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volumes. Ainsi, avec ces trois Tableaux et le classement que nous avons adopté pour les auteurs dont nous donnons des extraits, nos Morceaux choisis des XVII, XVIIIe et XIXe siècles pourront servir comme de suite aux Morceaux choisis du XVIe siècle, publiés dans cette maison par MM. Darmesteter et Hatzfeld. Ils s'en distingueront cependant par deux différences capitales : la première, c'est que le goût n'était pas encore formé au xvie siècle, et que, dans un recueil destiné aux classes, MM. Darmesteter et Hatzfeld n'ont pu accorder aux écrivains de ce siècle une hospitalité aussi large que les progrès de la langue nous permettront de le faire pour les écrivains des siècles postérieurs; la seconde, c'est que, sous le titre modeste de Tableau de la littérature française au XVIe siècle, ils ont donné d'une époque encore mal connue de notre littérature une histoire aussi complète que nouvelle, avec laquelle nos petits Tableaux seront bien loin de prétendre soutenir une comparaison. D'ailleurs, faire pour les trois siècles suivants ce qu'ont fait pour le xvie MM. Darmesteter et Hatzfeld n'est plus nécessaire, puisque la Littérature française de M. Désiré Nisard est là, et qu'il n'est pas une bibliothèque du quartier sur les rayons de laquelle on ne la trouve. Nos Tableaux seront donc simplement comme les sommaires d'un cours de littérature; toutefois les parties les plus importantes ou les moins connues y seront un peu plus longuement développées; nous emprunterons de temps à autre les développements à des critiques fameux; nouvelle manière d'attirer l'attention de nos jeunes lecteurs sur ces écrivains, dont ils trouveront d'autres extraits dans le corps même du recueil.

Quant au choix des morceaux, il est inutile de dire que nous n'avons jamais oublié que ces recueils étaient formés pour de jeunes lecteurs.

On trouvera peut-être que, manquant aux lois de proportion, nous avons donné relativement peu de pages de nos meilleurs écrivains; mais, en inscrivant presque tous leurs chefs-d'œuvre sur le programme des diverses classes, les nouveaux plans d'études nous ont imposé cette sobriété.

On verra dans ces volumes certains morceaux qui sont partout, et que, par cela même, nous avons dû reproduire; mais nous avons réduit, autant que nous l'avons pu, le nombre des morceaux de ce genre; nous avons cherché surtout, en rassemblant ces extraits, à donner une idée exacte et complète de chacun des trois derniers siècles de notre

littérature. Voilà pourquoi nous avons accordé une petite place à des écrivains d'un ordre inférieur : pour bien apprécier le Cid, il faut connaître un peu les prédécesseurs de Corneille Hardy, Mairet et Tristan; pour bien juger des progrès accomplis par la langue française au XVIIe siècle, il faut savoir que, si le xviie siècle se termine par La Bruyère et par madame de La Fayette, il a commencé par Faret et par d'Urfé; pour embrasser dans son ensemble le xvIIe siècle, il faut ne pas ignorer qu'auprès de la figure austère de Pascal grimaçait la bouche moqueuse de Scarron, et que, si Louis XIV n'aimait pas plus le genre burlesque que les magots de Téniers, la verve gasconne de Cyrano de Bergerac n'en avait pas moins de nombreux admirateurs. La question de la moralité du théâtre et la satire de l'hypocrisie ont passionné le xvIIe siècle; on trouvera dans ce recueil quelques-uns des monuments de cette querelle, comme les deux sonnets qui avaient soulevé la fameuse querelle, des Jobelins et des Uraniens. On sait que nos grands écrivains du xviie siècle prenaient leur bien partout où ils le trouvaient : on pourra lire dans ce volume, à côté de scènes bien connues de Molière, les scènes de Cyrano de Bergerac, de Rotrou ou de Scarron qui les ont inspirées; il n'est pas toujours facile de se procurer les Nouvelles tragi-comiques de Scarron, même dans les bibliothèques de Paris; le rapprochement sera curieux et utile: c'est à de tels exercices que se forme le goût de la jeunesse. Nous avons choisi de préférence dans les auteurs que nous relisions des pages qui fixent un point d'histoire ou d'histoire littéraire, comme le récit de la bataille de Rocroy par Bossuet et par mademoiselle de Scudéry, comme l'histoire de la fondation de l'Académie française par Pellisson; nous avons admis en grand nombre des portraits, comme ceux du cardinal de Retz par La Rochefoucauld, et de La Rochefoucauld par le cardinal de Retz, d'Anne d'Autriche par madame de Motteville, de Julie et de madame de Sablé par Mademoiselle, de madame de Sévigné par Bussy-Rabutin et par madame de La Fayette, parce que ces portraits joignent à leur mérite littéraire celui d'être des documents historiques. Enfin, selon l'impor tance du mouvement scientifique dans chaque siècle, nous avons accordé une place plus ou moins large dans nos recueils aux savants qui ont écrit sur les sciences avec une élégante précision. On le voit, nous avons cherché à présenter chaque siècle sous tous ses aspects, à éveiller par la

nouveauté de certaines pages la curiosité des jeunes gens, et à l'entretenir par la variété des sujets; nous n'avons rien négligé pour atteindre notre but.

Nous avons banni presque complètement de nos notes les appréciations et les remarques admiratives; non que nous les jugions inutiles dans un volume qui ne peut être lu tout entier aux heures de classe (les meilleurs élèves eux-mêmes sont toujours embarrassés quand on leur demande d'expliquer ce qui fait la beauté d'un texte); mais nous avons dû renoncer diriger dans nos notes le goût des élèves, pour ne pas grossir outre mesure notre commentaire. Ce commentaire se borne donc à fournir des renseignements historiques, biographiques, littéraires; à signaler quelques tournures vieillies, ou des rapprochements intéressants que leurs livres de classe permettent aux élèves de faire par euxmêmes; à donner parfois au bas d'un morceau important un autre morceau du même auteur ou d'un autre écrivain, qu'un intérêt moindre et l'abondance des matières n'ont pas permis de faire figurer dans le corps même du recueil. En résumé, nos notes ont surtout pour but d'achever de marquer la physionomie du siècle que nous offrons à l'étude des élèves.

Nous avons presque toujours corrigé le texte de nos extraits sur les premières éditions de nos classiques, ou, dans certains cas, sur les plus récentes : c'est dire que nous avons cherché les meilleures et qu'on lira ici le texte véritable de pages fameuses de La Rochefoucauld, de Corneille, du cardinal de Retz, ou de Louis XIV, que l'on trouve singulièrement défigurées dans d'autres recueils.

Quant à l'orthographe, nous nous sommes gardé de suivre une mode imprudente, qui, respectant ce qu'on appelle l'orthographe du xvIe siècle, laquelle n'avait pas de règles bien fixes, trouble, sans utilité aucune, la mémoire et l'esprit des jeunes gens, et contribue (nous en avons tous les jours des preuves nouvelles) à les empêcher d'écrire suivant les règles établies aujourd'hui ; nous avons partout assujetti le texte de nos auteurs à ces règles.

Disons, en terminant, que, pour notre travail, le Diction naire des Littératures de Vapereau et le Dictionnaire de Littré nous ont été de constants auxiliaires.

Avril 1883.

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On a coutume d'appeler le xvIe siècle le Siècle de Louis XIV, et nous sommes loin de protester contre cet honneur accordé à un monarque, dont la protection éclairée n'a cessé durant le dernier tiers du xvIe siècle et les premières années du xvie, d'encourager les lettres et les arts; mais cette appellation a cu pour résultat que, dans la plupart des recueils de Morceaux choisis, le xvu siècle commence vers 1625, à peine quelques années avant la naissance du roi, parce que l'on n'en peut décemment exclure Balzac et Descartes, Malherbe et Corneille, et ne se termine au contraire que vers 1720, quelques années après la mort de Louis XIV, quand on veut bien n'y pas comprendre encore Massillon, qui pourtant ne cesse de revoir ses sermons qu'en 1742, Saint-Simon, qui meurt en 1755, Fontenelle qui s'éteint en 1757. Il devient impossible alors de suivre la marche des idées et le progrès de la langue au xvi° siècle, de comprendre ce siècle.

Durant les cinquante premières années, la prose, comme l'a dit Sainte-Beuve dans une page excellente sur la netteté de l'expression, que l'on trouvera dans notre Tableau de la littérature française au XVIe siècle, « fait sa classe de grammaire avec Vaugelas, et sa rhétorique sous Balzac »; et, comme toujours le progrès des mœurs et des idées marche avec celui de la langue, en même temps que Malherbe réforme la poésie, que Richelieu fonde l'Académie, et que Corneille écrit ses chefs-d'œuvre, la marquise de Rambouillet, en contribuant à épurer et à raffiner la langue, contribue à épurer et à raffiner les mœurs encore étrangement grossières du règne de Henri IV 1, et Descartes

1. Voir dans nos Morceaur choisis du XIX° siècle une page excellente de Cousin sur l'Hôtel de Rambouillet.

fonde la philosophie française avec son Discours de la méthode. C'est une période d'essais intéressants et de transformations curieuses, qui mériterait d'être étudiée pour elle-même, quand même elle ne préparerait pas le brillant épanouissement de la seconde moitié du siècle. C'est seulement en 1656, à l'apparition des Provinciales, que, dit Sainte-Beuve, la prose « s'émancipa tout d'un coup et devint la langue du parfait honnête homme avec Pascal. » C'est alors que mûrit cette moisson dont Malherbe et d'Urfé avaient jeté les semences, et qu'apparaît Louis XIV dans toute sa gloire, accompagné de cette nombreuse escorte d'écrivains illustres, parmi lesquels brillent d'un éclat plus vif encore Bossuet et madame de Sévigné, Molière et Racine, La Fontaine et Boileau. C'est la seconde période du siècle, la plus connue et la plus digne de l'être, la plus complètement belle de notre littérature. Mais elle ne dure pas plus de trente à quarante ans ; elle se termine avec l'Oraison funèbre du prince de Condé en 1687, et avec Athalie en 1691. Une nouvelle période commence alors. Depuis quelques années déjà, la langue française prend une physionomie nouvelle; elle a dépouillé cette ample robe aux plis flottants dont Bossuet enveloppait sa pensée; la phrase se fait concise; elle évite l'emploi des mots les plus généraux, que Cicéron recommandait à Rome, et que Buffon, très en retard sur son siècle, ou très en avance sur une partie du nôtre, recommandera en 1763 dans l'Académie; elle recherche soigneusement l'exacte propriété des termes, la netteté de l'expression; on se préoccupe moins d'être éloquent, et on se préoccupe davantage de plaire; on cherche l'esprit, et on le trouve; on tient moins à émouvoir, on tient plus à convaincre; le raisonnement devient serré, comme le style; c'est déjà la langue de la philosophie, et comme, répétons-le, les transformations des idées et des mœurs s'opèrent en même temps que celles de la langue, le règne des philosophes est proche : la raison, dont la vue ni la marche ne sont plus gênées par l'obscurité d'une phrase embarrassée de circonlocutions, va se trouver face à face avec les faits dans l'ordre politique, avec les dogmes dans l'ordre religieux, avec les principes dans la morale; ils lui apparaîtront dans la pleine lumière d'une expression exacte et nette; elle s'habituera à les examiner; elle osera bientôt les discuter, et avec d'autant plus de hardiesse que, si elle se trouve à bout d'arguments, l'esprit sera là pour lui fournir de brillants paradoxes. Dès la fin du xvne siècle on sent mourir le respect et la piété : déjà, sous le gouvernement absolu de Louis XIV, Fénelon rêve la république de Salente, et ose prononcer cette phrase « Les rois sont faits pour les peuples, et non les peuples pour les rois; » déjà, tandis que madame de Maintenon et

1. « L'honnête homme est un homme poi et qui sait vivre.» (BussyRABUTIN, Lettre à Corbinelli du 4 mars 1676.)

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