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coups, au lieu de nous terraffer par fa violence, il aura pour nous le charme d'une douce perfuafion, & nous portera infenfiblement à tenir des propos agréa bles & plaifans.

Il y a apparence qu'Horace ne vouloit rien dire autre chofe, quand il difoit de Caton l'ancien, qu'il animoit quelquefois fa vertu par une pointe de vin, Narratur & prifci Catonis fæpe mero caluiffe virtus. Quoiqu'il en foit, il est constant que les plaifirs de la table, groffiers parmi nous, étoient plus épurez & plus délicieux pour les Grecs, par le charme de la conversation, qui en étoit chez eux l'ame & le foûtien. Ils trouvoient le fecret de rendre leur vin innocent, & leurs débauches fages & polies. On voyoit huit ou dix des plus honnêtes gens d'Athènes, Philofophes, parce que les honnêtes gens d'alors étoient Philofophes, fe raffembler chez un ami commun, manger chez lui, paffer des huit & dix heures à table, non à boire, mais à s'entretenir. Et quelsétoient leurs entretiens ? Les plus libres, les plus familiers, les plus ailez

aifez, les plus enjouez, les plus variez, mais en même temps les plus polis, les plus doctes, & les plus folides qu'il foit poffible d'imaginer. La converfation fans le fecours de l'obfcénité, ou de la médisance, ne languiffoit point, & fe pouffoit quelquefois jufques bien avant dans la nuit. Si quelqu'un abufant de la liberté de la table, difoit quelque chofe de licentieux, bien-tôt un des Convives auffi chéri pour la douceur & la facilité de fes mœurs, qu'honoré pour fa vertu, prenoit la parole; &, fans faire le critique ou le docteur, mais avec une adreffe & une politeffe merveilleuse, relevoit ce qui s'étoit dit contre les bonnes mœurs mettoit

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quelque point de morale fur le tapis & fans fortir ni du ton de la converfation ni de l'enjouement qu'elle demande, traitoit ce point à fond, en démontroit la vérité, & le rebattoit jufqu'à ce que tous en fuffent convaincus. Ainfi ces aimables Convives, après avoir été un temps confidérable, à ne faire en apparence que boire & que manger, fe trou

Tome II.

X

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voient en fe quittant, non-feulement plus amis qu'auparavant, mais plus honnêtes gens & plus vertueux. Tels étoient les plaifirs de la table chez les Grecs.

Ces idées au refte ne font point des idées chimériques; je les ai tirées de deux célèbres monumens de l'Antiquité, l'un de Platon, l'autre de Xenophon, qui tous deux portent le nom de banquet, parce qu'ils contiennent une peinture naïve de ce qui s'étoit paflé à table entre un cer-tain nombre d'amis.

On dira peut-être, que ces banquets & ces converfations font de purs jeux d'efprit, qui n'eurent jamais de réalité, Mais je réponds que Platon & Xenophon nous les donnant comme chofes arrivées de leur temps, & dont plufieurs perfonnes avoient été témoins, ils méritent bien d'être crû joint que le Dialogue, qui eft le genre d'écrire qu'ils ont choifi, pour nous rendre ces charmantes converfations, pécheroit contre la vrai-femblance, s'ils rappor toient des chofes qui ne fuffent pas

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dans les mœurs de leur nation & de leur fiécle. Car ces merveilleux dialogues, que nous voyons en fi grand nombre dans Platon, dans Xenophon, dans Cicéron, & où fe traitent par maniére de converfation les plus importantes questions de la Politique, de la Dialectique, de la Rhétorique, de la Phyfique, de la Morale, même de la Théologie & de la Religion, je tiens pour moi qu'ils font une preuve inconteftable, que les hommes d'alors, bien autrement inftruits que nous à penser & à ler faifoient en effet de ces grandes matiéres le fujet ordinaire de leurs entretiens.

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par

Mais après tout, qu'importe que ce foient des idées ou des réalitez ? Si ce ne font que des idées, il faut du moins convenir que ce font de belles idées ; & qui empêche que nous n'en faffions des réalitez, en y conformant nos mœurs? Quel plus beau modéle puis-je donc propofer à notre fiécle, dans un temps où les perfonnes qui ont encore quelque délicateffe & quelque goût, fe plaignent

qu'il n'y a plus de converfation en France, & où le démon du jeu s'eft fi fort emparé de la nation, qu'à peine êtes-vous entré dans une maifon, que l'on vous préfente des cartes ou un cornet? Comme fi les hommes d'aujourd'hui ne favoient plus ni penfer, ni parler. Quel témoignage plus humiliant & de la petiteffe de notre efprit, & de la baffeffe de nos mœurs? C'est donc pour guérir nos François de cet indigne amufement, que je donne au Public une partie du banquet de Platon: perfuadé que les écrits des Anciens, confidérez par rapport aux mœurs, ne méritent pas moins l'attention du Public, & celle de l'Académie, que ces mêmes écrits confidérez par rapport à l'efprit & au favoir. Il y a même un temps dans la vie, où l'on eft plus touché des mœurs, que de la beauté de l'efprit, & que des avantages de la fcience, qui après tout, ne feront jamais la principale partie du mérite de l'homme. \

Ce repas ou banquet de Platon, fe donne chez Agathon, à l'occa

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