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DU RYER
(1605-1658)

Pierre du Ryer était fils d'un poète, qui lui laissa pour toute fortune son goût pour la poésie. D'abord secrétaire du roi, puis secrétaire du duc de Vendôme, enfin historiographe de France, il dut, pour vivre, se soumettre aux exigences avides des libraires, et écrire de nombreuses traductions, dont une seule semble avoir été faite avec le texte sous les yeux, celle de Cicéron (1652). Parmi ses œuvres dramatiques, Ménage vante beaucoup la tragédie d'Alcyonéc (1639), les frères Parfaict celle de Scévole (1646). On peut signaler aussi son Esther (1643), et l'amusante comédie des Vendanges de Suresne, qui parut, comme le Cid, en 1636. Du Ryer, qui n'est qu'un poète de second ordre, eut une grande réputation de son temps, et fut appelé à l'Académie en 1646, avant Corneille.

quelque étendue qui mérite d'être cité; mais les vers pittoresques abondent. Osman s'irrite contre son oncle Moustapha, un insensé, qui prédit sa chute prochaine (II, 11):

Si j'entrais en colère, il me prendrait envie

De voir s'il a prévu le terme de sa vie,

Si de quelque fer chaud il peut être aveuglé,

Si d'une corde d'arc il doit être étranglé,

S'il ne craint point la flamme, ou n'a point peur encore

De trouver, en buvant, trop d'eau dans le Bosphore.

Plus tard (IV, 1) les janissaires en tumulte envahissent le palais, et Osman parait au balcon :

Qui vous fait assembler pour me donner conseil ?
L'ombre est-elle en état d'éclairer le soleil ?

On trouverait dans la Mort de Sénèque des traits aussi pittoresques, par exemple, ce dialogue entre Néron et Sabine (Poppéc), qui demande la mort de Sénèque (1, 1):

SABINE.

il vient pour ses pareils des poisons d'Orient
Dont la douce rigueur fait mourir en riant.

NÉRON.

Sabine, à l'entreprendre, en a perdu ses peines:
Il n'étanche sa soif qu'au courant des fontaines,
Et depuis quelque temps, pour apaiser sa faim.
Ne mange que des fruits qu'il cueille de sa main.

Citons aussi ce dialogue entre Épicaris et Poppée, remarquable par la familiarité tragique de l'expression (V):

SABINE.

L'impudente! La terre est-elle bien capable
De porter un moment ce monstre insupportable?

ÉPICARIS.

Elle peut sans horreur porter Épicaris,
Puisqu'elle porte bien la femme aux trois maris.

SABINE.

Ta langue pour ce mot sera bientôt coupée.

CONFUSION D'HAMAN 1

HAMAN 2.

Puisqu'un sujet fidèle et prudent à la fois
Est le plus grand trésor que possèdent les rois,
Jugeant en sa faveur, sire, j'oserai croire
Qu'on ne peut le combler d'une trop haute gloire,
Et qu'un prince régnant ne doit rien réserver
Ou pour se l'acquérir ou pour le conserver.
Si donc de vos faveurs la splendeur immortelle
Doit luire abondamment sur un sujet fidèle,
Si vous lui destinez des honneurs sans égaux,
Faites-le revêtir des ornements royaux.
Faites dessus son front briller le diadème,
Faites-le voir au peuple en ce degré suprême,
Et que quelqu'un des grands publie à haute voix
Qu'ainsi soient honorés ceux qu'honorent les rois.
Que si quelque envieux ose attaquer sa vie,
Immolez à son bien l'envieux et l'envie.....

LE ROI.

J'estime ton avis, et, pour mieux te l'apprendre,
Ton avis est celui que ton prince veut prendre.
Connais-tu Mardochée 3?

HAMAN.

Oui, Sire.

LE ROI.

C'est celui

Que j'aime, que j'honore, et qui fut mon appui.

HAMAN.

Quoi, sire? Mardochée est ce sujet fidèle?

LE ROI.

C'est lui, mon cher Haman, dont j'honore le zèle.
Ce n'est qu'en sa faveur que j'ai pris tes avis.....

1. Comparer Racine, Esther, II, v. Le sujet d'Esther avait été mis sur la scène française, avant du Ryer, par Andre de Rivaudeau en 1566, par Pierre Mathieu en 1578, par Montchrétien en 1602, et par Villetoustain, sous le nom de Japien Marfrière, en 1620.

2. Assuerus demande à son favori ce qu'il peut faire pour un sujet auquel il veut rendre des honneurs extraordinaires; Haman se figure que c'est lui-même que le roi veut récompenser.

3. Mardochée est l'ennemi d'Haman.

HAMAN.

Quoi, sire? à Mardochée un même honneur qu'au roi?

LE ROI.

Tu l'as ordonné tel, tel il l'aura de moi.

HAMAN.

Mais il fit son devoir, s'il vous rendit service.

LE ROI.

Et je ferai le mien, si je lui rends justice.

HAMAN.

Sire, il faut à son rang mesurer vos bienfaits.

LE ROI.

Je le dois mesurer par les biens qu'il m'a faits...
Quoi? veux-tu t'opposer à tes propres conseils?
A qui destinais-tu ces honneurs sans pareils?

HAMAN.

Aux princes seulement, ces appuis des provinces.

LE ROI.

Haman, de bons sujets me tiennent lieu de princes; Je sais bien estimer la noblesse du sang;

Mais la fidélité me plaît plus que le rang.

Mais, Sire.....

HAMAN.

LE ROI.

Mais enfin, pour tirer Mardochée

De cette obscurité dont sa gloire est cachée,
Pour rendre avec usure à sa fidélité

Le bien que je lui dois, et qu'elle a mérité,
Je veux en sa faveur, devant que tu sommeilles,
Te voir exécuter ce que tu me conseilles ;

Je veux rendre par toi ses honneurs sans égaux :
Fais-le donc revêtir des ornements royaux,
Fais briller sur son front l'éclat du diadème,
Fais-le voir à mon peuple en ce degré suprême.
Toi-même en sa faveur publie à haute voix
Qu'ainsi soient honorés ceux qu'honorent les rois.
Que si quelque envieux ose noircir sa vie,
Immole à son repos l'envieux et l'envie.

Enfin, quelques grands biens qu'il puisse demander,
A qui m'a tout sauvé je dois tout accorder.
Va m'obéir, Haman, va-t'en me satisfaire;
Exécute cet ordre, ou crains de me déplaire;

Et montre par l'ardeur que j'espère de toi

Que tu ch ris 'es cœurs qui chérissent leur roi 1.
(Esther, V, II.)

MAIRET
(1604-1686)

Le Besançonnais Mairet, comme l'appelle Corneille, débuta au théâtre à seize ans par Chryséide et Arimand, une tragi-comédie dont le sujet était emprunté à l'Astrée. Encouragé par le succès, il donna successivement deux autres pastorales, Sylvie (1621), et Sylvanire, qui n'était d'ailleurs que la Sylvanire en vers blancs de d'Urfé, à laquelle il avait mis des rimes. Les Galanteries du duc d'Ossonne, et la tragi-comédie de Virginie furent très bien accueillies. Cependant le Hollandais Daniel Heinsius avait publié en 1611 une édition fort appréciée de la Poétique d'Aristote. Les fameuses règles des trois unités commençaient à être discutées; Richelieu décida que Mairet, qui avait le premier défendu les règles dans la Préface de sa Sylvanire, devait le pre

1. Les exhortations de Mardochée à Esther (IV, 1) ne manquaient pas non plus d'énergie:

L'infortune des Juifs, leurs douleurs et leurs craintes
Ont besoin de secours, et non pas de vos plaintes.
Ce n'est pas les aider que de craindre pour eux,
Et c'est agir pour vous qu'aider ces malheureux;
Car enfin croiriez-vous éviter les tempêtes
De qui le coup mortel tomberait sur leurs têtes,
Et que leur mauvais sort respectant votre rang
N'allát pas jusqu'au trône épuiser votre sang?
Si, pour sauver les Juifs, votre bras ne s'emploie,
Le Ciel, pour les sauver, peut faire une autre voie
Il peut fendre la terre en des chemins nouveaux,
De même que pour eux il put fendre les eaux.
Mais aussi redoutez que le Ciel qu'on outrage
Ne laisse sur vous seule éclater cet orage.
Pour avoir négligé des peuples malheureux.
Et retenu le bien qu'on vous donna pour eux.
Croyez-vous que le Ciel vous rende souveraine,
Et vous donne l'éclat et le titre de reine,
Pour briller seulement de l'illustre splendeur
Que répandent sur vous la pourpre et la grandeur?
Croyez-vous aujourd'hui posséder la couronne
Pour jour seulement des plaisirs qu'elle donne?
Que si, vous abusant par un nouveau désir,
Vous croyez que les rois sont nés pour le plaisir,
Croyez que le plaisir des princes équitables
Consiste à secourir les peuples misérables.
Dans le même moment que des cœurs inhumains
Arment contre les Juifs de sanguinaires mains,
Un roi qui vous chérit vous donne une puissance
Capable d'étouffer cette injuste licence;
Pensez-vous que ce Dieu qui fait tout sagement
Vous fasse voir en vain ce grand événement?

Non, non, c'est pour un bien que cette grâce éclate,

C'est pour vous témoigner qu'il faut que l'on combatte
Le pouvoir qu'il vous donne avecque tant d'éclat
Est pour vous le signal qu'il donne du combat.

mier les appliquer en France, et sa Sophonishe, imitée du Trissin, fut notre première pièce régulière (1629). C'est d'ailleurs une œuvre remarquable, que ne dépasseront guère la Sophonisbe de Corneille (1663) et celle de Voltaire (1774). On peut encore citer parmi les dernières œuvres de Mairet une de nos premières pièces turques, le Grand et dernier Solyman ou la Mort de Mustapha (1630). Bien qu'il ne fit pas partie de l'Académie, Mairet fut un des plus violents adversaires du Cid. Il engagea contre Corneille une vive controverse, à la suite de laquelle, malgré sa longue vie, il ne donna plus rien au théâtre.

IMPRÉCATIONS DE MASSINISSE CONTRE ROME

Cependant en mourant, ô peuple ambitieux,
J'appellerai sur toi la colère des cieux :

Puisses-tu rencontrer, soit en paix, soit en guerre,
Toute chose contraire et sur mer et sur terre;
Que le Tage et le Pô, contre toi rebellés,
Te reprennent les biens que tu leur as volés;
Que Mars, faisant de Rome une seconde Troie,
Donne aux Carthaginois tes richesses en proie;
Et que dans peu de temps le dernier des Romains
En finisse la race avec ses propres mains 1.

(Sophonisbe, V, Ix.)

A MONSIEUR CORNEILLE, POÈTE COMIQUE, SUR SA VEUVE2

ÉPIGRAMME

Rare écrivain de notre France,
Qui le premier des beaux esprits
As fait revivre en tes écrits
L'esprit de Plaute et de Térence,
Sans rien dérober des douceurs
De Mélite 3 ni de ses sœurs,
O Dieu ! que ta Clarice est belle,
Et que de veuves à Paris

1. Il est très évident que Corneille s'est souvenu de ces vers, lorsqu'il a écrit les fameuses imprecations de Camille (Horace, IV, v).

2. En 1633. Tous les rimeurs du temps, Scudéry en tête, adressèrent deg vers à Corneille pour le complimenter de son succès, mais l'affectueuse admi. ration de Mairet pour Corneille ne résista pas au succès du Cid.

3. Héroïne de la première comédie de Corneille (1629).

4. Caliste et l'orise, dans Clitandre (1632).

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