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prunts pour sa Phèdre. Citons encore, parmi les œuvres, assez nombreuses de ce poète, deux tragédies, Cresphonte, et Arie et Petus, qui ont paru l'une et l'autre en 1659.

IMPRÉCATIONS DE POPPÉE CONTRE NÉRON

Tyran, suis ton humeur, et reprends ta colère;
Joins ton fils à ton frère, et ta femme à ta mère;
Pour ne rien épargner, pour détruire l'État,
A ta famille éteinte ajoute le Sénat;

Sans respecter les Dieux dans ta fureur impie,
Des Pontifes sacrés abrège encor la vie :
Massacre ces vieillards aux yeux des immortels,
De ce sang précieux fais rougir leurs autels;
Et, devenu l'horreur du Ciel et de la Terre,
Tombe dans les enfers par un coup de tonnerre,
Et que la foudre soit le prix de tes forfaits.
Ce sont là mes désirs et les vœux que je fais1.
(Arie et Petus, IV, v.)

MORT D'HIPPOLYTE 2

De la ville sorti, fuyant votre courroux,
Sans accuser le ciel, ni se plaindre de vous,

Il monte sur son char, et prend en main les rênes;
Pour la dernière fois tournant l'œil vers Athènes,

1. On trouve en germe dans ce morceau les admirables imprécations d'Agrippine à Néron dans le Britannicus de Racine (V, vi). Détachons encore d'Arie et Pctus (III, 1) un morceau remarquable, la déclaration de Néron à la belle Arie, en ayant soin d'ajouter que ce morceau est imité du couplet de Nabuchodonosor, qui ouvre le second acte des Juives de Robert Garnier (Voir les Morceaux choisis du seizième siècle de MM. Darmesteter et Hatzfeld):

Si le maître des dieux qui lance le tonnerre
Est monarque du ciel, je suis dieu de la terre ;
11 est armé d'éclairs, et moi de légions,
Qui rangent sous mes lois toutes les régions;
Du Tibre jusqu'au Gange, et du Danube au Tage,
Les peuples et les rois me rendent leur hommage:
La fortune et l'amour, la gloire et les plaisirs
Courent d'un pas léger où volent mes désirs;
Le divin Apollon de l'Olympe m'inspire,
Comme le dieu galant je saís toucher la lyre,
Et pour rendre mon trône et mes jours assurés
Par lui dans l'avenir mes yeux sont éclairés.

Ainsi je règne en paix, sans craindre aucuns désastres,
Dans un Etat borné de la mer et des astres:

Mais je n'ai tant de gloire et de félicités
Que pour en faire part à vos rares beautés :
Je vous offre mon coeur avecque mon empire.

2. Comparer ce récit avec celui de Racine que nous donnons plus loin.

«< Chère cité, dit-il, j'atteste encor les Dieux
Qu'Hippolyte innocent est banni de ces lieux :
Si mon père le veut (quoique je sois sans crime),
J'approuve mon exil et le crois légitime. »
Moins sensible que nous à ses propres malheurs,
D'un visage constant il voit couler nos pleurs.
Puis, nous disant adieu, non d'un ton lamentable :
<< Le ciel, mes chers amis, vous soit plus favorable! >>
Ses chevaux seulement éprouvant son courroux,
Votre fils à l'instant se sépare de nous,

Et ces jeunes coursiers, plus légers que la foudre,
Nous ravissent son char, et font voler la poudre.
Ne pouvant le quitter, nous marchons sur ses pas,
Quand un mal arriva qu'on ne prévoyait pas.
Nul signe ne paraît de tempête et d'orage,
Lorsque l'onde s'émeut assez près du rivage,
Et Neptune en courroux fait un bruit éclater,
Un grand bruit égalant la voix de Jupiter.
Nous sommes tous surpris d'une peur sans pareille.
Les chevaux d'Hippolyte au ciel dressent l'oreille;
L'onde s'enfle; on la voit largement écumer,
Et mouvoir tout d'un coup une plage de mer

Qui paraît à mes yeux comme une île flottante,
Qui s'avance vers nous, et qui nous épouvante;

L'eau s'entr'ouvre, et sur terre un monstre elle vomit;
De son mugissement le rivage frémit;

Il couvre un vaste lieu de son corps effroyable,
Et ses écailles d'or luisent dessus le sable :

Ce prodige, au lieu d'yeux, faisant voir deux flambeaux,
Semble tirer les feux du sein des mêmes eaux1;
Ses chevaux sont troublés à l'aspect de ce monstre;
Nous frémissons d'horreur : lui seul à sa rencontre
Ne paraît point surpris, ne montre aucun effroi.
<< La belle occasion, dit-il, qui s'offre à moi !
Ma race glorieuse aime la renommée;

A vaincre des taureaux elle est accoutumée 2.
Apaisons, ce dit-il, mon père en l'imitant. »
Votre généreux fils prend un dard à l'instant.
Il songe à la victoire et la pense certaine.
Ses chevaux étonnés rendent sa valeur vaine;

1. Inversion, pour des eaux mêmes.

2. Thésée, père d'Hippolyte, a vaincu dans l'ile de Crète et tué lo Minotaure.

Ce monstre leur fait peur avec ses yeux ardents;
Ils fuient, et fuyant prennent le frein aux dents;
En vain, tirant la bride, il se ploie en arrière.
Malgré tous ses efforts, enfilant la carrière,
La bride, ni sa voix ne leur sert plus de loi,
Et pour leur conducteur n'ont plus que leur effroi.
Écumants et soufflants, ils traversent la plaine,
Puis vont aveuglément où la crainte les mène.
L'image du péril, les effrois qu'ils ont eus,
Font qu'ils montent sans peur sur les rochers pointus.
Leur timide fureur jusqu'au faîte les guide;
Le char se brise enfin par sa course rapide;
Lors Hippolyte tombe. Oh! funeste accident!
Dans les rênes qu'il tient, il s'engage en tombant.
Les chevaux à ce bruit hâtent encor leur fuite,
Et traînent sans pitié le beau corps d'Hippolyte ;
Ce corps si délicat et ses membres si chers
Sont brisés contre terre et contre les rochers;
Son sang rougit les lieux par où la mort le passe.
Nous, les larmes aux yeux, suivons sa rouge trace;
Et nous maudissons tous, en regrettant sa mort,
Les rênes, les chevaux, et le monstre, et le sort.
Voilà de votre fils le destin déplorable.

MOLIÈRE
(1622-1673)

Jean-Baptiste Poquelin, fils de Jean Poquelin, valet de chambre du roi, et de Marie Cressé, naquit à Paris le 15 janvier 1622. Elevé d'abord au collège de Clermont, il étudia la philosophie sous Gassendi, et prit à Orléans ses licences en droit. Mais une vocation irrésistible l'entraînant vers le théâtre, il entra en 1645 dans une troupe d'enfants de famille, qui, sous le nom d'Illustre Théâtre, échoua à Paris, et parcourut la province de 1646 à 1658. Pendant ces douze ans, Molière composa pour la troupe des sortes de canevas dramatiques, qu'il devait transformer plus tard en véritables comédies, et écrivit l'Etourdi et le Dépit amoureux. En novembre 1659 la troupe reparut à Paris, et les Précieuses ridicules (18 novembre) lui assurèrent la bienvenue. Depuis lors Molière ne cessa de produire, et fournit aux comédiens, dont il était directeur, un répertoire sans rival dans aucune littérature; plein de verve dans certains petits levers de rideau,

comme Sganarelle (1660), le Mariage forcé (1664), et la Comtesse d'Escarbagnas (1671), dans des comédies à tiroir, comme les Fácheux (1661), d'esprit caustique et mordant dans la Critique de l'Ecole des Femmes (1663), et dans l'Impromptu de Versailles (1663), de bouffonnerie rabelaisienne dans certaines farces, comme le Médecin malgré lui (1666), M. Pourceaugnac (1669), le Bourgeois gentilhomme (1670), les Fourberies de Scapin (1671), et le Malade imaginaire (1673), d'esprit délicat et gaulois à la fois dans Amphitryon (1668), une pièce exquise, de grâce aimable dans cette délicieuse Psyché (1671), à laquelle collaborèrent Corneille et Quinault, et dans des opéras comiques comine l'Amour médecin (1665), et surtout le Sicilien (1667), de gaieté amère dans Georges Dandin, ce drame qui a un dénouement comique. Molière a écrit en outre des comédies de caractère, qui ne seront jamais surpassées, égalées peut-être l'Ecole des Maris (1661), l'Ecole des Femmes (1662), Tartuffe (1664), Don Juan (1665), le Misanthrope (1666), l’Avare (1668), et les Femmes Savantes (1672). Pendant cette longue carrière, Molière n'avait eu qu'une chute, Don Garcie de Navarre (1661), dont certaines scènes ont passé dans le Misanthrope, et deux demi-succès, la Princesse d'Elide (1664), et les Amants magnifiques (1670), purs prétextes à décors et à machines. Molière mourut le 17 février 1673. Ses restes reposent au Père-La Chaise non loin de ceux de La Fontaine.

REPROCHES D'UN PÈRE A SON FILS1

DON LOUIS, DON JUAN

DON LOUIS.

Je vois bien que je vous embarrasse, et que vous vous passeriez fort aisément de ma venue. A dire vrai, nous nous incommodons étrangement l'un l'autre, et, si vous êtes las de me voir, je suis bien las aussi de vos déportements 2. Hélas! que nous savons peu ce que nous faisons quand nous ne laissons pas au ciel le soin des choses qu'il nous faut, quand nous voulons être plus avisés que lui, et que nous venons à l'importuner par nos souhaits aveugles et nos demandes inconsidérées! J'ai souhaité un fils avec des ardeurs non pareilles; je l'ai demandé sans relâche avec des transports incroyables; et ce fils, que j'obtiens en

1. Comparer dans nos extraits de Corneille la scène du Menteur où Géronte accable son fils de ses reproches.

2. Façons d'agir :

Si vous vouliez, tous vos déportements
Pourraient moins donner prise aux mauvais jugements.
(Le Misanthrope, III, v.)

fatiguant le ciel de vœux, est le chagrin et le supplice de cette vie même dont je croyais qu'il devait être la joie et la consolation. De quel œil, à votre avis, pensez-vous que je puisse voir cet amas d'actions indignes, dont on a peine, aux yeux du monde, d'adoucir le mauvais visage; cette suite continuelle de méchantes affaires, qui nous réduisent à toute heure à lasser les bontés du souverain, et qui ont épuisé auprès de lui le mérite de mes services et le crédit de mes amis? Ah! quelle bassesse est la vôtre ! Ne rougissezvous point de mériter si peu votre naissance? Êtes-vous en droit, dites-moi, d'en tirer quelque vanité, et qu'avez-vous fait, dans le monde, pour être gentilhomme? Croyez-vous qu'il suffise d'en porter le nom et les armes, et que ce nous soit une gloire d'être sortis d'un sang noble, lorsque nous vivons en infâmes? Non, non, la naissance n'est rien où la vertu n'est pas. Aussi nous n'avons part à la gloire de nos ancêtres qu'autant que nous nous efforçons de leur ressembler; et cet éclat de leurs actions, qu'ils répandent sur nous, nous impose un engagement de leur faire le même honneur, de suivre les pas qu'ils nous tracent, et de ne point dégénérer de leur vertu, si nous voulons être estimés leurs véritables descendants. Ainsi, vous descendez en vain des aïeux dont vous êtes né; ils vous désavouent pour leur sang, et tout ce qu'ils ont fait d'illustre ne vous donne aucun avantage; au contraire, l'éclat n'en rejaillit sur vous qu'à votre déshonneur, et leur gloire est un flambeau qui éclaire aux yeux d'un chacun la honte de vos actions1. Apprenez enfin qu'un gentilhomme qui vit mal est un monstre dans la nature; que la vertu est le premier titre de noblesse; que je regarde bien moins au nom qu'on signe qu'aux actions qu'on fait, et que je ferais plus d'état du fils d'un crocheteur2 qui serait honnête homme que du fils d'un monarque qui vivrait comme vous.

DON JUAN.

Monsieur, si vous étiez assis, vous en seriez mieux pour parler.

1. Molière se souvient ici de Juvénal (Sat. VIII, 138-141), qu'il traduit presque, et que Boileau imite encore de plus près (Sat. V, 59-62 ):

Ce long amas d'aïeux, que vous diffamez tous,
Sont autant de témoins qui parlent contre vous;
Et tout ce grand éclat de leur gloire ternie
Ne sert plus que de jour à votre ignominie.

2. Portefaix qui se sert d'un crochet.

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