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tant que la conftitution de la Pièce pourra le permettre, ceux qu'il traîne à fa fuite. Nous fommes accoutumés à voir un Envieux chagrin & brufque. Un Sot paroît toujours content de lui, & croit toujours que les autres doivent l'être.

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Attachez-vous fur-tout à copier les tics qui, chez gens de l'état de votre perfonnage, ont coutume d'accompagner fon ridicule dominant. Repréfentezvous un Suffifant titré? Ayez l'air diftrait, & ne regardez que rarement celui à qui vous adreffez la parole. Un Petit-Maitre de robe? Prenez des manières affectées & précieufes. Dites avec langueur: Cela eft affreux. Il y a de quoi périr. Je fuis furieux, défefpéré.

Non-feulement profitez des moindres circonftances, pour faire fortir le ridicule de votre perfonnage, s'il en a quelqu'un; non-feulement développez-nous les défauts qui entrent dans la compofition de fon caractère, & prêtez-lui les tics communs chez les perfonnes de fa condition: mais encore, fi par hafard l'Auteur a négligé de le caractérifer par quelque travers, fuppléez-y, en lui donnant ceux qu'on peut vraisemblablement lui fuppofer. Si vous jouez le rôle du Valet d'un Riche impertinent, qu'on remarque en vous ce que peut fur les Domeftiques la contagion des mauvais exemples de leurs Maitres. Empruntez le ton & le maintien du Fat que vous fervez. Lorfque vous ferez fur la Scène avec quelque honnête Artifan; qu'on life dans vos yeux & dans votre action le plaifir que les perfonnes d'une condition vile ont à humilier quelqu'un, dont ils envient la fortune fans le refpecter.

Voulez-vous d'autres manières de nous faire rire de votre perfonnage? Que fes actions foient quelquefois contraires à fes intentions. Nous fommes. toujours divertis par un Amant qui, tranfporté d'un violent courroux contre fa Maitreffe, veut la fuir,

& qui par habitude prend le chemin de l'appartement de cette Beauté; par un Etourdi qui dit fort haut ce qu'il defire de tenir fecret; par un Balourd qui, chargé de deux lettres pour des maisons fituées l'une à droite & l'autre à gauche, ne fait pas attention en fe retournant, que la maifon, qui étoit à fa gauche, eft maintenant à fa droite.

Après avoir fongé à rendre votre personnage rifible, vous devez chercher, fi vous vous propofez de jouer finement, à nous réjouir aux dépens des autres perfonnages de la Comédie. Vous pouvez fouvent y réuffir avec les feuls fecours que la Pièce vous offre. Et pour les mettre à profit, vous n'avez qu'à rendre littéralement votre rôle où votre leçon eft toute dictée.

Une des reffources les plus sûres que vous puiffiez trouver dans la Pièce, pour nous divertir aux dépens des autres perfonnages, eft l'occafion que l'Auteur vous donne de parodier quelques-uns d'eux. Ces imitations font fréquentes dans la Comédie. Elles font fuppofées être dictées, tantôt par le reffentiment, ainfi que dans la Scène du Mifanthrope, où Célimène emprunte les tons par lefquels la prude & jaloufe Arfinoé a couvert du voile de l'amitié fes difcours défobligeans; tantôt par le fimple enjouement, comme lorfque Damon, dans le Philofophe Marié, répète après Céliante,

Ce portrait-là n'eft pas fort à votre avantage:
Mais, malgré vos défauts, je vous aime à la rage.

Et lorfque Pafquin, dans l'Homme à bonnes Fortu-
nes, affectant les grands airs de fon Maître, adreffe à
Marton les mêmes difcours tenus par Moncade à
cette Suivante: Suis-je bien, Marton?.... Adieu♣
mon Enfant.... Je vous fouhaite le bon jour.

Autant ces imitations plaifent-elles, quand elles

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font rendues avec la fineffe convenable, autant deviennent-elles froides & infipides, quand elles n'ont pas cet avantage. Dans ce dernier cas, c'eft un portrait fans vie. Dans l'autre, c'eft un portrait qui refpire & qui penfe.

Plufieurs perfonnes de Théâtre ne mettront, entre les imitations que je viens de citer, d'autres différences que celles qu'y fuppofent la condition & le fexe des perfonnages. Les Acteurs & les Actrices d'un ordre fupérieur, y en mettront de plus délicates. Ils remarqueront qu'il eft permis à Damon & à Pafquin de faire éclater leur malice; qu'au contraire Célimène doit diffimuler la fienne; que Damon & le Valet de l'Homme à bonnes Fortunes, peuvent copier tous les tons de Céliante & de Moncade; mais que la Maitreffe du Mifanthrope ne peut emprunter que quelques-uns de ceux d'Arfinoé; que ff elle ne doit pas de fort grands égards à une fauffe amie, elle s'en doit à elle-même, & qu'il faut qu'elle évite d'amener entr'elles la rupture à un éclat déshonorant pour l'une & pour l'autre.

Lorfque les grands Acteurs ne peuvent tirer de la Pièce les fecours dont ils ont befoin, ils les tirent de leur propre génie. Guidés par ce maitre, ils s'ouvrent plufieurs routes qui les conduisent au but propofé.

Souvent c'eft un contretems, qui nous réjouit d'autant plus qu'il caufe plus d'impatience à quelque perfonnage. Deux perfonnes s'introduisent dans une maifon. I importe à l'une qu'on ignore qu'elle y eft entrée. L'autre, par le bruit qu'elle fait, l'expofe à être découverte. Un Maître croit ne pouvoir affez tôt lire une lettre que fon Valet lui apporte. Celui-ci le défefpère par la lenteur avec laquelle il la cherche, ou par l'étourderie avec laquelle il prend un papier pour un autre. Erafte, dans les Folies amoureufes, ouvre avec empreffement le billet qu'Agathe,

la faveur d'un feint délire musical, a trouvé le moyen de lui remettre. On compte qu'il va lire tranquillement ce billet. Tout-à-coup Crifpin interrompt fon Maître, en répétant à plufieurs reprises les dernières notes chantées par la jeune Pupille d'Albert. Cette faillie eft extrêmement comique, parce qu'on ne peut qu'être agréablement furpris par l'obftacle imprévu qui trouble la lecture d'Erafte. Cette même faillie a de plus le mérite d'être dans la plus exacte vraisemblance, parce que la fureur du chant femble être une maladie dont nous ne pouvons prefque nous garantir, lorfque nous avons entendu beaucoup chanter ou jouer des inftrumens. De pareils contretems, inventés & placés avec art, renferment un double avantage. Ils nous font rire, & du perfonnage qui en eft la caufe, & de celui qui en fouffre quelque incommodité. Je ne finirois point, fi je voulois indiquer tous les moyens par lesquels, en repréfentant un perfonnage, on nous procure l'occafion de nous moquer des autres perfonnages de la Pièce.

Par divers exemples que j'ai rapportés, il est aifé de s'appercevoir que plufieurs fineffes contribuent feulement à rendre la Repréfentation plus agréable. Autant qu'il eft poffible, elles doivent, de même que celles qui font deftinées à la rendre plus vraie, naître naturellement des fuppofitions établies par l'Auteur, & lorfqu'elles n'ont pas cet avantage, on defire du moins qu'elles ne paroiffent pas trop re

cherchées.

Sur-tout il ne faut point vouloir donner de l'efprit à la perfonne que vous représentez, lorsqu'elle eft cenfée devoir n'en point avoir, ou n'en avoir que peu. Il ne faut pas non plus employer une fineffe qui fuppofe dans le perfonnage une entière liberté de raifon, lorfque le trouble qui l'agite ne lui perd'avoir une certaine attention à ce qu'il fait & à ce qu'il dit.

met pas

Ces deux règles font fondées fur une qui eft la bafe de toutes les autres. Quand on ne peut mettre de fineffe fans nuire à la vérité, il eft effentiel de préférer le jeu vrai au jeu fin.

A cette maxime j'ajouterai celle-ci. Il eft plus fage de n'employer aucune fineffe que d'en hafarder de manquées. En fait d'impreffions agréables, nous aimons mieux n'en point éprouver, que d'en éprouver d'imparfaites.

Quelquefois, pour vouloir jouer trop finement un rôle, on le joue moins bien. Les traits ingénieux ne réuffiffent qu'autant qu'ils partent de fource, & l'on ne commande pas toujours au génie. Difpenfant librement fes richeffes, il ne les accorde jamais à qui veut les obtenir de force. Quand il refufe d'aider les Comédiens, ils ne doivent point fonger à luš faire violence.

Pourvu que leur jeu foit vrai, il plaira fuffifament au plus grand nombre. Montmeny, qui repréfentoit fi admirablement l'Avocat Patelin, le vieux Débauché dans Turcaret, le Valet dans les Bourgeoifes la Mode, M. de Lorme dans les trois Coufines, & en général tous les Pay fans, jouoit très-médiocrement le rôle du Philofophe Marie.

Cependant parce qu'il étoit toujours vrai & naturel, il étoit applaudi par la multitude dans ce rôle comme dans les autres; & peut-être l'auroit-il été moins, fi, en forçant fon génie pour jouer avec plus de fineffe, il fe fut expofé à jouer avec moins de véritét

ENTRE

Des Jeux de Théâtre.

TRE les fineffes, les unes, pour être fenties, n'ont befoin que d'être écoutées. D'autres ont befoin d'être vues, & même quelquefois ne font destinées qu'à l'amufement des yeux. Ces dernieres fe nomment Jeux de Théâtre. Par rapport aux Auteurs Drama

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