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gis, monsieur de Troyes, monsieur de Toulon1, le P. Bourdaloue, son compagnon 2, Despréaux et Corbinelli. On parla des ouvrages des anciens et des modernes ; Despréaux soutint les anciens, à la réserve d'un seul moderne, qui surpassait à son goût et les vieux et les nouveaux. Le compagnon de Bourdaloue qui faisait l'entendu et qui s'était attaché à Despréaux et à Corbinelli, lui demanda quel était donc ce livre si distingué dans son esprit? Il ne voulut pas le nommer, Corbinelli lui dit : « Monsieur, je vous conjure de me le dire, afin que je le lise toute la nuit. » Despréaux lui répondit en riant : « Ah! Monsieur, vous l'avez lu plus d'une fois, j'en suis assuré. » Le Jésuite reprend et presse Despréaux de nommer cet auteur si merveilleux, avec un air dédaigneux, un cotal riso amaro3. Despréaux lui dit : « Mon Père, ne me pressez point. » Le Père continue. Enfin Despréaux le prend par le bras, et, le serrant bien fort, lui dit : « Mon Père, vous le voulez eh bien! c'est Pascal, morbleu ! — Pascal, dit le Père tout rouge, tout étonné, Pascal est beau autant que le faux peut l'être. Le faux, dit Despréaux, le faux! sachez qu'il est aussi vrai qu'il est inimitable; on vient de le traduire en trois langues. » Le Père répond : « Il n'en est pas plus vrai. » Despréaux s'échauffe, et criant comme un fou : « Quoi! mon Père, direzvous qu'un des vôtres n'ait pas fait imprimer dans un de ses livres qu'un chrétien n'est pas obligé d'aimer Dieu? Osez-vous dire que cela est faux? Monsieur, dit le Père en fureur, il faut distinguer. Distinguer, dit Despréaux, distinguer, morbleu! distinguer, si nous sommes obligés d'aimer Dieu!» et, prenant Corbinelli par le bras, s'enfuit au bout de la chambre; puis, revenant, et courant comme un forcené 5, il ne voulut jamais se rapprocher du Père, s'en alla rejoindre la compagnie qui était demeurée dans la salle où l'on mange ici finit l'histoire 6, le rideau tombe.

:

1. Deux évêques ; le second était beau-frère du président de Lamoignon. 2. Un jésuite.

3. Un rire si amer. Allusion à un vers du Tasse, dans la Jérusalem délivrée. 4. Voir notre Notice sur Pascal.

5. Voir dans nos extraits de Scarron une note des Stances de Béatrix. 6. Pas complètement, car c'est à la suite de cette querelle que, par une prosopopée plaisante, Despréaux, dans une satire intitulée l'Amour de Dieu, fera dire à Dieu, ouvrant ses bras à ceux qui ne l'aiment point :

Entrez au Ciel, venez, comblés de mes louanges,
Du besoin d'aimer Dieu désabuser les anges

MADAME DE GRIGNAN AU PRÉSIDENT DE MOULCEAU 1

Le 28 avril 1696.

Votre politesse ne doit pas craindre, Monsieur, de renouveler ma douleur, en me parlant de la douloureuse perte que j'ai faite 2. C'est un objet que mon esprit ne perd pas de vue, et qu'il trouve si vivement gravé dans mon cœur, que rien ne peut l'augmenter ni le diminuer. Je suis très persuadée, Monsieur, que vous ne sauriez avoir appris le malheur épouvantable qui m'est arrivé, sans répandre des larmes ; la bonté de votre cœur m'en répond. Vous perdez une amie d'un mérite et d'une fidélité incomparables : rien n'est plus digne de vos regrets : et moi, Monsieur, que ne perdéje point! quelles perfections ne réunissait-elle point, pour être à mon égard, par différents caractères, plus chère et plus précieuse ! Une perte si complète et si irréparable ne porte pas à chercher de consolation ailleurs que dans l'amertume des larmes et des gémissements. Je n'ai point la force de lever les yeux assez haut pour trouver le lieu d'où doit venir le secours ; je ne puis encore tourner mes regards qu'autour de moi, et je n'y vois plus cette personne qui m'a comblée de biens, qui n'a eu d'attention qu'à me donner tous les jours de nouvelles marques de son tendre attachement, avec l'agrément de la société. Il est bien vrai, Monsieur, il faut une force plus qu'humaine pour soutenir une si cruelle séparation et tant de privations. J'étais bien loin d'y être préparée : la parfaite santé dont je la voyais jouir, un an de maladie qui m'a mise cent fois en péril, m'avaient ôté l'idée que l'ordre de la nature pût avoir lieu à mon égard. Je me flattais, je me flattais de ne jamais souffrir un si grand mal; je le souffre, et le sens dans toute sa rigueur. Je mérite votre pitié, Monsieur, et quelque part dans l'honneur de votre amitié, si on la mérite par une sincère estime et beaucoup de vénération pour votre vertu. Je n'ai point changé de sentiments pour vous depuis que je vous connais, et je crois vous avoir dit plus d'une fois qu'on ne peut vous honorer plus que je fais 3.

1. Président de la chambre des comptes de Montpellier, ami de Corbinelli et de M. de Grignan. Madame de Sévigné lui écrivait pour le jour de l'an, et quand elle avait quelqu'un à lui recommander.

2. Madame de Sévigné était morte, auprès de sa fille, de la petite vérole, le 17 avril.

3. M. de Sévigné, qui fréquentait les littérateurs de son siècle, a écrit, lui

MADAME DE MAINTENON

(1635-1719)

Rarement l'imagination d'un romancier a inventé des événements aussi étranges que ceux dont la succession compose la vie de Françoise d'Aubigné, marquise de Maintenon. Petite-fille d'Agrippa d'Aubigné, le fameux huguenot, c'est elle qui, convertie au christianisme, et persécutant ses anciens coreligionnaires, inspira la révocation de l'édit de Nantes; née dans la prison de Niort, elle épousa à dix-sept ans, pour sortir de la misère, le poète Scarron, plus difforme que jamais homme ne le fut, et plus âgé qu'elle de vingt-cinq ans ; et c'est au milieu des cyniques propos du poète et de ses compagnons de table que se passa la jeunesse de celle qui devait, à cinquante ans, épouser Louis XIV, précipiter dans la plus austère dévotion la fin du xviie siècle, et s'éteindre, oubliée, à Saint-Cyr, quatre ans après celui qui avait gouverné l'Europe, et qu'elle gouvernait. Madame de Maintenon tient une place importante dans l'histoire littéraire par la fondation de la maison de Saint-Cyr, destinée à recueillir et à élever deux cent cinquante jeunes filles nobles et pauvres. La littérature fut en honneur dans la maison de Saint-Cyr, pour laquelle Racine écrivit Esther et Athalie. Pour ses chères filles madame de Maintenon composa des Entretiens sur l'éducation des filles, et des Conseils aux demoiselles pour leur conduite dans le monde, qui sont d'un vif intérêt. M. Lavallée a réuni ses autres œuvres sous le nom de Lettres sur l'éducation des filles (1 vol.), Lettres historiques et édifiantes (2 vol.), Correspondance générale (4 vol.), Mémoires (2 vol.).

aussi d'une façon assez agréable; on en peut juger par ce billet qu'il adressait à sa sœur, au milieu d'une lettre de leur mère :

Livry, 28 octobre 1676.

La fille du seigneur Alcantor (voir la scène n du Mariage forcé) n'épousera donc point le seigneur Sganarelle (M. de la Garde), qui n'a que cinquante-cinq ou cinquante-six ans. J'en suis fâché, tout était dit, tous les frais étaient faits. Je crois que la difficulté de la consommation a été le plus grand obstacle. Le chevalier de la gloire (le chevalier de Grignan) ne s'en trouvera pas plus mal; cela me console. Ma mère est ici pour l'amour de moi; je suis un pauvre criminel, que l'on menace tous les jours de la Bastille ou d'être cassé. J'espère pourtant que tout s'apaisera par le retour prochain de toutes les troupes. L'état où je suis pourrait tout seul produire cet effet; mais ce n'est plus la mode. Je fais donc tout ce que je puis pour consoler ma mère, et du vilain temps, et d'avoir quitté Paris; mais elle ne veut pas m'entendre quand je lui parle là-dessus. Elle revient toujours sur les soins que j'ai pris d'elle pendant sa maladie ; et, à ce que je puis juger par ses discours, elle est fâchée que mon rhumatisme ne soit pas universel, et que je n'aie pas la fièvre continue, afin de pouvoir me témoigner toute sa tendresse et toute l'étendue de sa reconnaissance. Elle serait tout à fait contente, si elle m'avait seulement vu en état de me faire confesser; mais, par malheur, ce n'est pas pour cette fois il faut qu'elle se réduise à me voir clopiner, comme clopinait jadis M. de la Rochefoucauld, qui va présentement comme un Basque. Nous espérons vous voir bientôt; ne nous trompez pas, et ne faites point l'impertinente; on dit que vous l'êtes beaucoup sur ce chapitre. Adieu, ma belle petite sœur je vous embrasse mille fois du meilleur de mon cœur. >>

A PROPOS DE L'ÉDUCATION DES JEUNES FILLES

1er août 1686.

.... Il faut entrer dans les divertissements des enfants, mais il ne faut jamais s'accommoder à eux par un langage enfantin, ni par des manières puériles; on doit au contraire les élever à soi en leur parlant toujours raisonnablement; en un mot, comme on ne peut-être ni trop ni trop tôt raisonnable, il faudrait accoutumer les enfants à la raison dès qu'ils peuvent entendre et parler, et d'autant plus qu'elle ne s'oppose pas aux plaisirs honnêtes qu'on doit leur permettre.

Les agréments extérieurs, la connaissance des langues étrangères, et mille autres talents dont on veut que les filles de qualité soient ornées, ont leurs inconvénients pour elles-mêmes; car ces soins prennent un temps qu'on pourrait employer plus utilement. Les demoiselles de la maison de Saint-Louis1 ne doivent pas être élevées de cette manière, quand on le pourrait; car, étant sans bien, il n'est pas à propos de leur élever l'esprit et le cœur d'une façon si peu convenable à leur fortune et à leur état.

(Lettres sur l'éducation des filles, éd. Lavallée, p. 26.)

RÉFORME DE SAINT-CYR

A MADAME DE FONTAINES 2,

Maitresse générale des classes 3.

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20 septembre 1691.

La peine que j'ai sur les filles de Saint-Cyr ne se peut réparer que par le temps et par un changement entier de l'éducation que nous leur avons donnée jusqu'à cette heure ;

1. Plus connue sous le nom de Saint-Cyr. Le morceau cité fait partie d'une instruction aux dames de Saint-Louis, qui n'étaient encore que douze.

2. Agée de trente-trois ans. Septieme dame de Saint-Louis. Elle avait prononcé ses vœux simples le 6 juillet 1686, et ne devait prononcer ses vœux solennels qu'à la fin de 1693.

3. C'était l'une des quatre grandes officières de la maison. 4. Au sujet des.

5. « Les applaudissements publics, les visites du roi, les relations avec de grands poètes, les voyages à Versailles dans les carrosses de la cour, avaient tourné la tête aux demoiselles, leur avaient inspiré des idées de vanité et de hauteur, et un goût du monde et du bel esprit qui causèrent un vrai désordre dans la maison. Elles devinrent indépendantes, fières, dégoûtées de la simplicité, en un mot, insupportables.... Elles en vinrent à ne plus vouloir chanter à l'église, pour ne pas gåter leur voix avec des psaumes et du latin. Madame de Maintenon écrivait à ce sujet à la classe bleue (10 décembre 1689): « On prétend que vous ne voulez point chanter les chants d'uglise, et que vous

il est bien juste que j'en souffre, puisque j'y ai contribué plus que personne, et je serai bien heureuse si Dieu ne m'en punit pas plus sévèrement. Mon orgueil s'est répandu par toute la maison, et le fond en est si grand qu'il l'emporte même par-dessus mes bonnes intentions. Dieu sait que j'ai voulu établir la vertu à Saint-Cyr; mais j'ai bâti sur le sable 1. N'ayant point ce qui seul peut faire un fondement solide, j'ai voulu que les filles eussent de l'esprit, qu'on élevât leur cœur, qu'on formât leur raison; j'ai réussi à ce dessein : elles ont de l'esprit, et s'en servent contre nous; elles ont le cœur élevé, et sont plus fières et plus hautaines qu'il ne conviendrait de l'être aux plus grandes princesses, à parler même selon le monde; nous avons formé leur raison, et fait des discoureuses présomptueuses, curieuses, hardies. C'est ainsi que l'on réussit quand le désir d'exceller nous fait agir. Une éducation simple et chrétienne aurait fait de bonnes filles, dont nous aurions fait de bonnes femmes et de bonnes religieuses, et nous avons fait de beaux esprits que nous-mêmes, qui les avons formés, ne pouvons souffrir; voilà notre mal, et auquel j'ai plus de part que personne 2. Nous avons voulu éviter les petitesses de certains couvents, et Dieu nous punit de cette hauteur; il n'y a point de maison au monde qui ait plus besoin d'humilité extérieure et intérieure que la nôtre : sa situation près de la cour 3, sa gran

désespérez M. Nivers (le maître de chant). Vous chantiez si bien les chants d'Esther, pourquoi ne voulez-vous pas chanter les psaumes? Serait-ce le théâtre que vous aimeriez, et n'êtes-vous pas trop heureuses de faire le métier des anges ?» (DUC DE NOAILLES, Madame de Maintenon, III, p. 107-108.)

1.

:

Le bien de la fortune est un bien périssable:
Quand on bâtit sur elle, on bâtit sur le sable.

(RACAN.)

2. « Elle en vint, dit M. Th. Lavallée, dans son Histoire de la Maison royale de Saint-Cyr (p.101), à réprouver ce qu'elle aimait le plus, la conversation, les lettres, les belles lectures: « On ecrit trop à Saint-Cyr, disait-elle, on ne peut trop en désaccoutumer nos demoiselles. Il vaut mieux qu'elles n'écrivent pas si bien que de leur donner le goût de l'écriture, qui est si dangereuse pour les filles..... N'en faites pas des rhétoriciennes, ne leur inspirez pas le goût de la conve rsation. Elles s'ennuieront à mourir dans leurs familles; qu'elles aiment le silence il convient à notre sexe... Ne leur montrez plus de vers: tout cela élève l'esprit, excite l'orgueil, leur fait goûter l'éloquence et les dégoûte de la simp/cité; je parle même de vers sur de bons sujets: il vaut mieux qu'elles n'en voient point. » Enfin elle résume toute sa pensée dans ces paroles, qui devinrent la base de l'éducation de Saint-Cyr : « Apprenez-leur à être extrêmement sobres sur la lecture, à lui préferer toujours l'ouvrage des mains, les soins du ménage, les devoirs de leur état. Elles ont infiniment plus besoin d'apprendre à se conduire chrétiennement dans le monde, et à gouverner les familles avec sagesse que de faire les savantes et les héroïnes. Les femmes ne savent jamais qu'à demi, et le peu qu'elles savent, les rend communément fières, dédaigneuses, causeuses et dégoûtées des choses solides. »

3. On sait que Saint-Cyr est tout à coté de Versailles.

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