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nous pourrons pour votre santé; mais toutes nos drogues sont inutiles, si vous n'y mélez une drachme1 de Boisrobert. » Parmi ces entretiens familiers, M. de Boisrobert, qui l'entretenait de tout, ne manqua pas de lui faire un récit avantageux de la petite assemblée qu'il avait vue et des personnes qui la composaient; et le Cardinal, qui avait l'esprit naturellement porté aux grandes choses, qui aimait surtout la langue française, en laquelle il écrivait lui-même fort bien 2, après avoir loué ce dessein, demanda à M. de Boisrobert si ces personnes ne voudraient point faire un corps, et s'assembler régulièrement et sous une autorité publique. M. de Boisrobert ayant répondu qu'à son avis cette proposition serait reçue avec joie, il lui commanda de la faire, et d'offrir à ces messieurs sa protection pour leur Compagnie, qu'il ferait établir par lettres patentes, et à chacun d'eux en particulier son affection, qu'il leur témoignerait en toutes rencontres....

(Histoire de l'Académie française, éd. de 1717, p.

PROLOGUE DES FACHEUX 8

+-6.)

(Le théâtre représente un jardin orné de termes et de plusieurs jets d'eau.) UNE NAÏADE 5, sortant des eaux dans une coquille.

Pour voir en ces beaux lieux le plus grand roi du monde,
Mortels, je viens à vous de ma grotte profonde.

Faut-il, en sa faveur, que la terre ou que l'eau
Produisent à vos yeux un spectacle nouveau?
Qu'il parle ou qu'il souhaite, il n'est rien d'impossible:
Lui-même n'est-il pas un miracle visible?

Son règne, si fertile en miracles divers,

N'en demande-t-il pas à tout cet univers?

Jeune, victorieux, sage, vaillant, auguste,

Aussi doux que sévère, aussi puissant que juste

Régler et ses États et ses propres désirs;

Joindre aux nobles travaux les plus nobles plaisirs ;

1. Poids de 3 grammes 24 centigrammes.

2. Voir nos extraits de Richelieu.

3. Comédie-ballet de Molière, représentée dans la grande fête donnée à Louis XIV par Fouquet dans son château de Vaux, le 16 août 1661, trois semaines avant sa disgrâce.

4. On place souvent dans les jardins des statues d'hommes ou de femmes dont la partie inférieure se termine en gaine, et qu'on nomme termes. Le grand bassin des Tuileries est entouré de termes.

5. Nymphe des eaux.

En ses justes projets jamais ne se méprendre ;
Agir incessamment, tout voir et tout entendre,
Qui peut cela peut tout: il n'a qu'à tout oser,
Et le ciel à ses vœux ne peut rien refuser.
Ces termes marcheront, et, si Louis l'ordonne,
Ces arbres parleront mieux que ceux de Dodone 1.
Hôtesses de leurs troncs 2, moindres divinités,
C'est Louis qui le veut, sortez, Nymphes, sortez;
Je vous montre l'exemple, il s'agit de lui plaire.
Quittez pour quelque temps votre forme ordinaire,
El paraissons ensemble aux yeux des spectateurs,
Pour ce nouveau théâtre, autant de vrais acteurs.

(Plusieurs dryades, accompagnées de faunes et de satyres 3, sortent des arbres et des termes.)

Vous, soin de ses sujets, sa plus charmante étude,
Héroïque souci, royale inquiétude,

Laissez-le respirer, et souffrez qu'un moment ✦
Son grand cœur s'abandonne au divertissement:
Vous le verrez demain, d'une force nouvelle,
Sous le fardeau pénible où votre voix l'appelle,
Faire obéir les lois, partager les bienfalts,
Par ses propres conseils prévenir nos souhaits,
Maintenir l'univers dans une paix profonde,
Et s'ôter le repos pour le donner au monde.
Qu'aujourd'hui tout lui plaise et semble consentir
A l'unique dessein de le bien divertir!

Fàcheux, retirez-vous, ou, s'il faut qu'il vous voie,
Que ce soit seulement pour exciter sa joie.

(La naïade emmène avec elle, pour la comédie, une partie des gens qu'elle a fait paraître, pendant que le reste se met à danser aux sons des hautbois, qui se joignent aux violons.)

1. Forêt de chênes, où fut élevé Jupiter, et dont les feuilles rendaient des oracles.

2. Elle s'adresse aux Dryades, qui habitent le tronc des arbres.

3. Les faunes et les satyres sont des divinités des champs et des bois; les satyres ont des cornes et des pieds de bouc, les faunes des oreilles de chèvre. 4. Même mouvement que dans les premiers vers du Cinna de Corneille :

Enfants impétueux de mon ressentiment,

Que ma douleur séduite embrasse aveuglément...
Durant quelques moments souffrez que je respire

5. Être d'accord dans.

SAINT-ÉVREMOND

(1613-1703)

Charles de Marguetel de Saint-Denis, seigneur de Saint-Évremond, naquit à Saint-Denis le Guast, près de Coutances. Sorti du collège des jésuites, où il fit ses études, il prit la carrière militaire, et, derrière Condé, assista aux glorieuses journées de Rocroy, de Fribourg et de Nordlingen; mais une satire contre le vainqueur lui fit perdre sa lieutenance en 1648. Pendant la Fronde, il resta fidèle à la régente, et son amusant pamphlet: la Retraite de M. de Longueville en Normandie, contribua à le faire nommer maréchal de camp en 1652. Ses qualités de causeur en faisaient le héros des salons, quand il encourut, pour des motifs mal connus, la disgrâce royale. En 1661, il se rendit en Angleterre, où Charles II lui accorda une pension de trois cents livres sterling. La duchesse de Mazarin, réfugiée à Londres, en fit son chancelier, et il l'aida puissamment à fonder un salon littéraire; il se plaisait tellement dans ce milieu qu'il refusa de revenir en France en 1688. Il repose à Westminster. Ce fidèle admirateur de la littérature du temps de Louis XIII et de la Fronde a écrit un très grand nombre de lettres, de dissertations, d'observations historiques, de petits traités, dont le principal est intitulé Réflexions sur les divers génies du peuple romain; il a composé aussi plusieurs satires dialoguées: Sir Politick WouldBee, où il met au premier plan un personnage secondaire de l'admirable Volpone (1605) du poète anglais Ben-Johnson (1574-1637), la Comédie des Académistes, et la Comédie des opéras.

SUR L'ALEXANDRE LE GRAND 1 DE RACINE

Concluons.... qu'Alexandre et Porus devaient conserver leur caractère 2 tout entier; que c'était à nous à les regarder sur les bords de l'Hydaspe3, tels qu'ils étaient, non pas à eux de venir sur les bords de la Seine étudier notre naturel et prendre nos sentiments. Le discours de Porus devait avoir quelque chose de plus étranger et de plus rare. Si Quinte-Curce s'est fait admirer dans la harangue des Scythes par des pensées et des expressions naturelles à leur nation, l'auteur se pouvait rendre aussi merveil

5

1. Représenté le vendredi 4 décembre 1665.

2. Saint-Évremond reproche avec raison à Racine d'avoir fait deux petitsmaîtres de ses héros, Alexandre et Porus.

3. Fleuve de l'Inde, que franchit Alexandre pour attaquer Porus.

4. La façon de parler.

5. VII, 8.

leux en nous faisant voir, pour ainsi parler, la rareté du génie d'un autre monde.

La condition différente de ces deux rois, où chacun remplit si bien ce qu'il se devait dans la sienne, la vertu diversement exercée dans la diversité de leur fortune, attire la considération des historiens, et les oblige à nous en laisser une peinture. Le poète, qui pouvait ajouter à la vérité des choses, ou les parer du moins de tous les ornements de la poésie, au lieu d'en employer les couleurs et les figures à les embellir, a retranché beaucoup de leur beauté; et, soit que le scrupule d'en dire trop ne lui en laisse pas dire assez, soit par sécheresse et stérilité, il demeure beaucoup audessous du véritable. Il pouvait entrer dans l'intérieur, et tirer du fond de ces grandes âmes, comme fait Corneille, leurs plus secrets mouvements; mais il regarde à peine les simples dehors, peu curieux à bien remarquer ce qui paraît, moins profond à pénétrer ce qui se cache.

J'aurais souhaité que le fort de la pièce eût été à nous représenter ces grands hommes, et que, dans une scène digne de la magnificence du sujet, on eût fait aller la grandeur de leurs âmes jusqu'où elle pourrait aller. Si la conversation de Sertorius et de Pompée1 a tellement rempli nos esprits, que ne devait-on pas espérer de celle de Porus et d'Alexandre sur un sujet si peu commun? J'aurais voulu encore que l'auteur nous eût donné une plus grande idée de cette guerre. En effet, ce passage de l'Hydaspe, si étrange qu'il se laisse à peine concevoir une grande armée de l'autre côté avec des chariots terribles 2, et des éléphants alors effroyables; des éclairs, des foudres, des tempêtes, qui mettaient la confusion partout, quand il fallut passer un fleuve si large sur de simples peaux3; cent choses étonnantes qui épouvantèrent les Macédoniens, et qui surent faire dire à Alexandre qu'enfin il avait trouvé un péril digne de lui: tout cela devait fort élever l'imagination du poète, et dans la peinture de l'appareil, et dans le récit de la bataille. Cependant on parle à peine des camps des deux rois, à qui l'on ôte leur propre génie, pour les asservir à des princesses purement imaginées. Tout ce que l'intérêt a de plus grand et de plus précieux parmi les hommes, la dé

1. Dans le Sertorius de Corneille (III, 1).

2. Des chars armés de faux.

3. Sur des outres.

4. Voir le récit de Quinte-Curce (VIII, 14)

fense d'un pays, la conservation d'un royaume n'excite point Porus au combat, il y est animé seulement par les beaux yeux d'Axiane 1, et l'unique but de sa valeur est de se rendre recommandable auprès d'elle. On dépeint ainsi les chevaliers errants, quand ils entreprennent une aventure 2; et le plus bel esprit, à mon avis, de toute l'Espagne 3, ne fait jamais entrer Don Quichotte dans le combat qu'il ne se recommande à Dulcinée ".

Un faiseur de romans peut former ses héros à sa fantaisie; il importe peu aussi de donner la véritable idée d'un prince obscur, dont la réputation n'est pas venue jusques à nous: mais ces grands personnages de l'antiquité, si célèbres dans leur siècle, et plus connus parmi nous que les vivants mêmes, les Alexandres, les Scipions, les Césars, ne doivent jamais perdre leur caractère entre nos mains; car le spectateur le moins délicat sent qu'on le blesse, quand on leur donne des défauts qu'ils n'avaient pas, ou qu'on leur ôte des vertus qui avaient fait sur son esprit une impression agréable. Leurs vertus, établies une fois chez nous, intéressent l'amour-propre comme notre vrai mérite: on ne saurait y apporter la moindre altération, sans nous faire sentir ce changement avec violence. Surtout il ne faut pas les défigurer dans la guerre, pour les rendre plus illustres dans l'amour. Nous pouvons leur donner des maîtresses de notre invention, nous pouvons mêler de la passion avec leur gloire; mais gardons-nous de faire un Antoine d'un Alexandre, et ne ruinons pas le héros établi par tant de siècles en faveur de l'amant que nous formons à notre fantaisie.

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(Dissertation sur la tragédie de Racine intitulée : Alexandre le Grand, éd. de 1711, t. II, p. 278-282.)

1. Dans le Pompéc de Corneille, César ne fait tant de conquêtes que pour les yeux de Cléopâtre; Racine ne fait donc ici qu'imiter Corneille.

2. Dans les romans de la Table ronde.

3. Cervantes Saavedra (1547-1616).

4. Le nom de Dulcinée du Toboso, la bien-aimée de Don Quichotte, est resté populaire.

5. Maitresse, serviteur, termes du langage galant au xvII° siècle, qui désignent tout simplement la personne aimée et celui qui l'aime.

6. On sait qu'Antoine oublia auprès de Cléopâtre sa gloire militaire.

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