DU RYER Pierre du Ryer était fils d'un poète, qui lui laissa pour toute fortune son goût pour la poésie. D'abord secrétaire du roi, puis secrétaire du duc de Vendôme, enfin historiographe de France, il dut, pour vivre, se soumettre aux exigences avides des libraires, et écrire de nombreuses traductions, dont une seule semble avoir été faite avec le texte sous les yeux, celle de Cicéron (1652). Parmi ses œuvres dramatiques, Ménage vante beaucoup la tragédie d'Alcyonéc (1639), les frères Parfaict celle de Scévole (1646). On peut signaler aussi son Esther (1643), et l'amusante comédie des Vendanges de Suresne, qui parut, comme le Cid, en 1636. Du Ryer, qui n'est qu'un poète de second ordre, eut une grande réputation de son temps, et fut appelé à l'Académie en 1646, avant Corneille. quelque étendue qui mérite d'être cité; mais les vers pittoresques abondent. Osman s'irrite contre son oncle Moustapha, un insensé, qui prédit sa chute prochaine (II, 11): Si j'entrais en colère, il me prendrait envie De voir s'il a prévu le terme de sa vie, Si de quelque fer chaud il peut être aveuglé, Si d'une corde d'arc il doit être étranglé, S'il ne craint point la flamme, ou n'a point peur encore De trouver, en buvant, trop d'eau dans le Bosphore. Plus tard (IV, 1) les janissaires en tumulte envahissent le palais, et Osman parait au balcon : Qui vous fait assembler pour me donner conseil ? On trouverait dans la Mort de Sénèque des traits aussi pittoresques, par exemple, ce dialogue entre Néron et Sabine (Poppéc), qui demande la mort de Sénèque (1, 1): SABINE. il vient pour ses pareils des poisons d'Orient NÉRON. Sabine, à l'entreprendre, en a perdu ses peines: Citons aussi ce dialogue entre Épicaris et Poppée, remarquable par la familiarité tragique de l'expression (V): SABINE. L'impudente! La terre est-elle bien capable ÉPICARIS. Elle peut sans horreur porter Épicaris, SABINE. Ta langue pour ce mot sera bientôt coupée. CONFUSION D'HAMAN 1 HAMAN 2. Puisqu'un sujet fidèle et prudent à la fois LE ROI. J'estime ton avis, et, pour mieux te l'apprendre, HAMAN. Oui, Sire. LE ROI. C'est celui Que j'aime, que j'honore, et qui fut mon appui. HAMAN. Quoi, sire? Mardochée est ce sujet fidèle? LE ROI. C'est lui, mon cher Haman, dont j'honore le zèle. 1. Comparer Racine, Esther, II, v. Le sujet d'Esther avait été mis sur la scène française, avant du Ryer, par Andre de Rivaudeau en 1566, par Pierre Mathieu en 1578, par Montchrétien en 1602, et par Villetoustain, sous le nom de Japien Marfrière, en 1620. 2. Assuerus demande à son favori ce qu'il peut faire pour un sujet auquel il veut rendre des honneurs extraordinaires; Haman se figure que c'est lui-même que le roi veut récompenser. 3. Mardochée est l'ennemi d'Haman. HAMAN. Quoi, sire? à Mardochée un même honneur qu'au roi? LE ROI. Tu l'as ordonné tel, tel il l'aura de moi. HAMAN. Mais il fit son devoir, s'il vous rendit service. LE ROI. Et je ferai le mien, si je lui rends justice. HAMAN. Sire, il faut à son rang mesurer vos bienfaits. LE ROI. Je le dois mesurer par les biens qu'il m'a faits... HAMAN. Aux princes seulement, ces appuis des provinces. LE ROI. Haman, de bons sujets me tiennent lieu de princes; Je sais bien estimer la noblesse du sang; Mais la fidélité me plaît plus que le rang. Mais, Sire..... HAMAN. LE ROI. Mais enfin, pour tirer Mardochée De cette obscurité dont sa gloire est cachée, Le bien que je lui dois, et qu'elle a mérité, Je veux rendre par toi ses honneurs sans égaux : Enfin, quelques grands biens qu'il puisse demander, Et montre par l'ardeur que j'espère de toi Que tu ch ris 'es cœurs qui chérissent leur roi 1. MAIRET Le Besançonnais Mairet, comme l'appelle Corneille, débuta au théâtre à seize ans par Chryséide et Arimand, une tragi-comédie dont le sujet était emprunté à l'Astrée. Encouragé par le succès, il donna successivement deux autres pastorales, Sylvie (1621), et Sylvanire, qui n'était d'ailleurs que la Sylvanire en vers blancs de d'Urfé, à laquelle il avait mis des rimes. Les Galanteries du duc d'Ossonne, et la tragi-comédie de Virginie furent très bien accueillies. Cependant le Hollandais Daniel Heinsius avait publié en 1611 une édition fort appréciée de la Poétique d'Aristote. Les fameuses règles des trois unités commençaient à être discutées; Richelieu décida que Mairet, qui avait le premier défendu les règles dans la Préface de sa Sylvanire, devait le pre 1. Les exhortations de Mardochée à Esther (IV, 1) ne manquaient pas non plus d'énergie: L'infortune des Juifs, leurs douleurs et leurs craintes Non, non, c'est pour un bien que cette grâce éclate, C'est pour vous témoigner qu'il faut que l'on combatte mier les appliquer en France, et sa Sophonishe, imitée du Trissin, fut notre première pièce régulière (1629). C'est d'ailleurs une œuvre remarquable, que ne dépasseront guère la Sophonisbe de Corneille (1663) et celle de Voltaire (1774). On peut encore citer parmi les dernières œuvres de Mairet une de nos premières pièces turques, le Grand et dernier Solyman ou la Mort de Mustapha (1630). Bien qu'il ne fit pas partie de l'Académie, Mairet fut un des plus violents adversaires du Cid. Il engagea contre Corneille une vive controverse, à la suite de laquelle, malgré sa longue vie, il ne donna plus rien au théâtre. IMPRÉCATIONS DE MASSINISSE CONTRE ROME Cependant en mourant, ô peuple ambitieux, Puisses-tu rencontrer, soit en paix, soit en guerre, (Sophonisbe, V, Ix.) A MONSIEUR CORNEILLE, POÈTE COMIQUE, SUR SA VEUVE2 ÉPIGRAMME Rare écrivain de notre France, 1. Il est très évident que Corneille s'est souvenu de ces vers, lorsqu'il a écrit les fameuses imprecations de Camille (Horace, IV, v). 2. En 1633. Tous les rimeurs du temps, Scudéry en tête, adressèrent deg vers à Corneille pour le complimenter de son succès, mais l'affectueuse admi. ration de Mairet pour Corneille ne résista pas au succès du Cid. 3. Héroïne de la première comédie de Corneille (1629). 4. Caliste et l'orise, dans Clitandre (1632). |