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LETTRES

Où l'on commence par établir, contre l'opinion de bien des gens, la néceffité d'un bon Maître, ce qui donne lieu à d'autres difcuffions relatives à cette matière.

PREMIERE LETTRE, En réponse à de jeunes Adeurs. Vous me faites, Meffieurs, beaucoup plus d'honneur que je ne mérite, en vous adreffant à moi pour avoir des lumières fur un Art où vous voulez bien fuppofer que j'ai acquis quelques connoiffances. Il eft vrai qu'il y a trente ans que je joue la Comédie, & que je réfléchis fur la maniere de la jouer, & fur bien d'autres

B

objets qui tiennent au Spectacle en général. Si, de ces trente ans d'expérience & de réflexions, vous croyez qu'il puiffe réfulter quelques obfervations capables de vous intéreffer, ou de vous aider dans cette carrière, je vous communiquerai, avec une vraie fatisfaction, peu de découvertes que j'ai cru y faire pendant la plus belle moitié de ma vie ; &, quoique ces obfervations ne proviennent ni du premier Acteur, ni du premier Théâtre du monde, je dois préfumer que cette confidération n'influera point fur votre jugement, & que l'utilité que vous en retirerez, fera la feule balance où vous péTerez leur mérite & leur valeur.

Je fouhaiterois, Meffieurs, être à portée de vous développer ces inftructions moi-même de vive voix, & de vous expofer, dans différens rôles, la maniere de les rendre comme je les fens. Le fuccès eft toujours & plus sûr & moins lent, lorsqu'on peut joindre ainfi l'exemple au précepte; & le célèbre Boucher avoit raison de dire, qu'il ne fçavoit confeiller que le pinceau à la main, fuivant la méthode des grands Peintres d'Italie. Un feul exemple, bien clair & bien fenfible, fait plus d'impreffion fur l'efprit d'un Commençant, que l'étalage de vingt préceptes; en un mot, il ne fuffit pas d'enfeigner à bien jouer un rôle, fi on ne montre encore comment on le joue effectivement. C'est une épreuve que j'ai fouvent faite dans les divers fujets que j'ai eu à former, foit pour

des Théâtres publics, foit pour des Théâtres particuliers; & fi, dans le nombre de mes Elèves, j'ai eu la fatisfaction d'en voir réuffir quelques-uns au-delà de mon attente, ça été moins en leur inculquant les regles, qu'en leur mettant fous les yeux la façon de rendre chaque perfonnage; on a beau les exhorter à étudier la Nature, à chercher la vérité; on a beau leur crier: du feu, de l'ame,plus haut, plus bas,&c. toutes paroles inutiles, qui ne fervent qu'à embrouiller davantage, à moins qu'on n'ait foin de les appuyer par des exemples remarquables & fréquens.

Segnius irritant animos demiffa per aurem,

Quàm quæ funt oculis fubjecta fidelibus.

Il en eft comme de toutes les idées : celles que nous recevons d'abord par les fens, fe gravent bien plus profondément dans notre ame, que celles que nous n'acquérons qu'à force de recherches, de travail & de réflexions.

Il réfulte de-là qu'il faut, non-feulement des principes, des leçons; mais qu'un bon Maître, en fait de Comédie, doit être un vrai Prothée capable de représenter, d'une manière palpable, toutes fortes de caractères aux yeux d'un Elè

ve;

& fi, à fon tour, ce dernier ne se sent, ni l'aptitude à faifir les diverfes impreffions du Maître, ni l'intelligence néceffaire pour se garantir des mauvais exemples, qui ne fe préfentent que trop fouvent; je crois que le plus pru

dent pour lui eft de renoncer à un Art dans lequel il ne parviendroit jamais à une certaine fupériorité, eût-il même plufieurs autres difpofitions effentielles. L'une des principales qualités du Comédien eft, fans contredit, la facilité naturelle à être imitateur, & à ne l'être qu'à propos & avec difcernement. Envain s'efforceroit-on de rectifier ce défaut de tact & de conception; ce feroit s'obstiner à faire chanter jufte quelqu'un qui auroit abfolument la voix fauffe: Tu nihil invita dices, faciefve Minervá. En un mot, c'eft la Nature qui commence & qui ébauche le Comédien; comme c'est l'art l'exercice & l'étude qui l'achevent & le perfectionnent. C'est ainsi qu'une belle voix exercée acquiert plus de légéreté, plus de douceur, de force & d'étendue. Il fe rencontre, à la vérité, des Sujets nés avec de fi heureufes difpofitions, qu'au lieu de leçons, ils n'ont, tout au plus, befoin que de confeils; mais ces phénomènes font fi rares, qu'à peine en apperçoit-on un feul dans vingt Troupes les plus renommées.

Au refte, les Acteurs de la plus grande vogue ne font pas toujours les plus capables de la fonction délicate de former un Elève. On a vu des fujets briller avec éclat, tant fur la scène Françaife, que fur la fcène Lyrique, faits plutôt pour gâter le goût théâtral, que pour le perfectionner; parce qu'ils avoient une maniere à eux, d'autant plus dangéreuse à imiter, qu'elle n'étoit pas tout-à-fait celle de la nature,

Feu Poiffon, perfonnage grotesque, quoique d'un certain mérite dans fon genre, a fait bredouiller, de fon tems, tous ceux qui ont voulu le copier.

On ne cite que celui-là, & on le cite fans fcrupule; parce que la vérité, qui ne fçauroit plus nuire à fa perfonne, peut du moins fervir au progrès de l'art, & garantir nos jeunes gens du preftige d'une mauvaife imitation, à laquelle ils ne font que trop enclins: preftige qui leur cache fouvent un précipice, qu'ils ne fçauroient être trop foigneux d'éviter.

En effet, un Acteur en réputation aura un grafféyement; celui-ci un nazonnement ou quelque tic particulier; celui-là une voix canarde ou fépulchrale, & autres défauts semblables, qu'on ne leur paffe qu'en faveur de beaucoup de qualités fupérieures. Or un Commençant maladroit, confondant le bon avec le mauvais, ne manquera pas de copier précisément les défauts qu'on reproche à ces Acteurs, s'il n'eft arrêté par un Guide habile & clairvoyant. Bouffole qu'il ne doit jamais perdre de vue, s'il ne veut s'égarer fur cette mer périlleuse. Ne voyons-nous pas tous les jours de jeunes Acteurs, agréables d'ailleurs à bien des égards, vouloir copier fcrupuleufement M. Molé jufques dans fon manque de poitrine? Obfervez les, fur-tout dans un Drame ou dans une Tragédie, vous les verrez, criant à tort & à travers, s'abandonner à une fougue mono

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