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cour, qui, pour faire bien les déterminés, s'abîment tantôt la moitié de la taille dans de grosses bottes, tantôt se plongent depuis sous les aisselles jusqu'aux talons dans leurs hauts-de-chausses1, et tantôt se noient toute la forme du visage dans des bords de chapeaux aussi larges que des parasols d'Italie. Mais j'entends cette mode, qui, étant autorisée 2 par les plus approuvés d'entre les grands et les honnêtes gens3, sert comme de loi à tous les autres. Je trouve ceux-là fantasques, qui s'opiniâtrent à contrarier les usages reçus en quoi que ce soit, mais principalement en une chose si indifférente comme sont les habits. Qu'un honnête homme se garde bien de tomber en un tel caprice, comme aussi de vouloir faire l'original à inventer de nouvelles façons, s'il ne se sent pas bien capable d'y réussir 5. (L'Honnéte Homme ou l'Art de plaire á la cour. édit. de 1634, Ibid., p. 225-227.)

DESCARTES
(1596-1650)

René Descartes naquit à la Haye en Touraine, et fit ses études au collège de la Flèche. Après avoir accompagné Maurice de Nassau et le duc de Bavière dans les guerres d'Allemagne, et assisté en 1629 au siège de la Rochelle, il se retira en Hollande, pour écrire dans la solitude un ouvrage, dont il avait conçu le plan, ne confiant son adresse qu'au P. Mersenne. Le Discours de la Méthode parut le 8 juin 1637. Cet ouvrage, où le philosophe indique les moyens qu'il a suivis pour tâcher de parvenir à la vérité, et où il expose le système célèbre de son doute méthodique, fit sensation. Descartes reçut de Mazarin une pension de mille écus, et entra dès lors en correspondance avec la princesse palatine et la reine Christine de Suède, à la conversion de laquelle il contribua. Mais il avait eu beau sacrifier à la cour de Rome son livre du Monde, l'intolérance religieuse le contraignit à se réfugier à Stockholm auprès de Christine. Il y mourut le 11 février 1650. Ses restes reposent à Saint-Germain des Prés. Descartes a écrit, outre de nombreux traités scientifiques, des Méditations métaphysiques (en latin), un Traité des Passions de l'âme, et de nombreuses lettres relatives à la philosophie.

1. Ce que nous appelons aujourd'hui culottes.

2. Ayant reçu autorité de; consacrée par ce fait qu'elle est adoptée ar... 3. Les gens bien élevés, distingués.

4. Bizarres, un peu extravagants.

5. La première scène de l'École des maris de Molière (1661) ne fait guère que mettre en dialogue ce morceau.

JE PENSE, DONC JE SUIS

Il fallait..... que je rejetasse comme absolument faux tout ce en quoi je pourrais imaginer le moindre doute, afin de voir s'il ne resterait point après cela quelque chose en ma créance qui fût entièrement indubitable. Ainsi, à cause que nos sens nous trompent quelquefois, je voulus supposer qu'il n'y avait aucune chose qui fût telle qu'ils nous la font imaginer; et pour ce qu'il y a des hommes qui se méprennent en raisonnant, même touchant les plus simples matières de géométrie, et y font des paralogismes1, jugeant que j'étais sujet à faillir autant qu'un autre, je rejetai comme fausses toutes les raisons que j'avais prises auparavant pour démonstrations; et enfin, considérant que toutes les mêmes pensées que nous avons étant éveillés nous peuvent aussi venir quand nous dormons, sans qu'il y en ait aucune pour lors qui soit vraie, je me résolus de feindre que toutes les choses qui m'étaient jamais entrées en l'esprit n'étaient non plus vraies que les illusions de mes songes. Mais aussitôt après je pris garde que, pendant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait nécessairement que moi qui le pensais fusse quelque chose; et remarquant que cette vérité: Je pense, donc je suis, était si ferme et si assurée que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n'étaient pas capables de l'ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir sans scrupule pour le premier principe de la philosophie que je cherchais 2.

(Discours de la Méthode, IVe partie.)

1. Erreurs de raisonnement.

2. Je pense, donc je suis, est le fondement de la philosophie cartésienne; ce sont les mots que l'on a gravés à juste titre sur le piédestal de la statue de Descartes. On lira avec intérêt le fragment de lettre suivant, qui a rapport à cette phrase célèbre : « Vous m'avez obligé de m'avertir du passage de saint Augustin auquel mon: Je pense, donc je suis, a quelque rapport; je l'ai été lire aujourd'hui en la bibliothèque de cette ville, et je trouve véritablement qu'il s'en sert pour prouver la certitude de notre être, et ensuite pour faire voir qu'il y a en nous quelque image de la Trinité, en ce que nous sommes, nous savons que nous sommes, et nous aimons cet être et cette science qui est en nous, au lieu que je m'en sers pour faire connaître que ce moi qui pense est une substance immatérielle, et qui n'a rien de corporel, qui sont deux choses fort différentes. Et c'est une chose qui, de soi, est si simple et si naturelle à inférer qu'on est de ce qu'on doute, qu'elle aurait pu tomber sous la plume de qui que ce soit; mais je ne laisse pas d'être bien aise d'avoir rencontré avec saint Augustin, quand ce ne serait que pour fermer la bouche aux petits esprits qui ont tâché de regabeler sur ce principe.» (Lettre cxvi, du tome II de l'édition in-40.)

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LETTRE AU PÈRE MERSENNE (1632)

Vous savez sans doute que Galilée1 a été repris depuis peu par les inquisiteurs de la foi, et que son opinion touchant le mouvement de la terre a été condamnée comme hérétique; or je vous dirai que toutes les choses que j'expliquais en mon traité 2, entre lesquelles était aussi cette opinion du mouvement de la terre, dépendaient tellement les unes des autres que c'est assez de savoir qu'il y en ait une qui soit fausse pour connaître que toutes les raisons dont je me servais n'ont point de force: et quoique je pensasse qu'elles fussent appuyées sur des démonstrations très certaines et très évidentes, je ne voudrais toutefois pour rien au monde les soutenir contre l'autorité de l'Église. Je sais bien qu'on pourrait dire que tout ce que les inquisiteurs de Rome ont décidé n'est pas incontinent article de foi pour cela, et qu'il faut premièrement que le concile y ait passé; mais je ne suis point si amoureux de mes pensées que de me vouloir servir de telles exceptions pour avoir moyen de les maintenir; et le désir que j'ai de vivre au repos et de continuer la vie que j'ai commencée, en prenant pour ma devise: bene vixit bene qui latuit3, fait que je suis plus aise d'être délivré de la crainte que j'avais d'acquérir plus de connaissances que je ne désire, par le moyen de mon écrit, que je ne suis fâché d'avoir perdu le temps et la peine que j'ai employés à le composer.

(Lettre LXXVI du tome Il de l'édition in-4°.)

LETTRE A M. DE BALZAC

Monsieur,

29 mars 1631.

Encore que, pendant que vous avez été à Balzac, je susse

1. Galilée, célèbre astronome et physicien italien, était né à Pise en 1564, et devait mourir en 1642. Le livre condamné dont parle Descartes a pour titre Quatre dialogues sur les systèmes du monde de Ptoléméc ct de Copernic. -Voir dans nos Morceaux choisis du xix° siècle le monologue que Ponsard a mis dans la bouche de Galilée.

2. «...

Comme je ne voudrais pour rien au monde qu'il sortit de moi un discours où il se trouvât le moindre mot qui fût désapprouvé de l' glise, aussi aimé-je mieux le supprimer que de le faire paraitre estropié. » (Lettre LXXV du tome II de l'édition in-40.) Il s'agit dans ces deux lettres du premier ouvrage de Descartes : le Traité du Monde, qu'il avait promis d'envoyer au père Mersenne pour ses étrennes de l'année 1633, et où il admettait le mouvement de la terre. Il supprima son traité, à la nouvelle de la condamnation de Galilée. 3. Celui-là a bien vécu qui a vécu bien caché.

4. Voir notre Notice sur Balzac.

bien que tout autre entretien que celui de vous-même vous devait être importun, si est-ce que je n'eusse pu m'empêcher de vous y envoyer parfois quelque mauvais compliment, si j'eusse cru que vous y eussiez dû demeurer si longtemps comme vous avez fait; mais, ayant eu l'honneur de recevoir une de vos lettres, par laquelle vous me faisiez espérer que vous seriez bientôt à la cour, je fis un peu de scrupule d'aller troubler votre repos jusque dans le désert, et crus qu'il valait mieux que j'attendisse à vous écrire que vous en fussiez sorti c'est ce qui m'a fait différer d'un voyage à l'autre l'espace de dix-huit mois ce que je n'ai jamais eu l'intention de différer plus de huit jours et ainsi, sans que vous m'en ayez obligation, je vous ai exempté tout ce temps-là de l'importunité de mes lettres. Mais, puisque vous êtes maintenant à Paris, il faut que je vous demande ma part du temps que vous avez résolu d'y perdre à l'entretien de ceux qui vous iront visiter, et que je vous dise que, depuis deux ans que je suis dehors, je n'ai pas été une seule fois tenté d'y retourner, sinon depuis qu'on m'a mandé que vous y étiez; mais cette nouvelle m'a fait connaître que je pourrais être maintenant quelque autre part plus heureux que je ne suis ici; et si l'occupation qui m'y retient n'était, selon mon petit jugement, la plus importante en laquelle je puisse jamais être employé, la seule espérance d'avoir l'honneur de votre conversation et de voir naître naturellement devant moi ces fortes pensées que nous admirons dans vos ouvrages serait suffisante pour m'en faire sortir. Ne me demandez point, s'il vous plaît, quelle peut être cette occupation que j'estime si importante, car j'aurais honte de vous la dire; je suis devenu si philosophe que je méprise la plupart des choses qui sont ordinairement estimées, et en estime quelques autres dont on n'a point accoutumé de faire cas: toutefois, pour ce que vos sentiments sont fort éloignés de ceux du peuple, et que vous m'avez souvent témoigné que vous jugiez plus favorablement de moi que je ne méritais, je ne laisserai pas de vous en entretenir plus ouvertement quelque jour, si vous ne l'avez point désagréable pour cette heure, je me contenterai de vous dire que je ne suis plus en humeur de rien mettre par écrit, ainsi que vous m'y avez autrefois vu disposé. Ce n'est pas que je ne fasse grand état de la réputation, lorsqu'on est certain de l'acquérir bonne et grande, comme vous avez fait; mais pour une médiocre et incertaine,telle que je la pourrais espérer, je l'estime beaucoup moins que le repos

et la tranquillité d'esprit que je possède. Je dors ici dix heures toutes les nuits, et sans que jamais aucun soin me réveille. Après que le sommeil a longtemps promené mon esprit dans des bois, des jardins et des palais enchantés, où j'éprouve tous les plaisirs qui sont imaginés dans les fables, je mêle insensiblement mes rêveries du jour avec celles de la nuit; et quand je m'aperçois d'être éveillé, c'est seulement afin que mon contentement soit plus parfait et que mes sens y participent; car je ne suis pas si sévère que de leur refuser aucune chose qu'un philosophe leur puisse permettre sans offenser sa conscience. Enfin, il ne manque rien ici que la douceur de votre conversation; mais elle m'est si nécessaire pour être heureux que peu s'en faut que je ne rompe tous mes desseins, afin de vous aller dire de bouche que je suis de tout mon cœur1, etc.

(Lettre CI du tome I de l'édition in-4°.)

PASCAL

(1623-1662)

Blaise Pascal naquit à Clermont-Ferrand le 19 juin 1623. Les travaux et les découvertes qu'il fit, dès ses jeunes années, dans les sciences mathématiques et physiques, eussent suffi à l'immortaliser. Son père, qui était lui-même un homme fort distingué, le dirigea fort habilement dans ses études scientifiques; mais des excès de travail ruinèrent bientôt la santé déjà délicate du jeune homme. La maladie, un accident qui faillit lui coûter la vie, et un retour de piété ardente l'arrachèrent en 1655 à sa vie mondaine, et l'amenèrent à Port-Royal, où sa sœur Jacqueline avait pris le voile. C'est à ce moment que les jésuites commencèrent à attaquer les jansénistes; Pascal fut chargé de défendre Port-Royal, et, sous le nom de Louis de Montalte, écrivit à un provincial de ses amis dix-huit lettres, dont les adversaires de Port-Royal gémissent encore aujourd'hui. La guérison miraculeuse de la nièce de Pascal, Marguerite Périer, élevée à PortRoyal, donna à Pascal une nouvelle ardeur, et il entreprit un

1. Cette lettre est très soignée, trop travaillée même; on sent qu'elle est adressée au grand épistolier de France, et qu'elle voudrait être digne de lui; mais la langue de Descartes n'est pas assez souple pour se prêter facilement à un badinage de bonne compagnie. Quant aux méditations qui occupent Descartes, elles portent, sans doute, soit sur son traité du Monde, soit sur son Discours de la Méthode.

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