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il révélera ce qu'il y a de plus secret dans la conduite de l'autre, il n'épargnera personne; et, comme s'il était envoyé du ciel pour la réformation générale des mœurs, il fera impunément le procès à tout le genre humain. Mais voyezle agir dans un différend où il se croit offensé, il n'y aura point de satisfaction qu'il ne demande, ni peut-être même point de réparation qui le puisse contenter; il regardera sa propre cause comme la cause de Dieu, ou du moins jamais ne lui mettrez-vous dans l'esprit qu'il ait quelque tort, et que toute la justice ne soit pas pour lui: principe spécieux, dont il s'autorisera pour nourrir dans son cœur les plus vifs ressentiments, et pour justifier dans la pratique les plus injustes et les plus malignes vengeances.

Une femme est la première à toutes les saintes assemblées; elle a l'usage de la méditation, et elle aspire à l'oraison la plus relevée : elle ne se pardonnerait pas de s'être dérangée seulement une fois d'une certaine méthode qu'elle suit, et dont elle se fait une règle invariable. Mais venez à la contrarier dans une rencontre1, vous la trouverez fière, hautaine, impatiente et aigre, se prévalant de sa vie régulière et de son exacte vertu pour vouloir être d'ailleurs en liberté de faire tout ce qui lui plaît et selon qu'il lui plaît. Mais tâchez à pénétrer dans l'intérieur de son ménage, et sachez comment elle s'y comporte; elle n'a ni complaisance pour un mari, ni affection pour des enfants, ni vigilance sur des domestiques. Il faut que chacun souffre de ses caprices, et tour à tour essuie ses chagrins. Pourvu qu'elle ait passé devant les autels une partie de la journée, qu'elle ait assisté à certaines cérémonies, tout serait renversé dans une maison qu'à peine elle y prendrait garde et y donnerait quelque soin.

(Sermon sur la vraie et la fausse piété, Ire partie.)

UN DÉVOT INTÉRESSÉ

Un dévot intéressé est capable de tout. Prenez garde, capable de tout premièrement, parce qu'il donne à tout, et quelquefois aux plus grandes iniquités, une apparence de piété qui le trompe lui-même, et dont il n'aimerait pas qu'on entreprît de le détromper; mais, en second lieu, capable de tout, parce que, quelque dessein que la passion

1. Une circonstance quelconque.

lui suggère, sa piété, ou plutôt l'estime où1 cette piété fastueuse l'établit, le met en état de réussir. Veut-il pousser une vengeance, rien ne lui résiste; veut-il supplanter un adversaire, il est tout puissant; veut-il flétrir la réputation du prochain et le décrier, son seul témoignage ferait le procès à l'innocent même. Et n'est-ce pas (je ne ferai point ici difficulté de le dire, non pour décréditer la piété, à Dieu ne plaise! mais pour condamner hautement les abus qui s'y peuvent glisser, et qui s'y sont glissés de tout temps), n'est-ce pas par la voie d'une fausse piété qu'on a vu les plus faibles sujets s'élever aux plus hauts rangs; les hommes les moins dignes de considération et de recommandation être néanmoins les plus recommandés et les plus considérés, et, sans d'autres titres ni d'autre mérite qu'un certain air de réforme, emporter sur quiconque la préférence et s'emparer des premières places? Or je vous demande s'il est rien qui, selon les sentiments naturels, doive plus attirer notre aversion et notre indignation?

(Sermon sur la vraie et la fausse piété, IIo partie.)

CONTRE TARTUFFE

Comme la fausse dévotion tient en beaucoup de choses de la vraie; comme la fausse et la vraie ont je ne sais combien d'actions qui leur sont communes; comme les dehors de l'une et de l'autre sont presque tout semblables, il est non seulement aisé, mais d'une suite presque nécessaire, que la même raillerie qui attaque l'une intéresse l'autre, et que les traits dont on peint celle-ci figurent celle-là, à moins qu'on n'y apporte toutes les précautions d'une charité prudente, exacte et bien intentionnée, ce que le libertinage 2 n'est pas en disposition de faire. Et voilà, chrétiens, ce qui est arrivé, lorsque des esprits profanes3, et bien éloignés de

1. Où pour dans laquelle, forme constamment employée au XVII° siècle : L'estime où je vous tiens ne doit pas vous surprendre.

(MOLIÈRE, le Misanthrope, I, 1.)

2. On appelait libertinage, au XVII° siècle, un état d'esprit intermédiaire ́entre l'indifference et le scepticisme.

3. Molière. Assurément Bourdaloue ne prend point le parti de Tartuffe contre Molière, et l'on a pu voir dans les deux morceaux précédents qu'il savait autant que le poète flétrir les faux dévots; mais il faut le faire avec certaines précautions, que n'a pas prises Moliere: « L'hypocrisie, dit ingénieusement saint Augustin, est cette ivraie de l'Evangile que l'on ne peut arracher sans déraciner en même temps le bon grain. Laissons-la croître jusqu'à la moisson, selon le conseil du père de famille, pour ne nous point mettre en danger de confondre

vouloir entrer dans les intérêts de Dieu, ont entrepris de censurer l'hypocrisie, non point pour en réformer l'abus, ce qui n'est pas de leur ressort, mais pour faire une espèce de diversion dont le libertinage pût profiter, en concevant et faisant concevoir d'injustes soupçons de la vraie piété par de malignes représentations de la fausse1. Voilà ce qu'ils ont prétendu, exposant sur le théâtre et à la risée publique. un hypocrite imaginaire, ou même, si vous voulez, un hypocrite réel, et tournant dans sa personne les choses les plus saintes en ridicule 2: la crainte des jugements de Dieu, l'horreur du péché, les pratiques les plus louables en elles-mêmes et les plus chrétiennes3. Voilà ce qu'ils ont affecté, mettant dans la bouche de cet hypocrite des maximes de religion faiblement soutenues, au même temps qu'ils les supposaient fortement attaquées; lui faisant blâmer les scandales du siècle d'une manière extravagante; le représentant consciencieux jusqu'à la délicatesse et au scrupule sur des points moins importants, où toutefois il le faut être, pendant qu'il se portait d'ailleurs aux crimes les plus énormes; le montrant sous un visage de pénitent, qui ne servait qu'à couvrir ses infamies; lui donnant, selon leur caprice, un carac

avec elle les fruits de la grâce et les saintes semences d'une piété sincère et véritable.» (BOURDALOUE, Sur l'hypocrisie, Exorde.) Ce que Bourdaloue reproche à Molière, c'est donc d'avoir stigmatisé l'hypocrisie sans avoir mission de le faire : « Quoi? écrivait du Bois à Racine, vous comparez l'glise avec le théâtre? les divins cantiques avec les cris des bacchantes? les saintes Ecritures avec des discours impudiques? les lumières des prophètes avec des imaginations de poètes? l'esprit de Dieu avec le démon de la comédie? Ne rougissez-vous pas et ne tremblez-vous point d'un excès si horrible? » De plus, comme l'hypocrisie est la momerie de la piété, il arrive souvent que des paroles, louables en soi, deviennent odieuses dans la bouche de Tartuffe, et l'inquiétude causée au clergé par cette comédie était jusqu'à un certain point légitime.

1. On lit dans l'Observation sur la comédie de Molière intituléc le Festin de Pierre: « Voyant qu'il choquait toute la religion, et que tous les gens de bien lui seraient contraires, il a composé son Tartuffe et a voulu rendre les dévots des ridicules et des hypocrites. Il a cru qu'il ne pouvait défendre ses maximes qu'en faisant la satire de ceux qui le pouvaient condamner. >>

2. L'archevêque de Paris disait aussi dans son ordonnance: « On représente sur l'un des théâtres de cette ville, sous le nouveau nom de l'Imposteur, une comédie très dangereuse, et qui est d'autant plus capable de nuire à la religion que, sous prétexte de condamner l'hypocrisie ou la fausse dévotion, elle dor ne lieu d'en accuser indifféremment tous ceux qui font profession de la plus s lide piété, et les expose par ce moyen aux railleries et aux calomnies continuelles des libertins. >>>

3. Bourdaloue fait sans doute allusion à l'entrée de Tartuffe (III, 11) :

Laurent, serrez ma haire avec ma discipline,

Et priez que toujours le Ciel vous illumine.

Si l'on vient pour me voir, je vais aux prisonniers

Des aumônes que j'ai partager les deniers.

4. A la scène v de l'acte Ier Molière prête à Tartuffe un scrupule bizarre qui se trouvait attribué à saint Macaire par la Légende dorée de Jacques de Voragine.

tère de piété la plus austère, ce semble, et la plus exemplaire, mais, dans le fond, la plus mercenaire et la plus lâche.

Damnables inventions pour humilier les gens de bien, pour les rendre tous suspects, pour leur ôter la liberté de se déclarer en faveur de la vertu, tandis que le vice et le libertinage triomphaient; car ce sont là, chrétiens, les stratagèmes et les ruses dont le démon s'est prévalu; et out cela fondé sur le prétexte de l'hypocrisie. « Le monde est plein de ces hypocrites, disait le libertin; ils sont au milieu de nous, et nous sommes parmi eux; mais nous ne les connaissons pas, et il n'y a que Dieu, qui sonde les cœurs, lequel puisse les distinguer. Que savons-nous si toutes cesvertus qu'on élève si haut, et qu'on nous propose pour modèles, ne sont point de ces hypocrisies colorées, qui n'ont qu'une belle face et qu'un certain brillant? » Ainsi, dis-je, raisonnait l'impie, et ainsi raisonne-t-il encore tous les jours; par où, comme je viens de le remarquer, il prétend se défendre du témoignage que la piété rend contre lui, et pense avoir droit de le récuser, puisque, du moment qu'elle est suspecte, elle perd toute autorité, et n'est plus recevable dans ses jugements.

(Sermon sur l'hypocrisie, Ire partie.)

LA VRAIE PIÉTÉ

Ah! chrétiens, on se fait tant de fausses idées de la piété! on la croit fort éloignée, lorsqu'elle est auprès de nous; on se persuade qu'il faut sortir de son état, et abandonner tout pour la trouver; et voilà ce qui ralentit toute notre ardeur, et ce qui nous désespère. Mais étudiez bien François de Sales; c'est assez pour vous détromper: vous apprenez de lui que toute votre piété est renfermée dans votre condition et dans vos devoirs. Je dis dans vos devoirs fidèlement observés ne manquez à rien de tout ce que demandent votre emploi, votre charge, les diverses relations que vous avez plus directement, ou avec Dieu en qualité de ministres des autels, ou avec le public en qualité de juges, ou avec des domestiques en qualité de maîtres, ou avec des enfants en qualité de pères et de mères; avec qui que ce puisse être, et dans quelque situation que ce puisse être, embrassez tout

1. Voir os extraits d'Arnauld.

cela, accomplissez tout cela, ne négligez pas un point de tout cela.........

Vous me direz qu'on ne voit point là ni de rigoureuses pénitences à pratiquer, ni de grands efforts à soutenir : j'en conviens; mais j'ajoute et je réponds que c'est cela même qui en fait l'excellence et qui nous en doit donner la plus haute estime. Car c'est là que, sans qu'il paraisse beaucoup de mortifications, on a sans cesse à se mortifier; que, sans croix en apparence, on trouve sans cesse à se crucifier; que, sans nulle violence au dehors, il faut sans cesse se vaincre et se renoncer1. Et je vous demande en effet, chrétiens, pour s'assujettir, comme François de Sales, à une observation exacte et fidèle, à une observation pleine et entière, à une observation constante et assidue, à une observation sainte et fervente des devoirs de chaque état, quelle attention est nécessaire? quelle vigilance et quels retours sur soi-même ? et pour se maintenir dans cette attention et cette vigilance continuelle, de quelle fermeté a-t-on besoin, el en combien de rencontres 2 faut-il surmonter la nature, captiver les sens, gêner l'esprit ?

(Pour la fête de saint François de Sales, II partie.)

FLÉCHIER
(1632-1710)

Esprit Fléchier entra dans la congrégation de la Doctrine chrétienne, dont son oncle était supérieur général, et fut chargé d'enseigner la rhétorique à Narbonne. Son oncle mort, il vint à Paris, où ses vers latins le mirent plus en vue que ses petits vers français. En 1665, il accompagna en Auvergne un conseiller d'État, dont il élevait le fils, et nous a laissé de l'Auvergne pendant les Grands-Jours un tableau curieux, souvent pittoresque, et toujours spirituel. Très goûté à l'hôtel de Rambouillet, Fléchier fut nommé lecteur du Dauphin, grâce à la protection du duc de Montausier, et se mit à prêcher plus fréquemment. L'Oraison funèbre de madame de Montausier (1672) lui ouvrit la porte de l'Académie. Elle fut suivie de celles de la duchesse d'Aiguillon (1675), nièce de Richelieu, de Turenne (1676), le chef-d'œuvre de Fléchier, du premier président de Lamoignon (1679), et de la reine Marie-Thérèse (1683). Nommé évêque de Lavaur en 1685, 1. C'est-à-dire faire entièrement abnégation de soi-même. 2. Voir le morceau intitulé: la Fausse Piété.

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