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Vignaud Lib. 6622-1925

DISCOURS PRÉLIMINAIRE.

Q

I.

De l'origine de la Souveraineté.

UOIQU'IL paroiffe que la nature ait rendu tous

les hommes égaux entr'eux, on ne peut cependant douter que Dieu n'en ait destiné quelques-uns pour les associer à son Empire fouverain : & il ne faut pas s'imaginer, que cette fouveraineté, qui les éleve audeffus des autres hommes, n'ait pour premier principe que l'ambition. Elle n'eft point de pure inftitution humaine ; elle eft une fuite néceffaire de cet ordre harmonieux que la fage Providence a établi dans l'Univers, & par lequel il fe conferve.

L'homme eft né libre dans fes actions, il est destiné par la nature à la fociété, il faloit donc néceffairement, pour en former les liens & pour unir les peuples, qu'il fût affujéti à une autorité. Habiter la même terre, parler le même langage ne fufit pas : ces premiers liens de la fociété auroient été bientôt rompus, & la liberté même dont jouit l'homme, feroit devenue funefte aux uns & inutile aux autres, fi la Providence n'avoit assujéti les hommes à une autorité, qui métant un frein aux paffions & à la violence, les reglât tous. Car quand chacun fait ce qu'il veut & n'a pour régle que fes défirs, tout va en confufion, & il n'y a point de pire état que l'Anarchie; c'est-à-dire, l'Etat où il n'y a point de Gouvernement & d'autorité. Où tout le monde veut faire ce qu'il veut, nul ne fait ce qu'il veut; où il n'y a point de maître, tout le monde eft le maître, & où tout le monde eft le maître tout le monde eft efclave. Ce n'eft qu'à l'abri de l'autorité du Gouvernement que chacun jouit & de fon bien & de fa liberté, que les faciétés fe forment, qu'elles s'aug

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mentent, & qu'elles fe foutiénent.* Chaque particulier y eft en repos contre les opreffions & la violence; les veuves, les orfelins, les pupiles, les enfans mêmes Y font forts, chacun y trouvant toutes les forces de la nation réunies en fa faveur.

Le premier Empire parmi les hommes eft l'Empire paternel, qui les acoutumant à obéir, les acoutume en même tems à n'avoir qu'un chef. Dieu ayant mis dans nos parens, comme étans en quelque façon les auteurs de notre vie une image de la puiffance, par laquelle il a tout fait, il leur a auffi tranfmis une image de la puiffance qu'il a sur fes œuvres. Dans les premiers tems du monde, chaque pere de famille l'éxerçoit dans toute fon étendue. Il étoit le chef fouverain de fa famille, l'arbitre & le juge des diférends qui y naiffoient, & le légiflateur né de la fociété qui lui étoit foumife. A mesure que chaque famille croiffoit par la naiffance & par la multiplication des alliances, leur petit domaine s'étendoit, & elles vinrent peu à peu à former des bourgs & des villes par l'union qu'elles firent entr'elles, pour s'affifter mutuellement contre la jaloufie, ou les infultes de leurs voifins. Ces fociétés étant devenuës plus nombreuses par la fucceffion des tems, & les familles s'étant partagées en diverses branches, qui avoient chacune leur chef, la diférence des caracteres & des interêts de chacun de ces chefs, fit naître des querelles, qui n'étant décidées que par la force, ne pouvoient manquer d'avoir des fuites très-dangereufes. Il fut donc néceffaire de réunir tous ces chefs fous une même autorité, & de confier le gouvernement à un seul pour maintenir le repos public. Et les hommes qui avoient vu une image de Royaume dans l'union des familles fous la conduite d'un pere commun, fe portérent aisément à fe faire des fociétez de familles fous des Rois qui leur tinffent lieu de peres. C'eft pour cela aparament que

Si defint qui imperint, nullâ in re præclarè quicquam geri potest. Xenophon, 1. 3. Magiftratibus opus eft, fine quorum prudentia & diligentiâ, effe civitas non po teft. Cic. 1. 3. de Legibus.

Fallitur, egregio quifquis fub principe credit
Servitium, nunquam libertas gratior extat

Quam fub Rege pio. Claudien in laudes Stiliconis, Paneg. 3

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les anciens peuples de la Palestine apelloient leurs Rois
ABIMELECH, c'est-à-dire, mon pere le Roi. Les fujets se
tenoient comme les enfans du Prince, & chacun l'apel-
lant mon pere le Roi, ce nom devint comun à tous les
Rois du pais. De-là nous pouvons juger que la premiere
idée de comandement & d'autorité humaine, eft venuë
aux hommes de l'autorité paternelle.

Ces nouveaux chefs, pour relever l'éclat de leur di-
gnité, prirent ou reçurent avec le nom de Roi, tout cet
apareil, qui imprime du refpect aux peuples, c'eft-à-dire,
un trône, un fceptre, des oficiers, des gardes; on leur
acorda des tributs, & on leur confia un plein pouvoir
pour administrer la juftice; & dans cette vûë, on les ar-
ma du glaive, pour réprimer les injustices & pour punir
les crimes. On voit des Rois de bonne heure dans le
monde, & il paroît par l'Ecriture, que chaque ville, &
chaque petite contrée, avoit fon Roi.
On compte 33
Rois dans le feul petit païs que les Hebreux conquirent.
Outre cette maniere inocente de faire des Rois, l'am-
bition en a inventé une autre. Elle a fait des conquérans,
dont Nemrod, petit-fils de Chus, fut le premier.

Il y a eu encore d'autres formes de gouvernement que
celle de la Royauté. Les Hiftoires font voir un grand
nombre de Républiques, dont les unes fe gouvernoient
par tout le peuple; ce qui s'apelloit Democratie, & les au-
tres par les Grands, ce qui s'apelloit Ariftocratie. De tou-
tes les formes de gouvernement, la Monarchie eft la plus
comune, la plus anciéne, & auffi la plus naturelle. Elle
a fon fondement & fon modele dans l'empire paternel;
c'est-à-dire, dans la nature même. Auffi voyons-nous que
tout le monde comence par des Monarchies, & que pref-
que tout le monde s'y eft confervé, comme dans l'état M. de Meaux,
le plus naturel. Comme ce gouvernement eft le plus na- rée de l'Ecri-
Politique ti-
turel, il eft par conféquent le plus durable, & dès-là ture Sainte.
auffi le plus fort, par l'union qu'il établit parmi les hom-
mes, & dont l'éfet nous eft marqué par ces paroles de
l'Ecriture: Au comandement de Sail tout Ifrael fortit comme
un feul homme. Il eft le plus opofé à la divifion, qui
eft le mal le plus effentiel des Etats & la cause la plus cer-

Politique tirée de l'Ecriture Sainte.

Juges XVII. 6.

taine de leur ruine. Jamais on n'eft plus uni que fous un feul chef; jamais auffi on n'eft plus fort, parce que tout va au concours. Les armées, où paroît le mieux la puiffance humaine, veulent naturellement un feul chef. Tout eft en péril quand le comandement eft partagé.

Mais de toutes les Monarchies, la meilleure eft la fucceffive & héréditaire, fur-tout quand elle va de mâle en mâle, & d'aîné en aîné. C'est celle C'eft celle que Dieu établit parmi fon peuple, après l'avoir fait paffer par les autres formes de gouvernement, pour le conduire comme par degrés au plus parfait.

Trois raifons font voir que ce gouvernement eft le meilleur.

La premiere, c'eft qu'il eft le plus naturel, & qu'il fe perpétue de lui-même. Les peuples s'y acoutument d'euxmêmes. Point de cabales, point de brigues pour se faire un Roi: la nature y a pourvû; elle en a fait un; le mort, difons-nous, faifit le vif, & le Roi ne meurt jamais. Le gouvernement est le meilleur, qui eft le plus opofé à l'Anarchie, le pire de tous les Etats, puisqu'elle est toujours acompagnée de mille defordres. L'Ecriture, en raportant l'exemple du Levite, qui viola ce qu'il y a de plus faint, nous en done la raison : c'est, dit-elle, qu'en ce tems-là il n'y avoit point de Roi en Ifrael, & que chacun faifoit ce qu'il trouvoir à propos.

La feconde raifon qui favorife ce gouvernement, eft que c'est celui qui intereffe le plus à la confervation de Etat, les Puiffances qui le conduifent. Le Prince qui travaille pour fon Etat, travaille pour ses enfans. L'amour qu'il a pour fon Royaume, confondu avec celui qu'il a pour fa famille, lui devient naturel. Il eft naturellement doux de ne montrer au Prince d'autre fucceffeur que fon fils; c'est-à-dire, un autre lui-même, ou ce qu'il a de plus proche. Alors il voit fans envie paffer fon Royaume en d'autres mains; il ne faut pas craindre ici les défordres caufés dans un Etat par le chagrin d'un Prince, ou d'un Magiftrat, qui fe fâche de travailler pour fon fucceffeur. La troifiéme raison est tirée de la dignité des Maisons

Tout Royaume divifé en lui-même fera défolé, Math. XII. 25.

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