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depuis la chûte, a gâté un grand nombre d'anciens hiftoriens, & beaucoup de nos modernes n'ont pas apporté affez de foin, ni peut-être affez de jugement pour éviter ce défaut. On a voulu donner à fa nation, à fon païs, à fa famille particuliere une origine illuftre, une grande part dans les évenemens qui pouvoient faire le plus d'honneur, de grandes marques de diftin&tion; & ce qu'on n'a pû appuier fur des preuves conftantes, on s'eft donné beaucoup de peine pour le fonder fur des fables. L'imagination, le défir de flater, la prévention, l'interêt n'ont pris que trop fouvent la place de la fincerité & du

vrai.

Le plus grand mal eft que ce n'eft pas feulement dans l'hiftoire profane que l'on trouve ces défauts; mais que les historiens ecclefiaftiques & monaftiques en font auffi remplis. Quand Philippe de Neri engagea Baronius, depuis cardinal, à compofer fes annales, il crut certainement rendre un grand fervice à l'églife, & on peut en effet profiter de fon travail; mais il pouvoit être fait avec plus d'exactitude fi l'auteur eut eu plus de critique, de difcernement, & jufteffe d'efprit, & moins de préventions. Les uns ont continué ce grand ouvrage, d'autres l'ont abregé; n'eut-il pas mieux valu le corriger? Voffius & le pere Pagi qui ont entrepris cette correction, n'ont pas encore tout rectifié. Les centuriateurs de Magdebourg font encore moins sûrs que Baronius, les auteurs de cet informe recueil n'étoient pas meilleurs hiftoriens que théologiens, quoiqu'ils aient affecté de paroître l'un & l'autre. Jufqu'aux ouvrages

par cette

les

fi géneralement eftimez de Meffieurs de Tillemont & Fleuri, nous n'avions point encore d'hiftoire fuivie de l'églife que l'on pût étudier fans crainte de s'égarer, fi l'on en excepte peut-être celle de M. Godeau qui n'eft point à méprifer. Il faut beaucoup de difcernement, de patience, d'attention, de travail pour bien écrire l'histoire, & tous les auteurs n'ont pas ces qualitez. Peut-être pourroit-on y parvenir fi chacun ne prenoit que la partie de l'hiftoire qui conviendroit mieux à fon goût & au plan de fes études. C'eft raifon que hiftoires particulieres font ordinairement mieux travaillées que les hiftoires génerales. L'efprit de l'homme eft trop borné pour atteindre tout également, & fes occupations font trop variées pour le lui faire efperer malgré fon application. Il faut profiter du travail des uns & des autres, quand il est bien fait, & qu'il nous vient d'ouvriers habiles, laborieux, & fur tout judicieux. Ceux qui fe font appliquez à les faire connoître, à l'imitation de faint Jerôme dans fon ouvrage des illuftres écrivains ecclefiaftiques qui l'avoient précedé, ont rendu en cela un grand fervice: ils ont abregé la voie & facilité le travail. Le XV. fiécle a eu peu de ces fecours. On en a procuré quelques-uns dans le XVI. & dans le XVII. fiécle. Ce genre d'étude a plus dominé dans le XVIII. fiécle. Mais comme tous les travaux des hommes fe reffentent toujours de l'humanité, les meilleurs mê→ me doivent être lus avec réflexion, & il feroit dangereux de prendre fans examen. toutes leurs décifions pour des oracles.

La partie de l'hiftoire ecclefiaftique qui

X V.

res, ou hi

a été le plus maltraitée juíqu'à la fin du XVII. fiécle, eft celle qui rapporte les faits Legenda qui ont éclaté dans ceux que l'églife honore ftoriens des comme Saints, & qui ont rendu leur nom vies des illuftre & leur mémoire refpectable. On a Saints. eu raifon de penfer que l'étude de l'histoire étant bien faite, ce feroit une excellente philofophie, qui feroit d'autant plus d'impreffion, qu'elle nous parle par des exemples fenfibles, dont il eft bon de tenir regiftre, afin de fe les representer à soi & aux autres dans les occafions. C'est le but que paroît avoir eu l'auteur du Sopholo gium, & celui du speculum vita humana, où l'hiftoire fe trouve mêlée avec la mo rale. C'eft dans le même deffein que l'on donna au public le Miroir de Vincent de Beauvais mais ces auteurs n'avoient pas les talens qui étoient neceffaires pour arriver heureusement à leur bur,

Je ne fçai pas fi leurs ouvrages ont contribué beaucoup au changement des mœurs, mais je fçai qu'il eft difficile qu'on faffe des converfions folides, en prétendant conduire les hommes à la verité par des fables, fouvent extravagantes, quelque air de pie té qu'on leur donne. Les fept ou huit édi tions que l'on fit de la Légende dorée de Jacques de Voragine pendant le XV. fiécle, me fcandalifent plus qu'elles ne m'édifient; & je veux croire qu'il n'y eut que le peuple ignorant qui en fit fa lecture. Cette légende contient en effet prefque autant d'impertinences qu'il y a de pages; tout y eft fait en dépit du bon fens. Le Jefuite Ribadeneira voulut faire mieux & réuffit prefque auffi mal. Ses vies des Saints font fort bien écrites en Espagnol

mais la verité de l'hiftoire y eft par tour alterée, & l'on y trouve en grand nombre des fictions ridicules. On en a fait cependant un grand nombre d'éditions, fur-tout, en François, pour fatisfaire le peuple ignorant, dont la pieté fe laiffe ordinairement féduire par des hiftoires qui lui paroiffent édifiantes. Mais difons-le férieufement, ces fortes d'écrivains, ces faifeurs de contes devots, & de romans fpirituels, ces inventeurs de faux miracles & d'hiftoires apocryphes, ont fait à l'églife un mal plus confiderable qu'on ne l'a cru, fans doute, lorfqu'on a pensé que l'on pouvoit tolerer leur licence. Car outre qu'ils ont eu grand tort de s'imaginer que les matieres de notre religion puiflent être embellies par des fitions & par des menfonges, ils ont abufé de la fimplicité & de la credulité du peuple, qu'ils ont jetté dans l'erreur; & ce qui eft encore pis, ces fortes d'auteurs donnent lieu aux libertins de douter des veritez plus importantes, & de les confondre malicieusement avec ces fortes de fitions. Heureufement que la lumiere qui a éclairé depuis les fideles, fur-tout en France, leur a fait comprendre que rien ne doit édifier que la verité, & leur a fait négliger ces hiftoires remplies de fables & de puerilitez, pour leur fubftituer celles que des auteurs infiniment plus judicieux & plus éclairez, tels que M. Baillet, & plufieurs autres qui font venus depuis, leur ont mifes entre les mains. Le recueil des actes finceres des Martyrs publié le fiécle dernier, les actes fans nombre que les Jefuites d'Anvers recueillent depuis tant d'années,

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avec tant de peine & de foin, les fçavantes differtations dont ils accompagnent cette vafte collection, les actes des Saints de l'ordre de faint Benoît, & tant d'autres monumens anciens que des fçavans éclai rez ont recherchez & publiez depuis un fiécle, ont été d'un grand fecours à ceux qui ont voulu écrire l'hiftoire de l'églife dont celle des Saints fait partie, fans s'écarter de la verité,. qui doit être l'ame de quelque hiftoire que ce foit. Ce n'eft pas que toutes ces pieces foient également autentiques, mais on peut aujourd'hui en faire le difcernement, & il faut prefque vouloir fe tromper pour être féduit, principalement s'il s'agit de faits un peu impor

tans.

XVI.

Cette recherche laborieufe des anciens monumens, non-feulement pour ce qui Recherche concerne l'histoire de l'églife, mais de des anci: us toute efpece, a été l'objet de l'occupation monumens. principale d'un grand nombre de Sçavans des deux derniers fiécles, & fe continue encore dans le nôtre; & quels avantages n'en a t'on pas tirez? On a fait des voïages longs, pénibles, & fouvent dangereux, pour aller dans les païs les plus éloignez, chercher des manufcrits, déchiffrer des infcriptions, acheter des médailles, vifiter d'anciens monumens, lever des plans. On a parcouru toutes les Bibliotheques, fouillé dans mille recoins d'un grand nombre de monafteres, qui poffedoient la plupart beaucoup de ces richeffes litteraires fans les connoître, & où, depuis l'ignorance qui s'y étoit introduite avec le relâchement, elles étoient négligées & trop fouvent meme en partie diffipées. On en a recuilli

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