Vous avez pris soudain le crime entre nous deux. Il vous connaît peut-être, et me connaît aussi. Seigneur, c'est un moyen de vous être bien chère Où fuirais-je de vous après tant de furie, ANTIOCHUS. Non, je n'écoute rien, et dans la mort d'un frère Se fait bientôt connaître en achevant sur moi, Son crime redoublé peut arracher la foudre ! 1. Passer est pris ici activement, avec le sens de faire passer, comme dans Nicomède (Ill, vin) : Nous ne sommes qu'un sang, et ce sang dans mon cœur A peine à le passer pour calomniateur. 2. C'est-à-dire on prétend que je n'ai tué votre frère que pour arriver à vous tuer vous-même. Ah! gardez-vous de l'une et l'autre main ! Cette coupe est suspecte, elle vient de la reine; Craignez de toutes deux quelque secrète haine. CLÉOPATRE. Qui m'épargnait tantôt ose enfin m'accuser ! RODOGUNE. De toutes deux, Madame, il doit tout refuser. 1 ANTIOCHUS, prenant la coupe des mains de Cléopâtre, après Pardonnez-lui, Madame 2, un peu de défiance; RODOGUNE. Seigneur, voyez ses yeux Déjà tout égarés, troubles et furieux, 1. Il était d'usage de faire essayer par quelque esclave le breuvage destiné à un prince. Saint-Simon donne même le nom d'essai à la coupe à l'aide de laquelle se faisait cette épreuve. Ce détail, que quelques critiques ont reproché à Corneille, est donc bien en situation. 2. C'est à Cléopâtre qu'il s'adresse. Cette affreuse sueur qui court sur son visage, ANTIOCHUS, rendant la coupe à Laonice ou à quelque autre. Va, tu me veux en vain rappeler à la vie; Et, pour vous souhaiter tous les malheurs ensemble, 1. Ce dénouement sera celui de la Belle au bois dormant de Perrault. La reine, belle-mère de la princesse, en l'absence du roi, son fils, a voulu manger la jeune femme et ses deux enfants; son maître d'hôtel les a sauvés, en servant à l'ogresse d'autres mets; elle découvre un jour la ruse : « Furieuse d'avoir été trompée, elle commanda, dès le lendemain au matin, avec une voix épouvantable qui faisait trembler tout le monde, qu'on apportât au milieu de la cour une grande cuve, qu'elle fit remplir de crapauds, de vipères, de couleuvres et de serpents, pour y faire jeter la reine et ses enfants, le maître-d'hôtel, sa femme et sa servante: elle avait donné ordre de les amener les mains liées derrière le dos. Ils étaient là, et les bourreaux se préparaient à les jeter dans la cuve, lorsque le roi, qu'on n'attendait pas si tot, entra dans la cour, à cheval; il était venu en poste, et demanda tout étonné ce que voulait dire cet horrible spectacle. Personne n'osait l'en instruire, quand l'ogresse, enragée de voir ce qu'elle voyait, se jeta elle-même la tête la première dans la cuve, et fut dévorée en un instant par les vilaines bêtes qu'elle y avait fait mettre. Le roi ne laissa pas d'en être fâché: elle était sa mère; mais il s'en consola bientôt avec sa belle femme et ses enfants. >> 2. Voir une note de notre extrait du Menteur. 3. Entre ce vers et le suivant, les premières éditions portaient huit vers, que Voici : Je n'aimais que le trône, et de son droit douteux J'ai cru par ce poison en faire autant du reste; Corneille supprima ces vers avec grande raison. Une femme empoisonnée et mourante n'a pas le temps d'entrer dans ces détails; et une femme aussi forcenée que Cléopâtre ne rend point compte ainsi à ses ennemis. Les comédiens de Paris ont rétabli ces vers pour avoir le mérite de réciter quelques vers que personne ne connaissait. La singularité les a plus déterminés que goût. Ils se donnent trop de licence de supprimer et d'allonger des morceaux qu'on doit laisser comme ils étaient. » (VOLTAIRE.) le Puisse naître de vous un fils qui me ressemble1! ANTIOCHUS. Ah! vivez pour changer cette haine en amour2. CLÉOPATRE. Je maudirais les dieux s'ils me rendaient le jour3. (Rodogune, V, Iv, éd. Hémon, chez Delagrave.) Si ma naissance est basse, elle est du moins sans tache; Sanche, fils d'un pêcheur, mettait naguère en peine 1. Racine se souviendra de ce souhait dans son Athalie (V, vi) : Voici ce qu'en mourant lui souhaite sa mère : 2. Antiochus, il faut en convenir, devient ici un peu fade. 3. « Un jour où mademoiselle Dumesnil avait mis dans les imprécations de Cléopâtre toute l'énergie dont elle était dévorée, le parterre tout entier, par un mouvement d'horreur aussi vif que spontané, recula devant elle (on était alors debout au parterre), de manière à laisser un grand espace vide entre ses premiers rangs et l'orchestre. Ce fut aussi à cette représentation, à l'instant où, prête à expirer dans les convulsions de la rage, Cléopâtre prononce ce vers terrible : Je maudirais les dieux s'ils me rendaient le jour, que mademoiselle Dumesnil se sentit frappée d'un grand coup de poing dans le dos par un vieux militaire placé sur le théâtre; il accompagna ce trait de délire, qui interrompit le spectacle et l'artiste, de ces mots énergiques : « Va, chienne, à tous les diables!» et, lorsque la tragédie fut finie, mademoiselle Dumesnil le remercia de son coup de poing comme de l'éloge le plus flatteur qu'elle eût jamais reçu. » (LEMAZURIER, Galerie des acteurs du Théâtre-Francais, t. II.) 4. La pièce se termine par d'insipides félicitations des courtisans à Antiochus. 5. Un inconnu, Carlos, est devenu par sa bravoure, un des plus grands personnages de l'Etat; la reine songe même à l'épouser, lorsqu'on apprend qu'il est fils d'un pêcheur. Deux illustres rivaux sur le choix de leur reine 1; UN ÉLÈVE D'ANNIBAL PRUSIAS, NICOMÈDE, FLAMINIUS 2. FLAMINIUS. Sur le point de partir, Rome, seigneur, me mande PRUSIAS. Les soins qu'ont pris de lui le peuple et le sénat 1. La reine avait laissé à Carlos le soin de désigner celui des deux comtes qu'elle devait épouser. 2. Le faible Prusias, roi de Bithynie, qui craint toujours de se brouiller avec la république, vient cependant d'autoriser son fils, le belliqueux Nicomède, l'élève d'Annibal, et l'ennemi de Rome, à répondre en sa présence à l'ambassadeur romain Flaminius. 3. Attale, un fils du second lit de Prusias. 4. De le prouver. 5. Ce mot désignait autrefois la personne élevée, nourrie; il avait un sens analogue à celui de nourrisson, avec cette différence que nourrisson n'est pas du style noble : Comme il est votre fills il est ma nourriture. (TRISTAN, la Mort de Crispe, III, 1.) |