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tone, auffi froide qu'impétueufe, quelquefois même auffi indécente que ridicule: efpèces de convulfions, que bien des gens prennent pour du feu & des entrailles, mais qui ne font que le fruit d'une imitation déplacée, mal-adroite, & le plus fottement combinée qu'il foit poffible. Ce qu'il y a de fingulier, & en même tems de malheureux pour ces Acteurs, c'est qu'ils fe trouvent d'autant plus autorifés à ces fortes d'écarts, qu'il ne font jamais plus applaudis que dans leur véhémence exceffive, & dans leurs extinctions de voix ; c'est-à-dire lorfqu'ils n'en peuvent plus & qu'ils font prêts à rendre l'ame; fi bien, qu'en continuant à s'egoziller de la forte, ils ne peuvent manquer de devenir tout-à-fait déteftables, & peut-être poitrinaires, ce qui eft encore pis.

«L'Acteur qui ne fent rien, dit un Auteur mo» derne*, voulant emprunter la fenfibilité d'un » autre, tâche en vain de l'imiter; il fe tour» mente, il s'épuife, il étouffe le Comédien pour » donner la vie au perfonnage; il contrefait l'ac» tion, la voix, le débit, le gefte; il croit dérober » le feu célefte, il n'en eft que le froid parodifte, » & le Spectateur ne prend que trop fouvent » le Singe pour l'homme effectif. Au-lieu qu'un » feul trait paffionné, rendu d'après nature, » nous enleve, nous met à la place du Poëte » de l'Acteur & du Perfonnage: ce n'eft plus

Garrick, ou les Acteurs Anglois.

» l'imagination, c'eft notre ame toute entière » qui fe représente ce qu'elle applaudit: le » Héros eft en nous-mêmes, nous fentons fes » douleurs, fes plaifirs, & nous croyons être » tout ce que nous admirons. Mais l'art mé» prisable d'imiter au Théâtre n'eft pour » l'Acteur que le malheureux talent de copier » une copie. Celle-ci a pu être parfaite, fi la » Nature a été fon premier modèle; l'autre » toujours incertaine & obfcure, n'offre que des » traits affoiblis ou défigurés, qui même, en » approchant le plus de ce fecond original, » rendent encore l'affectation plus fenfible. Les » Comédiens devroient avoir toujours préfent » à l'efprit ce beau Vers de M. de Voltaire. » Non, n'imitons perfonne, & fervons tous d'exemple.

» Enfin, imiter ftrictement la maniere d'être » d'un Acteur, n'est qu'une opération vile & » méchanique, où la Nature n'a aucune part. » Quand l'Acteur ne fent rien, qu'il s'y prenne » comme il voudra, nous voyons qu'il ne fent >> rien; & pendant que quelques-uns l'applau» diffent, (car nous avons encore plus de mau"vais Juges, que de mauvais Comédiens) » mille gens font infenfibles à tous fes efforts, » quoique foutenus des beautés de la Pièce & » de l'illufion théâtrale ».

On ne doit pas néanmoins confondre abfolument les termes, en ne mettant aucune différence entre imiter & copier : il en eft une très

grande affurément; & autant une copie fervile eft dangereuse, autant je crois une imitation fage & modérée très-permise en fait de talent. Ainfi ce terme peut être pris en bonne ou en mauvaise part, fuivant les circonftances. Il est certain qu'on peut & qu'on doit même imiter les grands modèles en tout genre, en choifir les

côtés, & tâcher de les adapter, autant qu'il eft poffible, à fes propres moyens. La vue d'une feule figure de Michel Ange en apprit plus à Raphaël, que tous les livres fur la Peinture.« Enfin l'imitation, bien loin d'être un »vice, dit un Critique moderne, eft au contraire » un principe de vie & de développement pour »les difpofitions qu'on a reçues de la Nature. » C'est allumer fon flambeau aux rayons du »Soleil ; & ceux qui n'imitent point, ne feront » jamais imités ». Mais, malgré cela, il y a des bornes à tout; & 1 homme en général est naturellement fi enclin à ce penchant, qu'on ne fauroit trop fe défier de foi-même, afin de ne pas le pouffer jufqu'à copier fervilement les défauts des autres; & c'est de ces bas Copiftes qu'Horace a dit fans doute: O imitatores, fervum pecus!

Je connois, entr'autres, un jeune Acteur* de cette espèce, qui réunit, à cette aptitude fingulière à tout copier, les plus féduifantes qualités de la nature. On regrette de ne pas lui en voir tirer meilleur parti, faute, ou de con

Le fieur Che**.

feils étrangers, ou d'un certain jugement perfonnel : ce qui l'entraîne souvent dans des incartades les plus inattendues. Cependant, fi cet Acteur, fufceptible comme il eft de toutes fortes d'impreffions, étoit guidé ou contenu; & s'il avoit autant de docilité & de modeftie, qu'il a de tact & de difpofitions, ce feroit un des plus jolis Comédiens que l'on connoiffe en ce genre, & le plus fait pour égaler bientôt fon brillant Modèle. Mais la manie de vouloir copier tout indiftinctement fans choix ni mefure, le met précisément dans le cas de l'apoftrophe latine qu'on vient de citer.

Sur-tout rien n'eft plus dangereux, en ce cas, que de fe laiffer éblouir par le clinquant des fuccès ou des réputations. On n'a vû, que trop fouvent, des Commençantes gâter les plus heureufes difpofitions, pour avoir voulu choisir pour modèles certaines Actrices à grandes prétentions; mais fi guindées, fi précieufes & fi affectées dans tout leur jeu, leur extérieur & leur maintien, qu'elles femblent brouillées avec la Nature & lui tourner le dos? Sans doute de telles Actrices peuvent d'abord, avec ces feuls talens factices & une grande vogue, en imposer à la multitude ou à des efprits prévenus, qui prendront pour des graces réelles, ce qui n'eft que pure afféterie. Mais ce font de ces préventions qui ne durent qu'un tems, & dont tôt ou tard on ne peut manquer de reconnoître le caprice auffi faux que mal fondé. Ainfi

donc une Commençante, & même de jeunes Demoifelles qui fréquentent le Spectacle, ne fauroient être trop en garde contre la contagion de femblables Précieufes, capables de corrompre toute espèce de ton & de goût naturel. Minaudières ridicules, dont un Poëte de nos jours* a fait le portrait d'une maniere fi reffemblante:

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Juges plus délicats, Spectateurs moins commodes » Chaffons loin de nos yeux ces tragiques Pagodes, Qui, marchant par refforts, & toujours fe guindant, Soupirent avec art, pleurent en minaudant ...

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» Dont chaque fentiment devient une grimace, » Dont l'air fymmétrisé m'affadit ou me glace, » Et dont les tons mielleux, les yeux toujours muets, Affectent la douleur, & ne pleurent jamais... » Cette froide méthode eft pleine d'imposture, » Et ce n'eft point ainfi que parle la Nature ».

Or l'affectation étant certainement, de tous les défauts, le plus aifé a contracter; il n'eft donc qu'un Maître sûr, impartial & très-éclairé qui puiffe garantir du danger d'une pareille imitation, & qui foit de plus en état d'accélérer les progrès d'un Acteur.

Qu'on life l'Im-promptu de Versailles; on verra fi Moliere ne formoit pas lui-même ses Acteurs, & s'il ne cherchoit pas à les fauver de toutes ces mauvaises impreffions : & vraifemblablement c'eft aux foins & aux leçons. de ce grand homme, qu'on a dû, en partie, les

*M. Dorat, Poëme de la Déclamation.

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