A cette douleur si cuisante Dont je souffre ici le tourment. Crois-tu là me donner une raison puissante Ne paraît-elle pas aux yeux? Vois l'état où ces dieux me forcent à te rendre, Je reçus d'eux en toi, ma fille, Un présent que mon cœur ne leur demandait pas; Et leur en vis, sans joie, accroître ma famille. Je l'ai paré de l'aimable richesse De mille brillantes vertus; En lui j'ai renfermé, par des soins assidus, Le doux espoir de ma vieillesse. Ils m'ôtent tout cela, ces dieux ! Pour m'ôter leur présent, leur fallait-il attendre Ou plutôt, s'ils avaient dessein de le reprendre, Seigneur, redoutez la colère De ces dieux contre qui vous osez éclater. LE ROI. Après ce coup, que peuvent-ils me faire ? Ils m'ont mis en état de ne rien redouter. PSYCHÉ. Ah! seigneur, je tremble des crimes Que je vous fais commettre, et je dois me haïr.... LE ROI. Ah! qu'ils souffrent du moins mes plaintes légitimes; Ce doit leur être assez que mon cœur t'abandonne (Psyché, II, 1.) MONTFLEURY Antoine-Jacob de Montfleury (fils de ce fameux acteur de l'Hôtel de Bourgogne, mort, dit-on, de la fatigue qu'il éprouva à jouer l'Andromaque de Racine), après s'être fait recevoir avocat, se tourna vers le théâtre, où il débuta en 1668 par une comédie en un acte. De 1661 à 1678, il fit représenter seize pièces, parmi lesquelles il faut citer la Femme juge et partie (1669), dont l'éclatant succès balança celui de Tartuffe, la 1. La Fontaine, dans son joli roman, les Amours de Psyché (I), a donné fort peu de développement à cette scène; il n'aimait pas pleurer longtemps: « Je dois mourir, dit-elle à son père, et il n'est pas juste qu'une simple mortelle, comme je suis, entre en parallèle avec la mère de Cupidon : que gagneriez-vous à lui résister? Votre désobéissance vous attirerait une peine encore plus grande. Quelle que puisse être mon aventure, j'aurai lieu de me consoler quand je ne vous serai point un sujet de larmes. Défaites-vous de cette Psyché sans qui votre vieillesse serait heureuse souffrez que le ciel punisse une ingrate pour qui vous n'avez eu que trop de tendresse, et qui vous récompense si mal des inquiétudes et des soins que son enfance vous a donnés. » Tandis que Psyché parlait à son père de cette sorte, le vieillard la regardait en pleurant, et ne lui répondait que par des soupirs; mais ce n'était rien en comparaison du désespoir où était la mère : quelquefois elle courait par les temples tout échevelée; d'autres fois elle s'emportait en blasphèmes contre Vénus; puis, tenant sa fille embrassée, protestait de mourir plutôt que de souffrir qu'on la lui ôtât pour l'abandonner à un monstre. » Fille Capitaine (1672), comédie pleine de verve et de gaieté, le Comédien poète, écrit en collaboration avec Thomas Corneille (1673), et Trigaudin (1674). Montfleury manquait de goût et de mesure, mais non d'esprit. La Femme juge et partie, revue et diminuée, a été reprise avec succès en 1821. C'est la sœur de Montfleury, mademoiselle d'Ennebaut, celle-là même qui joua d'original les seconds rôles de presque toutes les tragédies de Racine, qui avait été chargée de représenter le principal personnage de la Femme juge et partie et de la Fille Capitaine. Montfleury le père avait composé une tragédie intitulée la Mort d'Asdrubal. UNE NOCE QUI NE SERA PAS BRILLANTE 1 CONSTANCE. Quels habits vous fait-on? Il faut qu'un homme veuf... BERNA DILLE. A quoi bon des habits? Le mien est presque neuf. Mais il est à la mienne : Je ne suis pas d'avis, n'étant pas courtisan, CONSTANCE. Il suffit... Mais du moins il vous faut des rabats: BERNADILLE. Pourquoi? N'en ai-je pas ? J'en ai deux tout pareils; et ce serait, je pense, Regardez ce patron 3. CONSTANCE. Il est fort ancien '. 1. Un veuf, fort avare, Bernadille, va épouser la jeune Constance. 2. Le rabat était une pièce de toile, souvent brodée, que les hommes portaient sur le devant de la poitrine, comme les enfants leur bavette. 3. Ce modèle. 4. Ancien n'est plus aujourd'hui que de deux syllabes. BERNADILLE. Tout le point1 que l'on fait à présent ne vaut rien : CONSTANCE. Je le crois. BERNADILLE. Je vous jure Que depuis quatorze ans ce rabat-là me dure. CONSTANCE. Pourquoi cette calotte? On est mille fois mieux (Outre que vous devez avoir froid sans cheveux) Avec une perruque. BERNADILLE. Est-il une perruque Qui pût si chaudement entretenir ma nuque? 3 Qu'un habit bien commode, et de la propreté. CONSTANCE. C'est assez... Fera-t-on le festin chez ma mère ? BERNADILLE. Un festin! Pourquoi faire ? Ceux qui le mangeraient me prendraient pour un fat : Je souperai chez vous, et porterai mon plat 1. Toutes les dentelles. 2. Bernadille se souvient de ce que disait Sganarelle dans l'École des Maris (1, 1), de Molière : Quoi qu'il en soit, je suis attaché fortement A ne démordre point de mon habillement. Je veux une coiffure, en dépit de la mode, Sous qui toute ma tête ait un abri commode, Un bon pourpoint bien long, et fermé comme il faut, Qui, pour bien digérer, tienne l'estomac chaud, Un haut de chausse fait justement ponr ma cuisse, Des souliers où mes pieds ne soient point au supplice, Ainsi qu'en ont usé sagement nos aïeux : Et qui me trouve mal n'a qu'à fermer les yeux. 3. On appelait par plaisanterie pistolet le demi-écu d'or d'Espagne, le pistole étant une petite arme; pistole vient donc de pistolet; la pistole équivaut aujourd'hui peu près à une pièce de dix francs. Sans façon c'est agir prudemment, ce me semble ; A ce que je puis voir vous daubez1 ma méthode. BOYER En donnant le jour à Claude Boyer, Albi le donnait à un médiocre prédicateur, et à un non moins médiocre auteur tragique. L'abbé Boyer jouit cependant d'une assez grande vogue dans son siècle, et sa Judith fit trop de bruit en 1695 pour qu'il ne figure pas dans ce tableau du xviie siècle. Boursault a fait son éloge, Chapelain l'appelait « un poète de théâtre ne cédant qu'au seul Corneille en cette profession, » et l'Académie le reçut en 1666. Boileau, Racine et Furetière le criblèrent d'une grêle d'épigrammes (Voir plus loin celle de Racine sur la Judith). Boyer s'en faisait peu de bile, si l'on en croit cette épigram me de Furetière : Quand les pièces représentées De Boyer sont peu fréquentées, 1. Dauber a signifié d'abord frapper à coups de poing, puis railler. 2. On appelait alors cadeau une partie de plaisir, une collation, que l'on offrait à une dame : « Nous mènerions promener ces dames hors des portes, et leur donnerions un cadeau. » (MOLIÈRE, les Précieuses ridicules, X.) |