des olives & une céne. Dans l'école de faint Marc quatre ta bleaux de l'hiftoire de ce faint, entr'autres la guérison du ferviteur. Dans l'école de faint Roch, le faint qui vifite & guérit les malades, un autre fujet de faint Roch, Notre Seigneur à la pífcine qui guérit le paralytique, & fon crucifiement très-beau morceau. Notre Seigneur qui defcend avec plufieurs anges pour recevoir faint Roch avec les figures d'en bas qui repréfentent les autres écoles de Venife. L'affomption de la Vierge peinte dans le goût de Paul Veronese chez les Peres de

fainte Croix, & les noces de Cana dans leur refectoire.

Dans l'Eglife faint Pierre, la visitation de fainte Elifabeth. TINTORet. On admire parmi les cinq tableaux qu'il a peints à la Trinità Adam & Eve tentés par le ferpent, & Caïn qui tue fon frere Abel, dans lefquels il a fait des études étonnantes d'après nature. Dans le palais Ducal il a représenté le fameux Paradis, la reddition de la ville de Sara, l'Empereur Barberousse couronné par le Pape Adrien IV. avec plufieurs cardinaux & nobles Vénitiens, on voit la mufique du Pape dans la partie inférieure du tableau: l'excommunication du même Empereur avec beaucoup de figures & quantité d'autres mor

ceaux.

A fainte Afre dei Rochetini à Brefcia on voit au maître Autel une transfiguration de fon bon temps.

A la Croce à Milan il a peint une fainte Barbe avec fainte Hélene, à fan Carlo dei Zalzi les trois apôtres faint André, faint Pierre & faint Paul.

Dans la galerie de l'Archevêché de Milan la femme adultére, Notre Seigneur au milieu des docteurs.

Dans l'Eglife de faint François à Genes le baptême de faint Jean d'un coloris étonnant.

Dans l'Eglife de faint Martin à Lucques une céne.

Chez le Grand Duc de Toscane à Florence le portrait de Sanfovin.

Dans la galerie du Duc de Modéne deux beaux tableaux. Dans la collection de l'Electeur Palatin à Dusseldorf Jefus-Christ crucifié avec nombre de figures, une annonciation, un portrait avec une chaîne d'or au cou.

Dans le cabinet du Roy on voit le portrait d'un homme tenant un mouchoir, celui d'une Vénitienne, Susanne & les vieillards, le portrait d'un homme appellé la longue barbe, la Madeleine aux pieds de Jefus-Chrift chez Simon le pharifien, les pèlerins d'Emmaüs, une defcente de croix & le martyre de faint Marc.

On voit au palais Royal le portrait de Henri III. celui d'un homme appuyé fur un prie-Dieu, une présentation au Temple, la conviction de faint Thomas, un confiftoire une defcente de croix, le Titien & l'Arètin deux portraits ovales en regard; les Ducs de Ferrare pere & fils; l'alaitement d'Hercule par Junon; une Leda dans une chambre.

Y

Les meilleurs graveurs du Tintoret font Auguftin CarraTINTORET. che, Vofterman, C. Vischer, Kilian, les Sadeler, Matham, Coëlemans, Melan, Van Keffel, André Zucchi, Do"menico Rofetti, Defplaces & autres : il y a fept piéces dans le cabinet de l'Archiduc, onze dans la fuite de Louifa, plufieurs dans le cabinet de l'Empereur & dans les tableaux du Grand Duc; on compte environ foixante piéces gravées d'après le Tintoret,

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