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Né pour fouffrir, je fçai fouffrir gaïment,
Manquer de tout, voilà mon élément;
Ton vieux chapeau, tes guenillons de bure,
Dont tu rougis, c'étoit-là ma parure;
Tu dois avoir, ma foi, bien du chagrin
De n'avoir pas été toujours Jasmin.
EUPHEMON fils.

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Que la mifere entraîne d'infamie!
Faut-il encor qu'un valet m'humilie!
Quelle accablante & terrible leçon !
Je fens encor, je fens qu'il a raison ;
Il me confole au moins en fa maniere
Il m'accompagne, & fon ame groffiere,
Senfible & tendre, ou fa rufticité
N'a point pour moi perdu l'humanité,
Né mon égal (puifqu'enfin il est homme, )
Il me foutient fous le poids qui m'affomme;
Il fuit gaïment mon fort infortuné,

Et mes amis m'ont tous abandonné.

JASMIN.

Toi, des amis !.. Hélas! mon pauvre maître
Apprens-moi donc de grace à les connaître ;
Comment font faits les gens qu'on nomme amis ?
EUPHEMON fils.

Tu les as vûs chez moi toujours admis,
M'importunant fouvent de leurs vifites,

A mes foupers délicats parafites,

Vantant mes goûts d'un efprit complaifant,
Et fur le tout empruntant mon argent,

De leur bon cœur m'étourdiffant la tête,

Et me louant, moi préfent.

JASMIN.

Pauvre bête !

Pauvre innocent! tu ne les voyois pas
Te chanfonner au fortir d'un repas,
Siffler, berner ta benigne imprudence.
EUPHEMON fils.

Ah! je le crois; car dans ma décadence,
Lorfqu'à Bordeaux je me vis arrêté,
Aucun de ceux à qui j'ai tout prêté,
Ne me vint voir, nul ne m'offrit fa bourfe;
Puis au fortir, malade & fans reffource,
Lorfqu'à l'un d'eux que j'avois tant aimé,
J'allai m'offrir mourant, inanimé,
Sous ces haillons dépouillés, délabrées,
De l'indigence exécrables: livrées,
Quand je lui vins demander un fecours,
D'où dépendoient mes miférables jours,
Il détourna fon œil confus & traître ;
Puis il feignit de ne me pas connaître,
Et me chaffa comme un pauvre importun.

JASMIN.

Aucun n'ofa te fecourir?

EUPHEMON fils.

Aucun.

JASMIN.

Ah! les amis, les amis, quels infâmes!

EUPHEM ON fils.

Les hommes font tous de fer;

JASMIN.

Et les femmes ?

EUPHEMON fils.

J'en attendois, hélas! plus de douceur,
J'en ai cent fois effulé plus d'horreur;
Celle fur-tout qui m'aimant fans mistere,
Sembloit placer fon orgueil à me plaire,

Dans fon logis meublé de mes préfens,
De mes bienfaits acheta des Amans,
Et de mon vin régaloit leur cohue,
Lorfque de faim j'expirois dans fa rue;
Enfin, Jasmin, fans ce pauvre vieillard,
Qui dans Bordeaux me trouva par hazard,
Qui m'avoit vû, dit-il, dáns mon enfance,
Une mort promte eut fini ma fouffrance :
Mais en quel lieu fommes-nous, cher Jasmin?
JASMIN.

Près de Coignac, fi je fçai mon chemin ;

Et l'on m'a dit que mon vieux premier Maître,
Monfieur Rondon, loge en ces lieux peut-être.

EUPHEMON fils.

Rondon, le pere de... Quel nom dis-tu ?

JASMIN.

Le nom d'un homme affez brufque & boury;

Je fus jadis Page dans fa cuisine;

Mais dominé d'une humeur libertine ;

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Je voyageai, je fus depuis Coureur,
Laquais, Commis, Fantaffin, Déferteur,
Puis dans Bordeaux je te pris pour mon Maître.
De moi Rondon fe fouviendra peut-être,

Et nous pourrions dans notre adverfité...

EUPHEM ON fils.

Et depuis quand, dis-moi, l'as-tu quitté ?

JASMIN.

Depuis quinze ans : c'étoit un caractere,
Moitié plaifant, moitié trifte & colere ;

Au fond bon diable: il avoit un enfant,
Un vrai bijou, fille unique vraiment,

Oeil bleu, nez court, teint frais, bouche vermeille,

Et des raifons! c'étoit une merveille ;

Cela pouvoit bien avoir de mon tems,
A bien compter entre fix à sept ans,
Et cette fleur avec l'âge embellie
Eft en état, ma foi, d'être cueillie.

Ah malheureux !

EUPHEMON fils..

JASMIN.

Mais j'ai beau te parler,

Ce que je dis, ne te peut confoler;

Je vois toujours à travers ta visiere,

Tomber des pleurs qui bordent ta paupier

EUPHEMON fils.

Quel coup du fort, ou quel ordre des Cieu
A pû guider ma mifere en ces lieux ?

Hélas!

JASMIN.

Ton œil contemple ces demeures,

Tu refte-là tout penfif, & tu pleures.

EUPHEM ON fils.

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JASMIN en l'embrassant!

Par charité, mon Maître,

Mon cher ami, dis-moi qui tu peus être.
EUPHEMON en pleurant.

Je fuis.... je fuis un malheureux mortel,
Je fuis un fou, je fuis un criminel

Qu'on doit hair, que le Ciel doit poursuivre,
Et qui devroit être mort.

JASMIN.

Songe à vivre;

Mourir de faim eft par trop rigoureux,
Tiens, nous avons quatre mains à nous deux,
Servons-nous-en fans complainte importune;
Vois-tu d'ici ces gens dont la fortune

Eft dans leur bras, qui la bêche à la main,
Le dos courbé retournent ce jardin;
Enrollons-nous parmi cette canaille;
Viens avec eux, imites-les, travaille,
Gagnes ta vie,

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