Imágenes de páginas
PDF
EPUB

DE

GUERIN lement des récompenfes fpirituelles à ces pieufes MONTAIGU Courses. S'il venoit d'Occident une foule de pelerins chrétiens au saint Sépulchre, la Mecque n’attiroit pas moins de Musulmans de l'Afie & de l'Afrique, & l'erreur fe couvroit des mêmes motifs que la verité.

1219.

Tel étoit l'interêt que prenoit le Sultan à conferver les châteaux de Carac & de Montréal, à cet article près ce Prince fouhaittoit avec paffion de voir lever le fiege de devant Damiette. Le Roi de Jerufalem de fon côté étoit d'avis d'accepter des conditions qui rempliffoient les vœux de la Croifade; mais le Légat qui avoit pris une autorité fans bornes dans l'armée, foutint qu'il falloit rejetter les propofitions du Sultan, & que le moment étoit venu de conquerir toute l'Egypte, dont le Royaume de Jerufalem fuivroit la deftinée. Le fentiment de l'imperieux Légat prévalut dans le Confeil de guerre fur celui du Roi de Jerufalem, qui chagrin de ne se pas voir maître de ses propres troupes, fous prétexte de faire venir de nouveaux fecours, fe retira à S. Jean d'Acre. Cependant le fuccès fembla d'abord juftifier l'avis du Légat; Damiette fut emportée dans une attaque faite de nuit, ou plutôt elle fe trouva prise par le défaut de combattans: habitans & foldats tout étoit péri dans les combats, ou par la famine & la difette des vivres plus de quatre-vingt mille hommes moururent dans la Place pendant le fiege. Les chrétiens en entrant dans la ville, ne trouverent partout qu'une affreuse folitude, & le peu d'habitans qu'on rencontra dans quelques maisons, n'y

:

DE

étoient reftez que parcequ'ils étoient fi foibles, GUERIN qu'ils n'avoient pas eu la force d'enfortir. Le Car- MONTAIGU dinal Jacques de Vitri qui fe trouva à ce fiege, acheta de fes deniers un grand nombre d'enfans à la mamelle, qu'il referva pour le Baptême, mais dont plus de cinq cens, dit-il, moururent peu après, apparemment de la famine qu'eux ou leurs meres avoient foufferte.

Le Légat fier de cet heureux fuccès, & fe voyant 1220 maître abfolu de l'armée, la fit avancer dans le cœur de l'Egypte contre l'avis de tous les Chefs; il l'engagea entre les branches du Nil. Le Sultan en ouvrit les digues; le fleuve inonda l'endroit où les Chrétiens étoient campez; ils se trouverent enfermez dans une Ifle avec auffi peu de moyen d'y fubfifter que de s'en tirer; la faim fucceda bientôt à ce premier malheur; & l'armée prête à périr, fut obligée de faire une treve de huit ans avec les Infideles. Il fallut pour obtenir du pain, & la liberté de fe retirer, quitter Damiette, & livrer tous les esclaves ou les prifonniers qui étoient à Acre & dans Tyr. Les Sarrafins de leur côté s'engagerent de rendre la vraye Croix, & ce qu'il y avoit de Captifs dans Babilone d'Egypte ou le Caire, & à Damas; de conduire l'armée en fureté, & de la fournir de vivres pendant fa retraite. Tout fut executé de bonne foi de part & d'autre, fi on enexcepte la reftitution de la vraye Croix, que les Infideles avoient apparemment perdue. L'armée chrétienne fe diffipa après cet accident, & la préfomption du Legat empêcha le Roi de Jerufalem de recouvrer fon Royaume.

DE

GUERIN Cependant comme dans les malheurs publics MONTAIGU chacun tâche de fe difculper aux dépens des autres, les ennemis particuliers des Chevaliers de S. Jean & des Templiers, les accuferent auprès du Pape Honoré III. d'avoir détourné à leur profit les grandes fommes qui étoient paffées de l'Europe dans la Palestine pour les frais de cette Croisade, & pour la fubfistance de l'armée. Cette calomnie se répandit dans la plupart des Etats chrétiens; le Pape crut être obligé d'en faire informer, & il en écrivit au Legat, au Patriarche & aux principaux Chefs de l'armée. On fit des informations fecretes & publiques, qui n'aboutirent qu'à la confufion des calomniateurs; le Legat, le Patriarche, le Duc d'Autriche & les principaux Officiers de l'armée récrivirent au fouverain Pontife qu'ils avoient vû avec douleur l'horrible calomnie dont on avoit tâché de noircir la réputation des Ordres militaires; qu'ils étoient au contraire témoins que ces genereux Chevaliers avoient épuifé les biens des deux Maifons pour fournir à la dépense du siege ; que l'Ordre de S. Jean seul avoit donné plus de 8000 byfantins; qu'il avoit perdu un grand nombre de fes Chevaliers, & que fuivant l'efprit de leur inftitut, ils avoient prodigué leurs vies & leurs biens pour la défenfe des Chrétiens. Le Pape étant inftruit de la verité, & pour rendre la juftice qu'il devoit à ces Chevaliers, ordonna au Legat de publier lui-même de fa part leur innocence, & ce Pontife écrivit en même tems aux Evêques de France, d'Angleterre & de Sicile qu'ils priffent foin chacun dans leurs Dioceses de détruire une fi

noire

[ocr errors]

DE

noire calomnie: » Nous voulons, ajoute le Pape, GUERIN que vous les honoriez, & que vous les aimiez: MONTAIGU »& nous vous commandons d'en prendre foin,

» comme vous le devez faire, à l'égard de ces gé- PREUVE » nereux défenfeurs de la foi Chrétienne. *

On ne pouvoit en ce tems-là donner une preuve plus fure de la pureté de fa foi & de fon attachement au faint Siege, qu'en prennant l'habit d'un des Ordres militaires; la plûpart même des Princes & des plus grands Seigneurs vouloient mourir, & être enfevelis avec la Croix : c'est ainfi qu'en ufa Raimond Comte de Touloufe, Marquis de Provence. On fçait que ce Prince, un des plus grands & des plus puiffans Feudataires de la Couronne de France, foupçonné d'avoir fait perit un Legat du Pape, & de favorifer les Albigeois, avoit été enveloppé dans une excommunication prononcée contre ces heretiques fes fujets, & en consequence privé de la plus grande partie de fes Etats. Il n'y avoit eu rien de fi humiliant dans la penitence canonique, à quoi il ne se fût soumis pour s'affran chir de ce funefte lien, mais ceux qui avoient profité de fa dépouille, lui tenoient les portes de l'Egliot fe fermées, de peur de lui ouvrir celles de fes Etats.: Ils l'auroient volontiers reconnu pour catholique, s'il eut pû se réfoudre à renoncer au Comté de Touloufe: enfin ce Prince, qui avoit tant d'inte-> rêt de conferver au jeune Raimond fon fils, les Etats qu'il tenoit de ses ancêtres, crut trouver plus

* Volumus & præcipimus ut eos tanquam veros Chrifti athletas, & præcipuos Chriftianæ fidei defenfores ftudeatis honorare, diligere,ac fovere, eorum fuper hoc declarantes innocentiam, & fidei virtutis con-. ftantiam prædicantes. In Archivo Vaticano ex regiftro Honorii 111. tom. 2. fol. 30 ̧ ́·

[merged small][ocr errors]

3

[ocr errors]

GUERIN d'accès & de facilité auprès du Pape qu'auprès de MONTAIGU fes Légats & de fes Miniftres, & il entreprit le voya

DE

ge de Rome. Il n'y fut pas plutôt arrivé, qu'il fit demander une audience au Pape, & l'obtint facilement. Le Pape confiderant la naissance, la dignité & l'âge de ce Prince, le reçut en plein Confiftoire. Raimond, après avoir parlé de la grandeur de fes ancêtres, de leurs vertus & de la pureté de leur religion, fit enfuite fa confeffion de foi, & en mettant la main fur la poitrine, pour affirmer la verité de fon difcours, il protefta par tout ce qu'un Chrétien devoit avoir de plus cher, qu'il ne s'étoit jamais éloigné des principes de la foi & de la foumiffion qu'il devoit au Vicaire de Jesus Christ. De là il passa à la pénitence honteufe que les Légats lui avoient impofée, & qu'il avoit effuyée dans la ville de S. Gilles, où à la vûe de fes fujets il avoit été traîné la corde au col, & foueté d'une maniere fi ignominieuse. Il dénia hautement le meurtre du Légat qui en avoit été le motif, & il finit en fe plaignant de Simon de Monfort General de la Ligue contre les Albigeois, qui fous le voile de la religion, ne cherchoit qu'à fe faire un grand établissement dans le Languedoc.

On prétend que le Pape, au récit des malheurs de ce Prince, ne put retenir fes larmes, & qu'il écrivit même en fa faveur à fes Légats: mais, foit qu'ils fuffent perfuadez que Raimond dans le fond de fon cœur étoit héretique, foit qu'ils ne prétendiffent qu'à perpétuer une inquifition dont ils avoient toute l'autorité, ils eurent peu d'égard aux ordres du Pape. Ce Prince, pour détromper au moins le

« AnteriorContinuar »