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AMESTRIS GLORIFIE SA SOUVERAINE GRANDEUR 1

Dans le comble où je suis de gloire et de grandeur,
Plus d'un ennui2 pressant me dévore le cœur.
Bien que depuis longtemps ma gloire sans seconde
Me rende la maîtresse ou l'arbitre du monde,
Que tant de nations fléchissent sous mes lois;
Le sceptre a ses chagrins, et j'en sens tout le poids.....
J'ai comme elle 3 étendu l'empire d'Assyrie,

J'ai subjugué le Pont, la Thrace et l'Arménie,
Et jusqu'au fond de l'Inde allant porter des fers,
J'en ai vaincu les rois au bout de l'univers.
Ayant donc entassé victoire sur victoire,
Je me suis mise, Arsace, à l'abri de ma gloire,
Et, l'éclat de mon nom me répondant de moi,
J'affermis une reine en la place d'un roi.
Babylone, il est vrai, dans ses places publiques
Éleva ma statue, et des arcs magnifiques,

Pour marquer que mon cœur, ennemi du repos,
Dans un sexe si faible eut l'âme d'un héros.
Depuis j'ai reconnu son ardeur et son zèle,
J'ai rendu sa mémoire et la mienne immortelle:
J'ai relevé ses murs, ses superbes jardins,
J'ai de Sémiramis achevé les desseins;
Enfin par mes travaux en miracles féconde,
Babylone se voit la merveille du monde.
Voilà ce que j'ai fait.

(Pyrame et Thisbé, I, 1v.)

DÉCLARATION D'HIPPOLYTE A ARICIE

Assez et trop longtemps d'une bouche profane
Je méprisai l'amour, et j'adorai Diane;
Solitaire, farouche, on me voyait toujours
Chasser dans nos forêts les lions et les ours:
Mais un soin plus pressant m'occupe et m'embarrasse ;
Depuis que je vous vois, j'abandonne la chasse;

1. Racine, quinze ans plus tard, se souvint de ce morceau, lorsqu'il plaça dans bouche d'Athalie (II, v) un magnifique exposé de sa toute-puissance,

2. On sait que ce mot avait au xvir° siècle beaucoup de force.

3. Semiramis.

Elle fit autrefois mes plaisirs les plus doux,

Et quand j'y vais, ce n'est que pour penser à vous.
Tous nos Grecs, m'accusant d'une triste indolence,
Font un crime à mon cœur de son indifférence,
Et je crains que vos yeux qui le trouvaient si fier,
Ne prennent trop de soin de le justifier;
Mais le sang dont je sors leur devait faire croire
Que le fils de Thésée était né pour la gloire,
Madame, et vous voyant ils devaient présumer
Que le cœur d'Hippolyte était fait pour aimer1.
(Phèdre et Hippolyte, I, II.)

HIPPOLYTE GÉMIT DE N'AVOIR ENCORE ACCOMPLI AUCUN EXPLOIT.

A mon âge, Thésée avait purgé la terre

De cent monstres cruels qui lui faisaient la guerre;
Et, dès les premiers coups qui partaient de ses mains,
Attachait à son bras le repos des humains.

1. Comparer les vers charmants que l'Hippolyte de Racine adresse à Aricie (Phèdre, II, 11) :

Puisque j'ai commencé de rompre le silence,

Madame, il faut poursuivre : il faut vous informer

D'un secret que mon cœur ne peut plus renfermer.
Vous voyez devant vous un prince déplorable,
D'un téméraire orgueil exemple mémorable.
Moi qui, contre l'amour fièrement révolté,
Aux fers de ses captifs ai longtemps insulté ;
Qui des faibles mortels déplorant les naufrages,
Pensais toujours du bord contempler les orages;
Asservi maintenant sous la commune loi,
Par quel trouble me vois-je emporté loin de moi?
Un moment a vaincu mon audace imprudente :
Cette âme si superbe est enfin dépendante.
Depuis près de six mois, honteux, désespéré,
Portant partout le trait dont je suis déchiré,

Contre vous, contre moi, vainement je m'éprouve:
Présente, je vous fuis; absente, je vous trouve;
Dans le fond des forêts votre image me suit;
La lumière du jour, les ombres de la nuit,
Tout retrace à mes yeux les charmes que j'évite;
Tout vous livre à l'envi le rebelle Hyppolyte.
Moi-même, pour tout fruit de mes soins superflus,
Maintenant je me cherche, et ne me trouve plus.
Mon arc, mes javelots, mon char, tout m'importune;
Je ne me souviens plus des leçons de Neptune :
Mes seuls gémissements font retentir les bois,
Et mes coursiers oisifs ont oublié ma voix.
Peut-être le récit d'un amour si sauvage
Vous fait, en m'écoutant, rougir de votre ouvrage.
D'un cœur qui s'offre à vous quel farouche entretien
Quel étrange captif pour un si beau lien!

Mais l'offrande à vos yeux en doit être plus chère,
Songez que je vous parle une langue étrangère;
Et ne rejetez pas des voeux mal exprimés,
Qu'Hippolyte sans vous n'aurait jamais formés.

Qu'ai-je fait jusqu'ici qu'errant et solitaire

Entendre en soupirant les hauts faits de mon père
Mon aïeul Pytheus prit soin de m'élever;

Je cherchai les périls que je pouvais braver,
Et ce peuple est témoin que le fils de Thésée
A du sang des lions fait rougir son épée;
La chasse seule alors eut pour moi des attraits,
De monstres à mon tour je purgeai nos forêts,
Et j'ai perdu des coups qui méritaient peut-être
D'accabler des tyrans qui m'auraient fait connaître.
Cependant jusqu'ici ma stérile valeur

D'un vil sang répandu ne peut me faire honneur;
Mon nom à peine écrit sur l'écorce des arbres
N'est point encor gravé sur l'airain ou les marbres
Et le nom d'Hippolyte et ses plus grands exploits
Sont connus seulement aux échos de nos bois,
Quand le nom glorieux de l'illustre Thésée
Occupe avec éclat toute la renommée1.

(Phèdre et Hippolyte, II, 11.)

JEAN RACINE

(1639-1699)

Jean Racine, fils d'un contrôleur du grenier à sel à la FertéMilon, naquit dans cette ville le 21 décembre 1639, trois ans

1. Voir notre extrait de Campistron, dans nos Morceaux choisis du xvш° siècle, et comparer le morceau de Pradon et celui de Campistron avec ce couplet d'Hippolyte dans la Phèdre de Racine (III, v):

Assez dans les forêts mon oisive jeunesse
Sur de vils ennemis a montré son adresse.
Ne pourrais-je, en fuyant un indigne repos,
D'un sang plus glorieux teindre mes javelots?
Vous n'aviez pas encore atteint l'âge où je touche,
Déjà plus d'un tyran, plus d'un monstre farouche

Avait de votre bras senti la pesanteur;

Déjà, de l'insolence heureux persécuteur,
Vous aviez des deux mers assuré les rivages.
Le libre voyageur ne craignait plus d'outrages;
Hercule, respirant sur le bruit de vos coups,
Déjà de son travail se reposait sur vous.
Et moi, fils inconnu d'un si glorieux père.
Je suis même encor loin des traces de ma mère.
Souffrez que mon courage ose enfin s'occuper.
Souffrez, si quelque monstre a pu vous échapper
Que j'apporte à vos pieds sa dépouille honorable
Ou que d'un beau trépas la mémoire durable,
Eternisant des jours si noblement finis,
Prouve à tout l'univers que j'étais votre fils.

après l'éclatante apparition du Cid. Orphelin à trois ans, le jeune Racine fut recueilli par sa grand mère Marie des Moulins, et élevé par Port-Royal, dont l'influence devait se manifester sur sa vie tout entière. Cependant, malgré les supplications de sa tante, la Mère Agnès, religieuse à Port-Royal, et de son oncle Sconin, vicaire général à Uzès, le jeune homme se voua à la poésie et au théâtre. Sa première pièce de vers, composée en l'honneur de la nouvelle reine Marie-Thérèse, parut sous 1 s auspices de Chapelain, et ses deux premières tragédies, la Thebaide et Alexandre, furent représentées sur le théâtre de Molière. Mais Racine ne tarda pas à se brouiller avec ce dernier; trouvant son Alexandre mal joué, il le porta secrètement à la troupe rivale de l'Hôtel de Bourgogne, et Molière, mécontent à juste titre, ne le lui pardonna pas. C'est à l'Hôtel de Bourgogne que Racine fit représenter successivement: Andromaque (1667), les Plaideurs (1668), Britannicus (1669), Bérénice (1670), Bajazet (1672), Mithridate (1673), Iphigénie (1674), et Phèdre (1677). Il était membre de l'Académie depuis 1673. Cependant le succès fait toujours des ennemis; Racine, l'éprouva lors de l'apparition de Phedre, qu'une sotte cabale faillit faire tomber. Il se retira du théâtre, se réconcilia avec Port-Royal, se maria, et se consacra à l'éducation de sa nombreuse famille, et à sa nouvelle charge d'historiographe du roi. En 1685, madame de Maintenon le pria de composer un petit divertissement pieux pour les élèves de Saint-Cyr, qui venaient de représenter trop bien son Andromaque. Racine écrivit pour elles une délicieuse idylle, un chef-d'œuvre, si on le replace dans son cadre, Esther, qui fut un des trois grands succès du siècle. Mais les applaudissements tournèrent la tête aux élèves de madame de Maintenon, qui ne permit pas la représentation publique d'Athalie (1691). Ce fut un échec et un chagrin pour Racine, qui sentait la valeur de sa dernière œuvre; ses ennemis en triomphèrent, et ce n'est qu'au siècle suivant qu'on a salué dans Athalie le chef-d'œuvre, non seulement de notre scène, mais de l'esprit humain. Cependant, malgré cette amertume, Athalie ne fut pas la dernière œuvre de Racine; il composa encore quatre admirables Cantiques spirituels, qui servirent de modèles aux poètes lyriques de notre siècle, comme ses excellentes Epigrammes aux nombreuses épigrammes du siècle dernier. Frappé en 1698 d'une disgrâce, dont les véritables motifs ne sont pas connus nettement, mais dont on a certainement exagéré l'étendue et la durée, Racine mourut le 21 avril 1699. Il fut, selon son désir, inhumé à Port-Royal; mais quand la persécution religieuse eut dispersé les tombes des solitaires, les restes du poète furent transportés dans les caveaux de Saint-Étienne du Mont, où ils reposent aujourd'hui.

VISITE DE DEUX CAPUCINS A PORT-ROYAL1

Vous accusez (les jésuites) de n'envisager dans les personnes que la haine ou l'amour qu'on avait pour leur compagnie. Vous deviez éviter de leur ressembler. Cependant on vous a vus de tout temps louer et blâmer le même homme, selon que vous étiez contents ou mal satisfaits de lui. Sur quoi je vous ferai souvenir d'une petite histoire que m'a contée autrefois un de vos amis. Elle marque assez bien votre caractère.

Il disait qu'un jour deux capucins arrivèrent au PortRoyal, et y demandèrent l'hospitalité. On les reçut d'abord assez froidement, comme tous les religieux y étaient reçus. Mais enfin il était tard, et l'on ne put pas se dispenser de les recevoir. On les mit tous deux dans une chambre, et on leur porta à souper. Comme ils étaient à table, le diable, qui ne voulait pas que ces bons Pères soupassent à leur aise, mit dans la tête de quelqu'un de vos Messieurs que l'un de ces capucins était un certain P. Maillard, qui s'était depuis peu signalé à Rome en sollicitant la bulle du pape contre Jansénius. Ce bruit vint aux oreilles de la Mère Angélique 2. Elle accourut au parloir avec précipitation, et demande qu'est-ce qu'on a servi aux capucins, quel pain et quel vin on leur a donné? La tourière lui répond qu'on leur a donné du pain blanc et du vin des Messieurs. Cette supérieure zélée commande qu'on le leur ôte, et que l'on mette devant eux du pain des valets et du cidre. L'ordre s'exécute. Ces bons Pères, qui avaient bu chacun un coup, sont bien étonnés de ce changement. Ils prennent pourtant la chose en patience, et se couchent, non sans admirer le soin qu'on prenait de leur faire faire pénitence. Le lendemain ils demandèrent à dire la messe, ce qu'on ne put pas leur refuser. Comme ils la disaient, M. de Bagnols entre dans l'église, et fut bien surpris de trouver le visage d'un capucin

1. Racine s'était cru attaqué par des letres que Nicole avait en réalité dirigées contre Desmarets de Saint-Sorlin, et dans lesquelles les faiseurs de romans étaient traités d'empoisonneurs publics, non des corps, mais des âmes. Oubliant qu'il avait été élevé par MM. de Port-Royal,Racine eut le tort de lancer contre eux deux lettres à la manière des Provinciales, qui sont à la fois deux petits chefs-d'œuvre et deux mauvaises actions.

2. Abbesse de Port-Royal. Voir dans nos extraits de Sainte-Beuve (x1x® siècle) le récit de a Journée du guichet.

3. Un des protecteurs de Port-Royal, mort en 1657. Sa bourse avait contribué à l'entretien de l'abbaye, et son château de Saint-Jean des Trous, près de Chevreuse, avait servi d'asile aux petites écoles de Port-Royal.

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