Souhaiteraient d'être comme elle, LA CALPRENÈDE Le Gascon Gautier de Costes de La Calprenède, après avoir fait ses études à Toulouse, vint à Paris vers l'âge de vingt et un ans, et fut bientôt officier dans le régiment des gardes et gentilhomme ordinaire de la chambre du roi. Bien que s'excusant de manier la plume d'une main qui ne devait porter que l'épée, il donna au théâtre, en un an, à côté du Cid, quatre tragédies, la Mort de Mithridate, Bradamante, Jeanne d'Angleterre, et Clarionte ou le Sacrifice sanglant. La première n'est pas sans valeur. Son Comte d'Essex ne fut représenté que fort longtemps après sa mort. La Calprenède écrivit encore quatre tragédies, dont une en prose, Hermenegilde (1643), puis se consacra au roman. Sa Cassandre (10 vol. in-12, 1660,), son Faramond (7 vol. in-8, 1661), sa Cléopátre (23 vol. in-12, 1662), dont le personnage d'Artaban est resté proverbial, ravissaient madame de Sévigné et ses contemporains par une délicatesse de sentiments, qui leur était commune avec les romans de mademoiselle de Scudéry, et aussi par les grands coups d'épée dont ils étaient pleins. BÉRÉNICE A PHARNACE 2 Par cette passion que mes yeux firent naître, Par la fidélité que je t'ai fait paraître, 1. Du Ryer adressa aussi deux épigrammes à Corneille sur sa Veuve: 1 Ta Veuve s'est assez cachée, Ne crains point de la mettre au jour : II Que pour louer ta belle Veuve Chacun de son esprit donne une riche preuve, Qu'elle est soeur de Mélite et fille de Corneille. 2. Pharnace s'est allié aux Romains contre Mithridate, son père, qu'il vient assieger. Tout à coup il voit apparaître sur les remparts de la ville assiégée sa femme, Bérénice, qu'il aime tendrement, et qui a refusé de s'associer à sa trahison. Bérénice le supplie de renoncer à une guerre sacrilège. Par ces feux innocents dans nos âmes conçus, Et par Ne me refuse point la grâce que je veux. Ton honneur seulement fait naître tous mes vœux; Si toi seul, plus que tous, ne m'es considérable : (La Mort de Mithridate, III, 1.) 1. On ne peut nier que ce couplet soit beau; il y a également de nobles accents dans ces reproches de Mithridate à Pharnace qui lui conseille de se soumettre (IV, 11): Ah! Pharnace, tu sais à quoi Rome destine Tu le sais, et, poussé d'une impudence extrême, ROTROU (1609-1650) La mort, qui enleva Rotrou à quarante et un ans, a sans doute privé la scène française de nombreux chefs-d'œuvre; car ce talent original, qui méprisa d'abord les règles et quelquefois le bon sens, s'était affiné et perfectionné à l'école de Corneille, et chacune des dernières œuvres de Rotrou a des parties qui sont d'un maitre. L'Hypocondriaque ou le Mort amoureux, qu'il avait donné dès 1628, attira sur lui l'attention de Richelieu, et le cardinal l'enrôla dans la Société des Cinq Auteurs, qui rimaient des tragédies sous sa direction. Rotrou, qui travaillait fort vite, trop vite, fit jouer de 1628 à 1636, malgré les occupations de sa charge, dixhuit tragédies ou comédies, parmi lesquelles une imitation de Plaute, les Sosies, réussit beaucoup à côté du Cid. Rotrou professait une vive admiration pour son illustre rival; il le prouva en défendant le Cid contre l'Académie, et en amenant ingénieusement son éloge dans la tragédie originale de SaintGenest (1646). Signalons encore parmi les meilleures œuvres de Rotrou Laure perséculée (1637), où la jalousie est très heureusement étudiée, Antigone (1638), Iphigénie en Aulide (1640), dans laquelle Rotrou a mis sur le théâtre le dénouement que dans Euripide un Messager se contentait de raconter, la Sour, comédie (1645), Venceslas (1647), le chef-d'œuvre du poète, et Cosroès (1649), dont le premier acte est fort remarquable. La mort de Rotrou n'est pas son moindre titre de gloire lieutenant particulier et civil au bailliage de Dreux, sa ville natale, il apprit à Paris qu'une maladie épidémique y sévissait avec fureur; il comprit qu'il était de son devoir de se rendre à son poste, et, sans phrases, il s'y rendit, et y mourut. Rotrou ne faisait pas partie de l'Académie. AMPHITRYON ET MERCURE 1 AMPHITRYON, frappant à la porte de son palais. Holà ! quelqu'un ici ! MERCURF, à la fenêtre, sous la figure de Sosie. Qu'est-ce ? AMPHITRYON. Ouvre tôt la porte. 1. Jupiter a pris la figure d'Amphitryon, et Mercure, celle de Sosie, valet d'Amphitryon; de là naissent une foule de méprises. Dans cette scène, Mercure, sous les traits de Sosie, refuse de reconnaitre pour son maitre le véritable Amphitryon, qui s'indigne de l'impudence du maraud. Voir la même scène dans nos extraits de Molière. Rotrou, dans les Sosies, imite l'Amphitryon de Plaute; Mclière, dans son Amphitryon, imite la pièce latine et la comédie française. MERCURE. Que veut cet insolent qui heurte de la sorte ? AMPHITRYON. Ouvre, c'est moi. MERCURE. Qui, moi ? AMPHITRYON. Moi, qui te parle, moi. MERCURE. T'exterminent les dieux, toi qui me parles, toi ! S'il frappe encore un coup, il mettra tout par terre. AMPHITRYON. Comment? MERCURE. Qu'est-ce, comment ? que veut cet insensé? AMPHITRYON. Quoi, tout, jusqu'aux esprits, est ici renversé ? MERCURE. Eh bien ! c'est moi; crains-tu que je l'oublie ? Achève, que veux-tu ? AMPHITRYON. Traître, ce que je veux ! MERCURE. Que ne veux-tu donc point? Réponds-moi, si tu peux. Il pense s'adresser à quelque hôtellerie, 1 De la façon qu'il frappe, et qu'il parle et qu'il crie. AMPHITRYON. Quel orage de coups va pleuvoir sur ta tête! MERCURE. Mais si ce malheur même arrive à qui menace ? 1. Stupéfait; comme dans le Cinna de Corneille (V, 1): Je demeure stupide. 2. Pour toi, sous-entendu. AMPHITRYON. A-t-il perdu l'esprit ? Dieux ! quelle est ton audace ? MERCURE. Spectre, qui que tu sois, fantôme, ombre vivante, AMPHITRYON. Connais-tu qui te parle, et sais-tu qui je suis ? MERCURE. Ni je ne te connais, ni ne te veux connaître. AMPHITRYON. Misérable est le serf qui s'attaque à son maître. MERCURE. Toi, mon maître ? AMPHITRYON. Qui donc ? MERCURE. O le doux passe-temps! AMPHITRYON. Je te le vais, pendard, apprendre à tes dépens. MERCURE. Autre qu'Amphitryon n'a droit de me l'apprendre : AMPHITRYON. Qu'entends-je ? quel parais-je ? et qui suis-je aujourd'hui ? MERCURE. Ne l'ai-je pas bien dit qu'il était insensé ? (Les Sosies, IV, II.) 1. Il prend une tuile à la main, pour la lui lancer. |