AMESTRIS GLORIFIE SA SOUVERAINE GRANDEUR 1 Dans le comble où je suis de gloire et de grandeur, J'ai subjugué le Pont, la Thrace et l'Arménie, Pour marquer que mon cœur, ennemi du repos, (Pyrame et Thisbé, I, 1v.) DÉCLARATION D'HIPPOLYTE A ARICIE Assez et trop longtemps d'une bouche profane 1. Racine, quinze ans plus tard, se souvint de ce morceau, lorsqu'il plaça dans bouche d'Athalie (II, v) un magnifique exposé de sa toute-puissance, 2. On sait que ce mot avait au xvir° siècle beaucoup de force. 3. Semiramis. Elle fit autrefois mes plaisirs les plus doux, Et quand j'y vais, ce n'est que pour penser à vous. HIPPOLYTE GÉMIT DE N'AVOIR ENCORE ACCOMPLI AUCUN EXPLOIT. A mon âge, Thésée avait purgé la terre De cent monstres cruels qui lui faisaient la guerre; 1. Comparer les vers charmants que l'Hippolyte de Racine adresse à Aricie (Phèdre, II, 11) : Puisque j'ai commencé de rompre le silence, Madame, il faut poursuivre : il faut vous informer D'un secret que mon cœur ne peut plus renfermer. Contre vous, contre moi, vainement je m'éprouve: Mais l'offrande à vos yeux en doit être plus chère, Qu'ai-je fait jusqu'ici qu'errant et solitaire Entendre en soupirant les hauts faits de mon père Je cherchai les périls que je pouvais braver, D'un vil sang répandu ne peut me faire honneur; (Phèdre et Hippolyte, II, 11.) JEAN RACINE (1639-1699) Jean Racine, fils d'un contrôleur du grenier à sel à la FertéMilon, naquit dans cette ville le 21 décembre 1639, trois ans 1. Voir notre extrait de Campistron, dans nos Morceaux choisis du xvш° siècle, et comparer le morceau de Pradon et celui de Campistron avec ce couplet d'Hippolyte dans la Phèdre de Racine (III, v): Assez dans les forêts mon oisive jeunesse Avait de votre bras senti la pesanteur; Déjà, de l'insolence heureux persécuteur, après l'éclatante apparition du Cid. Orphelin à trois ans, le jeune Racine fut recueilli par sa grand mère Marie des Moulins, et élevé par Port-Royal, dont l'influence devait se manifester sur sa vie tout entière. Cependant, malgré les supplications de sa tante, la Mère Agnès, religieuse à Port-Royal, et de son oncle Sconin, vicaire général à Uzès, le jeune homme se voua à la poésie et au théâtre. Sa première pièce de vers, composée en l'honneur de la nouvelle reine Marie-Thérèse, parut sous 1 s auspices de Chapelain, et ses deux premières tragédies, la Thebaide et Alexandre, furent représentées sur le théâtre de Molière. Mais Racine ne tarda pas à se brouiller avec ce dernier; trouvant son Alexandre mal joué, il le porta secrètement à la troupe rivale de l'Hôtel de Bourgogne, et Molière, mécontent à juste titre, ne le lui pardonna pas. C'est à l'Hôtel de Bourgogne que Racine fit représenter successivement: Andromaque (1667), les Plaideurs (1668), Britannicus (1669), Bérénice (1670), Bajazet (1672), Mithridate (1673), Iphigénie (1674), et Phèdre (1677). Il était membre de l'Académie depuis 1673. Cependant le succès fait toujours des ennemis; Racine, l'éprouva lors de l'apparition de Phedre, qu'une sotte cabale faillit faire tomber. Il se retira du théâtre, se réconcilia avec Port-Royal, se maria, et se consacra à l'éducation de sa nombreuse famille, et à sa nouvelle charge d'historiographe du roi. En 1685, madame de Maintenon le pria de composer un petit divertissement pieux pour les élèves de Saint-Cyr, qui venaient de représenter trop bien son Andromaque. Racine écrivit pour elles une délicieuse idylle, un chef-d'œuvre, si on le replace dans son cadre, Esther, qui fut un des trois grands succès du siècle. Mais les applaudissements tournèrent la tête aux élèves de madame de Maintenon, qui ne permit pas la représentation publique d'Athalie (1691). Ce fut un échec et un chagrin pour Racine, qui sentait la valeur de sa dernière œuvre; ses ennemis en triomphèrent, et ce n'est qu'au siècle suivant qu'on a salué dans Athalie le chef-d'œuvre, non seulement de notre scène, mais de l'esprit humain. Cependant, malgré cette amertume, Athalie ne fut pas la dernière œuvre de Racine; il composa encore quatre admirables Cantiques spirituels, qui servirent de modèles aux poètes lyriques de notre siècle, comme ses excellentes Epigrammes aux nombreuses épigrammes du siècle dernier. Frappé en 1698 d'une disgrâce, dont les véritables motifs ne sont pas connus nettement, mais dont on a certainement exagéré l'étendue et la durée, Racine mourut le 21 avril 1699. Il fut, selon son désir, inhumé à Port-Royal; mais quand la persécution religieuse eut dispersé les tombes des solitaires, les restes du poète furent transportés dans les caveaux de Saint-Étienne du Mont, où ils reposent aujourd'hui. VISITE DE DEUX CAPUCINS A PORT-ROYAL1 Vous accusez (les jésuites) de n'envisager dans les personnes que la haine ou l'amour qu'on avait pour leur compagnie. Vous deviez éviter de leur ressembler. Cependant on vous a vus de tout temps louer et blâmer le même homme, selon que vous étiez contents ou mal satisfaits de lui. Sur quoi je vous ferai souvenir d'une petite histoire que m'a contée autrefois un de vos amis. Elle marque assez bien votre caractère. Il disait qu'un jour deux capucins arrivèrent au PortRoyal, et y demandèrent l'hospitalité. On les reçut d'abord assez froidement, comme tous les religieux y étaient reçus. Mais enfin il était tard, et l'on ne put pas se dispenser de les recevoir. On les mit tous deux dans une chambre, et on leur porta à souper. Comme ils étaient à table, le diable, qui ne voulait pas que ces bons Pères soupassent à leur aise, mit dans la tête de quelqu'un de vos Messieurs que l'un de ces capucins était un certain P. Maillard, qui s'était depuis peu signalé à Rome en sollicitant la bulle du pape contre Jansénius. Ce bruit vint aux oreilles de la Mère Angélique 2. Elle accourut au parloir avec précipitation, et demande qu'est-ce qu'on a servi aux capucins, quel pain et quel vin on leur a donné? La tourière lui répond qu'on leur a donné du pain blanc et du vin des Messieurs. Cette supérieure zélée commande qu'on le leur ôte, et que l'on mette devant eux du pain des valets et du cidre. L'ordre s'exécute. Ces bons Pères, qui avaient bu chacun un coup, sont bien étonnés de ce changement. Ils prennent pourtant la chose en patience, et se couchent, non sans admirer le soin qu'on prenait de leur faire faire pénitence. Le lendemain ils demandèrent à dire la messe, ce qu'on ne put pas leur refuser. Comme ils la disaient, M. de Bagnols entre dans l'église, et fut bien surpris de trouver le visage d'un capucin 1. Racine s'était cru attaqué par des letres que Nicole avait en réalité dirigées contre Desmarets de Saint-Sorlin, et dans lesquelles les faiseurs de romans étaient traités d'empoisonneurs publics, non des corps, mais des âmes. Oubliant qu'il avait été élevé par MM. de Port-Royal,Racine eut le tort de lancer contre eux deux lettres à la manière des Provinciales, qui sont à la fois deux petits chefs-d'œuvre et deux mauvaises actions. 2. Abbesse de Port-Royal. Voir dans nos extraits de Sainte-Beuve (x1x® siècle) le récit de a Journée du guichet. 3. Un des protecteurs de Port-Royal, mort en 1657. Sa bourse avait contribué à l'entretien de l'abbaye, et son château de Saint-Jean des Trous, près de Chevreuse, avait servi d'asile aux petites écoles de Port-Royal. |