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Vous aurez avec moi disette de loquèle 1.
L'Empereur donc de qui je suis le parallèle...
M'entendez-vous, bailli?

LE BAILLI.

Encore moins.

Nenni.

DON JAPHET.

Le parangon..

LE BAILLI.

DON JAPHET, à part.

Comment!... Altérer mon jargon,

Ce serait déroger à ma noblesse antique :

Tâchons pourtant d'user de quelque terme oblique,
Pour nous accommoder à cet homme des champs.

(Haut.)

Charles-Quint donc, mon cher parent, en peu de temps,
M'ayant mis à mon aise, en prince de Cocagne 3,
Et tout à fait exclu des hôpitaux d'Espagne
(Car, bailli, dussiez-vous cent fois en enrager,
J'ai six mille ducats tous les ans à manger *),
Le cacique Uriquis et sa fille Azatèque,
L'un et l'autre natifs de Chicuchiquizèque,
Étant venus en cour pour se dépayser,
L'Empereur, mon cousin, me força d'épouser
Cette jeune Indienne, un peu courte et camarde",
Mais pourtant agréable en son humeur hagarde ";
A mes noces le grand César rien n'oublia,
Et fit le bon parent; même il trépudia...
Entendez-vous le mot trépudier, compère?

LE BAILLI.

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C'est danser, en vulgaire.

Enfin, en équipage à ma grandeur égal,

Mon train, moitié sur mule, et moitié sur cheval,

1. La loquèle est la facilité à parler un langage commun.
2. Synonyme vieilli de parallèle :

Nul ne se parangonne à ma grandeur royale.

(GARNIER, les Juives, II.)

3. Pays imaginaire, où tous les biens abondent.

4. Le ducat valait de dix à douze francs. Homme d'imagination, don Japhet enfle considérablement sa fortune; on nous a dit dans l'exposition qu'il avait cinq mille écus de rente.

5. Au nez épaté.

6. Sauvage.

Dans mon pays natal je menai ma famille,
C'est-à-dire Uriquis et ma femme sa fille.

Arrivé dans mon bourg, qu'on nomme Almodobar,
Mon beau-père Uriquis y devint gras à lard,

Et prit goût en nos vins. Ma compagne de couche
Fut, comme son papa, fort sujette à sa bouche :
Enfin, elle mourut d'un excès de melon,
Et son père Uriquis, d'un ulcère au talon.
De ce beau-père éteint, de cette femme éteinte,
Il ne me resta pas la moindre plume peinte,
Le moindre guenuchon 1, le moindre perroquet,
Tout leur bien du Pérou n'étant que du caquet.
Les gens d'Almodobar à leur dam 2 me déplurent;
Vous pouvez bien penser que punis ils en furent,
Et bientôt; car, prenant ma résolution,
J'ai choisi dans Orgas mon habitation,

Où je vais faire un train digne de mon mérite.

(Don Japhet d'Arménie, I, 11.)

ÉNÉE AUX ENFERS

3

A ce vilain visage-là 3,
D'Æneas le sang se gela.
Il saisit son fer par la garde.
<< Monsieur Æneas, prenez garde,
Dit la Sibylle, ces vilains

Sont corps fantastiques et vains",
Qui découpés ne peuvent être. »
Mais lui, qui n'était plus son maître
Alors qu'il avait dégainé,
Chamailla 5 comme un forcené 6;
Et, pensant fendre une Gorgonne 7,
Son coup ne rencontrant personne,
Le bon seigneur un peu trop prompt
Donna d'estomac et de front
En terre, aux pieds de la Sibylle,

1. Diminutif de guenon.

2. A leur détriment.

3. A la vue des ombres.

4. Qui n'ont que l'appparence, et qui sont sans consistance.

5. Voir dans nos extraits de Tristan la Mort d'Osman.

6. Voir plus haut une note des Stances de Béatrix.

7. Méduse ou une de ses sœurs.

Qui, comme elle était fort civile,
Sitôt qu'elle le vit tombé,
Jurant en chartier embourbé 1,

Lui présenta sa patte d'oie.....

(Enéide travestie, VI.)

CYRANO DE BERGERAC

(1619-1655)

Cyrano de Bergerac, né à Paris, eut un nombre considérable de duels à cause d'un nez trop long, d'un esprit trop acerbe, et d'une verve trop querelleuse. Par l'imagination et l'imprévu de l'expression, il est au premier rang des écrivains du dix-septième siècle, et Boileau n'a fait que lui rendre justice, en écrivant dans son Art poétique (IV, 39-40):

J'aime mieux Bergerac et sa burlesque audace
Que ces vers où Motin se morfond et nous glace;

son originalité était d'autant plus grande que le goût ne la retenait pas; c'est à cette absence de goût qu'il doit le discrédit un peu injuste où il est tombé, et d'où Théophile Gautier a vainement tenté de le ramener. Ses œuvres se composent de Lettres galantes ou satiriques, d'une très curieuse tragédie, la Mort d'Agrippine (1653), d'une comédie aussi longue que peu animée, le Pédant joué (1654), d'où Molière a tiré une scène excellente, et dans laquelle on remarque un rôle curieux de paysan, de l'Histoire comique des Etats et Empire du Soleil, et de l'Histoire comique des Etats et Empire de la Lune. Cyrano de Bergerac mourut à trente-six ans; s'il avait pu, avec l'âge, maitriser sa fougue, il aurait tenu une place importante et bien à lui parmi les écrivains du dix-septième siècle.

.....

CONTRE L'HIVER

Le barbare ne s'est pas contenté d'avoir ôté la langue à nos oiseaux, d'avoir déshabillé nos arbres, d'avoir coupé les cheveux à Cérès 2, et d'avoir mis notre grand'mère toute nue; afin que nous ne puissions nous sauver par eau

1. Telle est souvent l'orthographe des poètes au dix-septième siècle; ainsi La Fontaine (Fables, VI, 18):

Pour venir au chartier embourbé dans ces lieux, etc. 2. La déesse des moissons, la terre, aïeule des humains.

dans un climat plus doux, il les a toutes renfermées sous des murailles de diamant; et, de peur même que les rivières n'excitassent par leur mouvement quelque chaleur qui nous pût soulager, il les a clouées contre leur lit. Mais il fait encore bien pis; car, pour nous effrayer par l'image même des prodiges qu'il invente à notre destruction, il nous fait prendre la glace pour une lumière endurcie, un jour pétrifié, un solide néant, ou quelque monstre épouvantable, dont le corps n'est qu'un œil. La Seine, au commencement, effrayée des larmes du ciel, s'en troubla, et, appréhendant une suite funeste à la fortune de ses habitants, elle s'est raidie contre le poids qui l'entraîne, s'est suspendue, et s'est liée elle-même pour s'arrêter 1, afin d'ètre toujours présente aux besoins que nous pourrions avoir d'elle. Les hommes, épouvantés à leur tour des prodiges de cette effroyable saison, en tirent des présages proportionnés à leur crainte; s'il neige, ils s'imaginent que c'est peut-être au firmament le chemin de lait 2 qui se dissout, que cette perte fait de rage écumer le ciel, et que la terre, tremblant pour ses enfants, en blanchit de frayeur. Ils se figurent que l'univers est une tarte, que l'hiver, ce grand monstre, sucre pour l'avaler; que peut-être la neige est l'écume des plantes qui meurent enragées, et que les vents qui soufflent tant de froid, sont les derniers soupirs de la nature agonisante.....

Quelles rigueurs l'hiver n'exerce-t-il point en tous lieux ? Là, sous le robinet d'une fontaine, le gelé porteur d'eau contraint son cœur en soufflant de rendre à ses mains la vie qu'il leur avait dérobée. Là, contre le pavé, le soulier du marcheur fait plus de bruit qu'à l'ordinaire, parce qu'il a des cloches aux pieds. Là, l'écolier fripon, une pelote de neige entre les doigts, attend au passage son compagnon pour lui noyer le visage dans un morceau de rivière; enfin, de quelque côté que je me tourne, la gelée est si grande que tout se prend, jusqu'aux manteaux 3. A

1. Elle s'est gelée. J.-B. Rousseau dans la Cantate XIV (Pour l'hiver) dira avec autant d'esprit et aussi peu de goût:

Plus fort que le fils d'Alcmène,

Il met les fleuves aux fers;

Le seul vent de son haleine

Fait trembler tout l'Univers.

2. La voix lactée.

3. Nous ne prétendons pas présenter cette succession de jeux de mots comme un modele de bon goût; mais nous avons voulu autant que possible dans ce recueil donner une idée de tous les genres cultivés au xvп° siècle.

dix heures du soir le filou, morfondu sous un auvent 1, grelotte, et se console, lorsqu'il regarde le premier passant comme un tailleur qui lui apporte son habit. Lorsqu'il prendra fantaisie à l'hiver, ce vieil endurci, d'aller à confesse, voilà, Monsieur, l'examen de sa conscience, à un péché près; car c'est un cas réservé dont il n'aura jamais l'absolution: vous-même jugez s'il est pardonnable, il me vient d'engourdir les doigts, afin de vous persuader que je suis un froid ami, puisque je tremble quand il est question de me dire, Monsieur, votre serviteur.

(Lettres diverses, Lettre I).

QUE DIABLE ALLAIT-IL FAIRE DANS CETTE GALERE ??

GRANGER, pédant; CORBINELI, valet de son fils; PAQUIER, cuistre * du pédant.

CORBINELI, à Granger.

Hélas! tout est perdu, votre fils est mort.

GRANGER.

Mon fils est mort! es-tu hors de sens?

CORBINELI.

Non, je parle sérieusement: votre fils, à la vérité. n'est pas mort, mais il est entre les mains des Turcs.

GRANGER.

Entre les mains des Turcs? Soutiens-moi : je suis mort.

CORBINELI.

A peine étions-nous entrés en bateau pour passer de la porte de Nesle au quai de l'École...... que nous avons été pris par une galère turque.

GRANGER.

Hé! de par le cornet retors de Triton, dieu marin, qui jamais ouït parler que la mer fût à Saint-Cloud? qu'il y eût là des galères, des pirates, ni des écueils ?

CORBINELI.

C'est en cela que la chose est plus merveilleuse; et, quoique l'on ne les ait point vus en France que là, que sait-on s'ils ne sont point venus de Constantinople jusques ici

1. Petit toit en saillie, destiné à garantir de la pluie.

2. Voir dans nos extraits de Molière la scène des Fourberies de Scapin que notre grand poète comique a tirée de celle-ci.

3. Ce mot est pris ici dans son premier sens: valet de collège.

4. Les tragiques ont abusé de ce cri: voir le Polyeucte de Corneille, la Zaire de Voltaire, le Rhadamiste et Zénobie de Crébillon, etc.

5. La trompe.

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