davantage. Car fi l'on confidére l'économie & la diftribution de tout l'ouvrage, les argumens & la maniére dont il les traite, on fentira qu'un temps fi long n'a pas été mal employé à un tel difcours. Auffi a-t-il produit divers effets fur les gens du métier; les uns examinant le fond des chofes, les autres s'en tenant à la fuperficie, je veux dire au ftile & à la diction: les uns approfondiffant tout, les autres fe contentant de lire pour le plaifir de lire, chacun felon fon caractére & fon goût, ou fuivant qu'il étoit plus ou moins propre aux fonctions de la tribune & du barreau. Ifocrate fit fon oraison Panathénaïque un an avant fa mort, d'autres difent quatre ans. Pour fes lettres à Philippe, il les écrivit peu avant que de mourir, Il vécut cent ans felon quelques-uns,

&

quatre-vingt-dix-huit, felon d'autres: ce qui eft certain, c'eft qu'ayant appris la défaite des Grecs à Chéronée, il prit la réfolution de mourir, s'abftint de manger durant quatre jours, & finit ainfi fa vie, ne pouvant fe réfoudre à voir la Gréce pour la

quatrième fois dans la fervitude. II avoit amaflé un bien affez confidérable, non-feulement en prenant de l'argent de ceux à qui il se rendoit utile, mais encore plus par la libéralité de Nicoclès, fils d'Evagoras, & Roi de Chypre, qui lui donna vingt talens, pour la belle Oraison qu'il lui avoit adreffée, & où il lui donnoit des confeils excellens. Sa fortune lui fufcita des envieux, qui le firent nommer trois fois Triérarque ou Capitaine de Galére. Les deux premiéres fois il s'excufa par le ministère de fon fils, alléguant fes infirmitez; mais la troifiéme fois il fut obligé d'accepter cet emploi, où il dépenfa une partie de fon bien. Comme on lui demandoit pourquoi lui, qui enseignoit aux autres à haranguer le peuple, il ne le haranguoit pas lui-même : il répondit qu'il étoit comme la pierre à aiguifer, qui ne coupe pas, & rend le fer propre à couper. Un pere lui difant qu'il avoit envoyé fon fils voyager avec un esclave pour toute compagnie, Bon, dit-il, pour un feul efclave, il vous en reviendra deux. Il

fut

fut fi affligé de la mort de Socrate que le lendemain il parut en habit de deuil; Il n'eut en toute fa vie que deux affaires fameufes, l'une contre Mégaclide, qui l'attaqua fur cette taxe destinée à l'entretien des Galéres : il étoit alors malade, & ne pouvant fe défendre lui-même, il s'en remit à fon fils Apharée, qui plaida fi bien la caufe de fon pere, qu'il la gagna. L'autre fut contre Lyfimaque, qui l'entreprit fur l'Intendance des Galéres ; il fe défendit, mais il perdit fon procès, & fut condamné à pafler par cer emploi.

Au reste la beauté du ftile d'Ifocrate eft connue de tout le monde ; on fait combien il eft clair, doux & correct; il a des graces qui paroiffent naturelles, quoique régulier & châtié jufques dans fes moindres par ties. Ce n'eft point un orateur véhément qui anime fon difcours par de fréquentes figures; au contraire il en eft dénué, & ce défaut le rendoit peu propre aux exercices contentieux de la tribune & du barreau : mais ce qui lui eft propre & particulier, c'eft une Tome II. Li

fuite d'argumens enchaînez les uns aux autres, qui le rend infiniment perfuafif. On pourroit peut-être l'accufer d'avoir été plagiaire, parce que dans fon Panégyrique, il femble avoir emprunté plufieurs traits des Oraifons funébres d'Archinus, de Thucydide, & de Lyfias: mais quand on traite des fujets qui ont été traitez par d'autres, il eft permis d'avoir les mêmes penfées, & d'ufer des mêmes argumens, fans être réputé plagiaire, parce qu'on ne les prend pas dans l'écrivain qui a précédé, mais dans le fujet même. Après fa mort, il fut porté avec pompe dans la fépulture de fa famille, & Timothée lui érigea une ftatue de bronze, où il fit graver cette infcription: Timothée en confidération de l'amitié de l'hofpitalité qui le lioient avec Ifocrate, lui a érigé cette ftatue, ouvrage de Cleocharés. Apharée fon fils adoptif lui en érigea auffi une près du temple de Jupiter Olympien; elle eft adoffée contre une colonne avec cette infcription: Apharée (8) fils d'I

(8) Apharée lui en érigea une ] Paufa

focrate, lui a confacré ce monument pour honorer Jupiter, les Dieux, & la vertu de fon pere. Apharée étoit né d'une amie d'Ifocrate appelée Lagifca, qu'Ifocrate époufa, & qui avoit trois enfans, du nombre defquels étoit celui-là.

ANDOCIDE.

J'ai lu quatre Oraifons d'Andoci de, les feules qui me foient tombées entre les mains. La premiére eft fur les myftéres de Cerès. La feconde

nias à l'occafion de cette ftatue qu'il avoit vûe à Athenes, fait d'Ifocrate un éloge. qui joint à ce qu'en dit Photius, donne une idée complette de cet Orateur. Parmi ces antiquitez, dit-il, je mets encore une colonne où est une ftatue d'Ifocrate, homme digne de mémoire, & qui laissa trois grands exemples à la postérité le premier de conftance, en ce qu'à l'âge de 98. ans il n'avoit pas encore ceffé d'enseigner, ni d'avoir des dif ciples; le fecond d'une modeftie rare, qui le tint toujours éloigné des affaires publiques & des foins du gouvernement; le troifiéme d'un grand amour pour la liberté, car fur la nou velle de la défaite des Athéniens à Chéronée, I finit fes jours volontairement.