Qu'a-t-elle dit qui t'ait tant agité?
EUPHEMON fils.
Elle m'a dit.... je n'ai rien écouté.
EUPHEMON fils.
Oui, je fuis cet aîné,
Ce criminel & cet infortuné,
Qui défola fa famille éperdue;
que mon cœur palpitoit à sa vûe, Qu'il lui portoit fes vœux humiliés, Que j'étois prêt de tomber à fes pieds!
Qui! vous, fon fils? Ah! pardonnez de grace Ma familiere & ridicule audace,
Va, mon cœur oppreffé
Peut-il fçavoir fi tu m'as offenfé?
Vous êtes fils d'un homme qu'on admire,
D'un homme unique ; & s'il faut tout vous dire, D'Euphemon fils la réputation
Ne flaire pas à beaucoup près fi bon.
EUPHEMON fils.
Et c'est auffi ce qui me desespere;
Mais réponds-moi : que te difoit mon pere? JASMIN.
Moi, je difois que nous étions tous deux Prêts à fervir, bien élevés, très gueux; Et lui, plaignant nos deftins fimpatiques, Nous recevoit tous deux pour domestiques; Il doit ce foir vous placer chez ce fils, Ce Préfident à Life tant promis, Ce Préfident votre fortuné frere, De qui Rondon doit être le beau-pere.
Eh bien! il faut déveloper mon cœur ; Vois tous mes maux, connois leur profondeur : S'être attiré pour un tiffu de crimes, D'un pere aimé les fureurs légitimes, Etre maudit, être deshérité, Sentir l'horreur de la mendicité, A mon cadet voir paffer ma fortune, Etre expofé dans ma honte importune A le fervir quand il m'a tout ôté ; Voilà mon fort, je l'ai bien mérité;
Mais croirois-tu qu'au fein de la fouffrance, Mort aux plaifirs, & mort à l'efpérance, Haï du monde & méprifé de tous, N'attendant rien, j'ofe être encor jaloux?
Vous fentiriez un peu de convoitife
Pour votre fœur ? mais vraiment c'est un trait Digne de vous, ce péché vous manquoit.
Tu ne fçais pas qu'au fortir de l'enfance ; (Car chez Rondon te n'étois plus je pense) Par nos parens l'un à l'autre promis, Nos cœurs étoient à leurs ordres foumis, Tout nous lioit, la conformité d'âge, Celle des goûts, les jeux, le voifinage. Plantés exprès deux jeunes arbriffeaux, Croiffent ainfi pour unir leur rameaux. Le tems, l'amour qui hâtoit fa jeunesse, La fit plus belle, augmenta fa tendresse; Tout l'univers alors m'eut envié ;
Mais moi pour lors à des méchans lié Qui de mon cœur corrompoient l'innocence, Ivre de tout dans mon extravagance,
Je me faifois un lâche point d'honneur, De mépriser, d'infulter fon ardeur; Le croirois-tu? je l'accablai d'outrages., Quels tems hélas ! les violens orages Des paffions qui troubloient mon deftin A mes parens m'arracherent enfin ; Tu fçais depuis quel fut mon fort funefte J'ai tout perdu, mon amour feul me reste Le Ciel, ce Ciel qui doit nous defunir, Me laiffe un cœur, & c'eft pour me punir. JASMIN.
S'il eft ainfi, fi dans votre misére
Vous la r'aimez, n'ayant pas mieux à faire, De Croupillac le confeil étoit bon,
De vous fourrer, s'il fe peut, chez Rondon; Le fort maudit épuifa votre bourfe, L'amour pourroit vous fervir de reffource. EUPHEMON fils.
Moi, l'ofer voir? moi m'offrir à fes yeux, Après mon crime, en cet état hideux ?
Il me faut fuir un pere, une maîtrefle, J'ai de tous deux outragé la tendresse, Et je ne fçais, ô regrets fuperflus ! Lequel des deux doit me haïr le plus.
EUPHEMON fils, FIERENFAT,
Oilà, je crois, ce Préfident fi fage. EUPHEMON fils.
Lui? je n'avois jamais vû fon visage, Quoi! c'eft donc lui, mon frere, mon rival? FIEREN FAT.
En vérité cela ne va pas mal;
J'ai tant preffé, tant fermoné mon pere, Que malgré lui nous finiffons l'affaire ;
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