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Fronde, quand on a lu le cardinal de Retz, La Rochefoucauld et madame de Motteville; le règne de Louis XIV, quand on a lu mademoiselle de Montpensier, Dangeau (1638-1720) et ce terrible Saint-Simon 1. Quelques-uns de ces Mémoires ont une valeur littéraire. Malgré ses longues périodes, contemporaines de celles de Descartes, le style de Richelieu ne manque pas de fermeté ; Voltaire a pu dire des Mémoires du cardinal de Retz qu'ils «sont écrits avec un air de grandeur, une impétuosité de génie et une inégalité qui sont l'image de sa conduite. » Sans valoir ses Maximes, les Mémoires de La Rochefoucauld sont d'un écrivain habile; ceux de madame de Motteville éveillent l'idée d'un pastel fin et délicat; Mademoiselle se met en robe de chambre pour écrire ses souvenirs, que personne ne doit lire, mais c'est la robe de chambre élégante de la plus fière des princesses de France; c'est avec la plume qui a écrit la Princesse de Clèves que madame de La Fayette rédige les Mémoires de la cour de France pour les années 1688 et 1689; enfin les pages connues sous le nom de Mémoires de Louis XIV prouvent que le grand roi parlait la pure et belle langue des écrivains qu'il protégeait. Il est peu de corps de bibliothèque d'un intérêt égal à celui qui renferme les cent trente-deux volumes de la Collection des Mémoires relatifs à l'Histoire de France depuis le règne de PhilippeAuguste jusqu'à la paix de Paris de 1763, par Petitot et Monmerqué.

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A côté des Mémoires, les Correspondances fournissent à l'historien des renseignements précieux; sans compter qu'une lettre bien faite, quel que soit le sujet dont elle parle, procure à l'esprit un plaisir d'un ordre tout particulier et des plus délicats. Le genre épistolaire occupe donc une place à part dans l'histoire d'une littérature, et, hàtons-nous de le dire, dans aucune littérature cette place n'est plus large que dans la nôtre. Sans parler des lettres de Malherbe, de La Fontaine, de Bossuet, de Racine et de Boileau, le xvne siècle a produit en France quatre grands épistoliers, dont un au moins ne craint pas de rival: Balzac, Voiture, mesdames de Sévigné et de Maintenon. Rien ne ressemble moins cependant aux lettres de Balzac et de Voiture que celles de madame de Sévigné et surtout de madame de Maintenon; c'est qu'il y a deux sortes de lettres: celles qui sont destinées au public bien plus qu'à la personne à qui elles sont adressées, et ce sont les lettres de Pline le Jeune, de Balzac et de Voiture; et celles qui ne sont écrites que pour la personne qui les reçoit, et ce sont les lettres de Cicéron, de madame de Sévigné et de madame de Maintenon; les premiers

1. Le plan de nos recueils a voulu que Saint-Simon se trouvât dans le XVIII° siècle; c'est d'ailleurs au vin° siècle qu'il a écrit ses Mémoires.

mettent jusqu'à quinze jours pour composer leurs plus courtes lettres, y semant l'esprit avec une incroyable profusion, en faisant de jolis petits objets d'art, admirablement ciselés, qui leur coûtent plus de peine qu'un sonnet; les seconds laissent trotter leur style 1 ou leur plume « la bride sur le cou », comme dit madame de Sévigné, et c'est sans y songer qu'ils ren contrent quelquefois l'éloquence au milieu du charme, de l'aisance, de la grâce, de l'enjouement et de la malice d'un style sans apprêt. Lequel de ces deux genres, pourra-t-on demander, mérite le plus notre admiration? On ne saurait mettre en balance deux talents d'ordre si différent : l'un qui ne s'acquiert que par l'effort, l'autre qui semble naturel à certaines personnes d'un esprit cultivé. Ce qui est certain, c'est que des quatre grands épistoliers du xvII° siècle, deux, ceux qui ont tant travaillé leur style, sont fort peu lus aujourd'hui 2; la raison solide, le bon sens éclairé, et le style sans recherche de madame de Maintenon retiennent encore les gens de goût; quant à madame de Sévigné 3, elle résume trop complètement en elle toutes les qualités de l'esprit français pour craindre de manquer jamais de lecteurs; elle a l'esprit libre de Voltaire, sans avoir ces hardiesses de pensée qui déconcertent tant de personnes, et elle y joint une tendresse et une grâce féminine d'une saveur sans égale.

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Ces qualités, c'est dans le roman seulement de madame de La Fayette que nous les retrouvons, en partie, à la même époque. « Il y a, dit Cousin dans la Société française au xvпo siècle", trois moments, trois degrés bien marqués dans l'histoire du roman au XVIIe siècle. D'abord d'Urfé crée le genre et y imprime le caractère essentiel qu'il gardera en bien et en mal 5. Puis mademoiselle de Scudéry éclaircit et tempère le sublime vaporeux 6

1. On sait que Cicéron, comme tous les anciens, écrivait avec un style ou poinçon d'ivoire sur des tablettes de cire.

2. « Voiture a été admiré de ses contemporains les plus spirituels et les plus difficiles. La Fontaine le met au nombre de ses maîtres. Madame de Sévigné l'appelle un esprit « libre, badin, charmant ». Boileau dit assez que Voiture est, à ses yeux, le mets des délicats, lorsqu'il introduit un esprit vulgaire, une sorte de provincial, demandant ce qu'on y trouve de si beau. Avouons-le, nous ressemblons tous plus ou moins à ce provincial-là: nous avons peine aujourd'hui à retrouver les titres de la renommée de Voiture. » (CoUSIN, la Jeunesse de madame de Longueville, p. 135.) Il y en a un cependant qui est indiscutable, en dépit de Cousin et de Stendhal (Promenades dans Rome, II, 287), c'est la Lettre sur la reprise de Corbie.

3. Il est certain que madame de Sévigné savait que ses lettres étaient recherchées, et qu'elle en a soigné particulièrement quelques-unes; mais elle demeure naturelle jusque dans l'effort, et si ses lettres songent quelquefois à la galerie, elles ne le laissent jamais deviner.

4. T. I, p. 93-94.

5. On peut rattacher à l'Astrée les Amours de Psyché de La Fontaine. 6. Pas si vaporeux que cela. Boileau s'est cruellement moqué de mademoiselle de Scudéry dans son Dialogue des Héros de roman

de d'Urfé. Enfin madame de La Fayette, sur le même fond, abrège, dégage, épure, et porte l'art à une perfection qui accomplit et ferme le cycle des romans au XVIe siècle. Et madame de La Fayette n'est pas arrivée là du premier coup: elle a commencé dans Zayde par retenir, en les adoucissant beaucoup sans doute, les défauts que lui transmettait son ingénieuse devancière, les aventures bizarres et forcées, surtout ces conversations si agréables, mais bien longues encore, visiblement imitées de celles du Cyrus, ou du moins inspirées par le même génie qui les dicta à mademoiselle de Scudéry. Il faudra, après Zayde, qui est de 1670, huit ans de nouvelles et de conseils secrets 1, bien supérieurs à ceux de Segrais 2, pour qu'en 1678 la Princesse de Clèves fasse disparaître les dernières traces des défauts du Cyrus, et nous offre en un style adorable, exempt de toute fadeur et pourtant d'une délicatesse exquise, la peinture à la fois et l'analyse des sentiments héroïques et tendres, la naissance, le progrès, le charme suprême, les luttes touchantes, les vertueux sacrifices du plus noble

amour. >>

Le Grand Cyrus avait inauguré le roman prétendu historique; mais ce roman peignait sous des noms anciens des personnages: contemporains et des événements récents. Il ne faut donc chercher aucune couleur locale dans le Grand Cyrus et dans la Clélie, pas plus que dans le Faramond ou dans la Cléopâtre de La Calprenède. Ce sont moins des romans grecs ou des romans latins que des romans espagnols; mais, tels qu'ils étaient, on les trouvait admirables. Madame de Sévigné, si naturelle et si simple, reconn aissait sans doute des caractères assez bien tracés dans la Cléopátre; mais ce qui faisait qu'elle se cachait de son fils pour la relire, c'est qu'elle raffolait des beaux sentiments qui y étaient poussés, et des grands coups d'épée qui s'y donnaient. Le premier romancier qui, depuis d'Urfé, ait recherché la couleur locale, et se soit préoccupé de la vérité des peintures, c'est Gomberville (1600-1674), qui a placé au Mexique l'action de sa Polexandre, de ce fameux roman d'où il avait banni le mot

car.

A côté de ces amours et de ces exploits héroïques apparaît tout à coup en 1666 un roman de mœurs, tentative des plus curieuses pour l'époque, le Roman bou rgeois de Furetière. L'in-

1. Ceux de La Rochefoucauld.

2. Cousin a raison de nommer Segrais dans cette histoire du roman au XVII° siècle. Chargé officiellement de revoir les Nouvelles de Mademoiselle, et d'examiner les premiers romans de madame de La Fayette, il a écrit avec une grâce un peu molle deux volumes de Nouvelles agréables et les quatre premiers tomes d'un roman, Bérénice, d'où Crébillon a tiré sa tragédie de Rhadamisthe et de Zenobie. Signalons aussi le roman de Gombauld, sorte de poème en prose, intitulé Endymion, et les Contes, restés classiques, de Perrault, qui a traité presque tous les genres, et qui n'a véritablement réussi que dans : celui-là.

trigue en est sans intérêt aucun, mais c'est une peinture inestimable de la bourgeoisie française au xvire siècle, et en particulier du monde de la chicane 1.

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A l'exception de la Princesse de Clèves, on connaît fort peu aujourd'hui les romans du xvire siècle; on ne connaît pas mieux les poètes dramatiques qui ont précédé Corneille, nous oserions presque ajouter: et les premières œuvres de Corneille. Et cependant, pour bien comprendre le coup d'éclat du Cid, il est utile de se rendre compte de l'état du théâtre à cette époque et d'avoir essayé de se diriger à travers « ce chaos du poème dramatique », comme disait Racine, recevant Thomas Corneille à l'Académie. Les mystères étaient morts dès les premières années du xvne siècle ; la principauté de la Sotie avait disparu peu après 1608; mais c'est seulement après Mélite, en novembre 1629, qu'un arrêt du Conseil avait supprimé la confrérie de la Passion, à laquelle les comédiens payaient toujours une redevance. Vers 1600 une troupe d'acteurs s'était établie au Marais; elle avait à son service un homme inépuisable, chargé seul de lui fournir des pièces selon les besoins du moment et au gré des spectateurs. Alexandre Hardy, a fait représenter cinq ou six cents pièces, et les quarante et une qu'il a publiées dans sa vieillesse présentent, les tragédies surtout, un certain intérêt ; mais dans cette imitation des théatres grec, latin, italien et espagnol, on pourrait signaler bien des extravagances 2. Après lui, le théâtre du Marais vit applaudir successivement Pyrame et Thisbé de Théophile (1617), les Bergeries de Racan (1618), Sylvie de Mairet (1621), et Amaranthe de Gombauld (1625). C'est le règne des pastorales. Les trente-huit histoires épisodiques de l'Astrée donnent naissance à un nombre infini de tragi-comédies-pastorales, dont le public a la complaisance de ne point se lasser. Le cardinal de Richelieu étend sur le théâtre, qu'il aime, sa bienveillance protectrice. Il forme même une société de « cinq auteurs », chargés d'exécuter les plans de tragédies qu'il imagine, et confie un acte de chacune de ces pièces à Colletet (1598-1659), à Boisrobert (1592-1662), à l'Étoile, à Rotrou et à Corneille; cette petite armée manœuvre sous les ordres de son général, et, sans goût pour une besogne ingrate, ne produit à peu près rien qui vaille. C'est à ce mo

1. Quelques scènes du Mercure galant et des Mots à la mode de Boursault éclairent et complètent le Roman bourgeois. Boursault a écrit, lui aussi, quelques Nouvelles. N'oublions pas de signaler, à côté du Roman bourgeois, le Roman comique de Scarron, d'où Theophile Gautier a tiré son Capitaine Fracasse.

2. C'est Hardy qui supprima le chœur dans la tragédie.

ment qu'on commence à entendre parler de cette fameuse loi des trois unités, qui a si despotiquement durant deux siècles régi notre théâtre. Daniel Heinsius, célèbre érudit hollandais (1580-1655), avait publié en 1611 un traité latin sur la Constitution de la Tragédie. Mairet, encouragé par Richelieu, défendit les règles dans la préface de sa Silvanire, et sa Sophonisbe, qui obtint un très grand succès, fut la première pièce régulière (1629). On vit alors paraître des pièces conformes à ces règles que voulait voir respectées le fondateur de l'Académie; la Cléopâtre de Benserade (1635), la Mort de Mithridate de La Calprenède et la Mariamne de Tristan surent mériter des applaudissements à côté du Cid (1636). La tragédie classique était née; le triomphe de Corneille la fondait, et faisait rentrer dans l'ombre les rivaux du jeune poète, les Mairet, les Scudéry; quelques-uns cependant osent lutter encore, comme du Ryer, qui précéda Corneille à l'Académie, et Gilbert, qui ne craignit pas de faire jouer en même temps que lui une Rodogune; mais la postérité les a remis au rang qu'ils méritaient. Un seul poète est alors digne d'être cité, non pas à côté de Corneille (il ne l'eût pas souffert), mais immédiatement au-dessous de lui; c'est Rotrou. Celui-là est vraiment un écrivain de génie ; il est doué d'un tempérament dramatique, et, s'il avait pu contenir les écarts de sa fougue, s'il avait été guidé par un goût plus sûr, s'il avait su travailler plus lentement, et se résigner à ne pas donner plusieurs pièces par an, il aurait peut-être été l'égal de Corneille 1.

1. Rotrou est un véritable romantique en plein xv siècle; nous n'en voulons pour preuve que sa tragédie de Saint Genest (1646). Cette curieuse picce se compose de trois pièces habilement emboitées l'une dans l'autre la première, peu intéressante, nous fait assister aux fiançailles de l'empereur Maximin et de Valérie, fille de Diocletien. Une comédie va être donnée pour ces fêtes, et Genest, le directeur-acteur de la troupe, s'occupe de faire dresser le décor :

Il est beau; mais encore, avec peu de dépense,
Vous pouviez ajouter à la magnificence,

N'y laisser rien d'aveugle, y mettre plus de jour,
Donner plus de hauteur aux travaux d'alentour,
En marbrer les dehors, en jasper les colonnes.
Enrichir les tympans, leurs cimes, leurs couronnes,
Mettre en vos coloris plus de diversité,

En vos carnations plus de vivacité,

Draper mieux ces habits, reculer ces paysages,
Y faire des jets d'eaux et marquer leurs ombrages,
Et surtout en la toile où vous peignez vos cieux
Faire un jour naturel au jugement des yeux;

Au lieu que la couleur m'en semble un peu meurtrie

Nous le voyons donner des conseils sur son rôle à la comédienne Marcelle, et bientôt la seconde pièce commence, qui met en scène, sous les yeux de Maximin, un épisode de la vie de Maximin; pendant les entr'actes, Valérie et Maximin échangent leurs observations, et vont au foyer des artistes. Mais, en jouant son rôle, un rôle de martyr, Genest est subitement touché de la grâce; il oublie la pièce, fait manquer la réplique, et prononce, en son propre nom, une véritable profession de foi chrétienne. C'est la troisième pièce qui commence; malgré les supplications des comédiens, et les prières de la princesse

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