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Ne trouveront en moi jamais un père ingrat :
Je crois que, pour régner, il en a les mérites,
Et n'en veux point douter après ce que vous dites.
Mais vous voyez, seigneur, le prince, son aîné,
Dont le bras généreux trois fois m'a couronné 1;
Il ne fait que sortir encor d'une victoire;

Et pour tant de hauts faits je lui dois quelque gloire ;
Souffrez qu'il ait l'honneur de répondre pour moi.
NICOMÈDE.

Seigneur, c'est à vous seul de faire Attale roi.

PRUSIAS.

C'est votre intérêt seul que sa demande touche.
NICOMÈDE.

Le vôtre toutefois m'ouvrira seul la bouche.
De quoi se mêle Rome? et d'où prend le sénat,
Vous vivant, vous régnant, ce droit sur votre État?
Vivez, régnez, seigneur, jusqu'à la sépulture;
Et laissez faire après ou Rome, ou la nature.

PRUSIAS.

Pour de pareils amis il faut se faire effort.

NICOMÈDE.

Qui partage vos biens aspire à votre mort;
Et de pareils amis, en bonne politique....

PRUSIAS.

Ah! ne me brouillez point avec la république :
Portez plus de respect à de tels alliés.

NICOMÈDE.

Je ne puis voir sous eux les rois humiliés;
Et, quel que soit ce fils que Rome vous renvoie,
Seigneur, je lui rendrais 2 son présent avec joie.
S'il est si bien instruit en l'art de commander,
C'est un rare trésor qu'elle devrait garder,
Et conserver chez soi sa chère nourriture
Ou pour le consulat, ou pour la dictature.

FLAMINIUS, à Prusias.

Seigneur, dans ce discours qui nous traite si mal,
Vous voyez un effet des leçons d'Annibal;

1. Grâce à Nicomède, Prusias règne sur la Bithynie, la Cappadoce et le Pont.

2. A Rome.

Ce perfide ennemi de la grandeur romaine
N'en a mis en son cœur que mépris et que haine.
NICOMÈDE.

Non; mais il m'a surtout laissé ferme en ce point,
D'estimer beaucoup Rome, et ne la craindre point.
On me croit son disciple, et je le tiens à gloire ;
Et quand Flaminius attaque sa mémoire,
Il doit savoir qu'un jour il me fera raison
D'avoir réduit mon maître au secours du poison,
Et n'oublier jamais qu'autrefois ce grand homme
Commença par son père à triompher de Rome1.

Ah! c'est trop m'outrager.

FLAMINIUS.

NICOMÈDE.

N'outragez plus les morts.

PRUSIAS.

Et vous, ne cherchez point à former de discords;
Parlez, et nettement, sur ce qu'il me propose.

NICOMÈDE.

Eh bien! s'il est besoin de répondre autre chose,
Attale doit régner, Rome l'a résolu :

Et, puisqu'elle a partout un pouvoir absolu,
C'est aux rois d'obéir alors qu'elle commande.
Attale a le cœur grand, l'esprit grand, l'âme grande,
Et toutes les grandeurs dont se fait un grand roi 2.
Mais c'est trop que d'en croire un Romain sur sa foi.
Par quelque grand effet voyons s'il en est digne :
S'il a cette vertu, cette valeur insigne,

Donnez-lui votre armée, et voyons ces grands coups :
Qu'il en fasse pour lui ce que j'ai fait pour vous;
Qu'il règne avec éclat sur sa propre conquête,
Et que de sa victoire il couronne sa tête.
Je lui prête mon bras, et veux dès maintenant,
S'il daigne s'en servir, être son lieutenant.
L'exemple des Romains m'autorise à le faire ;
Le fameux Scipion le fut bien de son frère;
Et, lorsque Antiochus fut par eux détrôné,
Sous les lois du plus jeune on vit marcher l'aîné.

1. C'est là une erreur; Corneille a été abusé par une ressemblance de noms : c'est un Flaminius qui périt à Trasimène; c'est un Flamininus qui demanda à Prusias la tête d'Annibal.

2. Cette ironie, qui remplit le rôle de Nicomède, était sans exemple avant cette tra gédie.

Les bords de l'Hellespont, ceux de la mer Égée,
Le reste de l'Asie à nos côtés rangée,
Offrent une matière à son ambition.....

FLAMINIUS.

Rome prend tout ce reste en sa protection,
Et vous n'y pouvez plus étendre vos conquêtes
Sans attirer sur vous d'effroyables tempêtes.
NICOMÈDE.

J'ignore sur ce point les volontés du roi :
Mais peut-être qu'un jour je dépendrai de moi;
Et nous verrons alors l'effet de ces menaces.
Vous pouvez cependant faire munir ces places,
Préparer un obstacle à mes nouveaux desseins,
Disposer de bonne heure un secours de Romains;
Et si Flaminius en est le capitaine,

Nous pourrons lui trouver un lac de Trasimène.

PRUSIAS.

Prince, vous abusez trop tôt de ma bonté;
Le rang d'ambassadeur doit être respecté ;
Et l'honneur souverain qu'ici je vous défère....
NICOMÈDE.

Ou laissez-moi parler, sire, ou faites-moi taire;
Je ne sais point répondre autrement pour un roi
A qui dessus son trône on veut faire la loi.

(Nicomède, II, 111.)

POÉSIES DIVERSES.

SUR LE CARDINAL DE RICHELIEU

Qu'on parle mal ou bien du fameux cardinal,
Ma prose ni mes vers n'en diront jamais rien :
Il m'a fait trop de bien pour en dire du mal;
Il m'a fait trop de mal pour en dire du bien1.

1. C'est Pellisson qui publia le premier ce quatrain en 1653, dans sa Relation concernant l'histoire de l'Académie Française; or, on affirme que, cinq mois après la mort de Richelieu, au moment de la mort de Louis XIII, Corneille aurait écrit le sonnet suivant, lequel exprime des sentiments bien différents :

Sous ce marbre repose un monarque sans vice;
Dont la seule bonté déplut aux bons Français:
Ses erreurs, ses écarts vinrent d'un mauvais choix,
Dont il fut trop longtemps innocemment complice.
L'ambition, l'orgueil, la haine. l'avarice,
Armés de son pouvoir, nous donnèrent des lois;

QUATRAIN COMPOSÉ POUR UN TABLEAU DE L'ÉGLISE
SAINT-ROCH, SA PAROISSE

Pécheur, tu vois ici le Dieu qui t'a fait naître.
Sa mort est ton ouvrage, et devient ton appui;
Dans cet excès d'amour, tu dois au moins connaître
Que, s'il est mort pour toi, tu dois vivre pour lui.

STANCES

Marquise1, si mon visage
A quelques traits un peu vieux,
Souvenez-vous qu'à mon âge
Vous ne vaudrez guère mieux.

Le temps aux plus belles choses
Se plaît à faire un affront :
Il saura faner vos roses
Comme il a ridé mon front.

Le même cours des planètes
Règle nos jours et nos nuits :
On m'a vu ce que vous êtes;
Vous serez ce que je suis.

Et, bien qu'il fût en soi le plus juste des rois,
Son règne fut toujours celui de l'injustice.

Fier vainqueur en dehors, vil esclave en sa cour,
Son tyran et le nôtre perd à peine le jour
Que jusque dans sa tombe il le force à le suivre.

Et, par cet ascendant ses projets confondus,
Après trente-trois ans sur le trône perdus,
Commençant à régner, il a cessé de vivre.

M. Deschanel, dans le Romantisme des Classiques (Sixième Leçon), incline fort à croire que ce sonnet est faussement attribué à Corneille : « L'homme qui a écrit le quatrain, sans que rien l'y forçât, a-t-il pu écrire le sonnet quelques mois après ? Il y a là, ce me semble, une invraisemblance morale qui va jusqu'à l'impossibilité. »

1. Cette pièce est adressée à une jeune actrice, Marie-Anne Du Parc, qui avait alors (1658) vingt-cinq ans. Elle épousa l'acteur Gros-René. Lorsqu'elle quitta Rouen, Corneille lui adressa une élégie :

Allez, charmante Iris, allez en d'autres lieux, etc.

Tous les poètes du temps, Sarrasin, Molière et Thomas Corneille en tête, ont chanté sa beauté. C'est elle qui joua d'original, en 1667, l'Andromaque de Racine; elle mourut au milieu de son triomphe, à trente-cinq ans. La Voisin, dans son interrogatoire du 17 février 1680, déclara qu'elle avait ouï dire que Racine l'avait empoisonnée. Cela est odieusement ridicule.

Cependant j'ai quelques charmes
Qui sont assez éclatants

Pour n'avoir pas trop d'alarmes
De ces ravages du temps.

Vous en avez qu'on adore;
Mais ceux que vous méprisez
Pourraient bien durer encore
Quand ceux-là seront usés.

Ils pourront sauver la gloire
Des yeux qui me semblent doux,
Et dans mille ans faire croire
Ce qu'il me plaira de vous.

Chez cette race nouvelle,
Où j'aurai quelque crédit,
Vous ne passerez pour belle
Qu'autant que je l'aurai dit.

Pensez-y, belle marquise,
Quoiqu'un grison1 fasse effroi,
Il vaut bien qu'on le courtise
Quand il est fait comme moi.

SCARRON

(1610-1660)

« J'ai eu la taille bien faite, quoique petite; ma maladie l'a raccourcie d'un bon pied; ma tête est un peu grosse pour ma taille..... Mes jambes et mes cuisses ont fait premièrement un angle obtus, puis un angle droit, et, enfin, un angle aigu; mes cuisses et mon corps en font un autre, et, ma tête se penchant sur mon estomac, je ne ressemble pas mal à un Z. J'ai les bras raccourcis aussi bien que les jambes, et les doigts aussi bien que les bras: enfin je suis un abrégé de la misère humaine. » Tel était le portrait que traçait de lui-même le premier mari de celle qui devait s'appeler madame de Maintenon! Frustré de l'héritage de son père par une belle-mère jalouse, Scarron chercha à tirer

1. Un homme à cheveux gris

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