Vous, par qui les Destins ont calmé leur courroux; Par qui je suis heureux, partagez entre vous Ces immenfes pays dont je redeviens maître. Quand vous ferez puiffans, pourrois-je ne pas l'être ? Il est vrai que, pour prix de vos soins généreux, Antoine auroit voulu vous rendre plus heureux; Et, ne me réservant que l'honneur de la guerre, Remettre entre vos mains l'empire de la terre. Mais, puifque mes foldats, par d'infolens difcours, Ofent de mes succès interrompre le cours, Par vous, par ma patrie, St par le Capitole, Par ma gloire, en un mot, j'engage ma parole Que, s'il ne tient qu'à moi de leur donner la paix, Je ne les punirai qu'en comblant leurs souhaits. Allez; & dites-leur que, d'un bruit qui m'étonne, Je pourrois me venger, & que je leur pardonne. (aux Egyptiens.)
Vous, fi vous respectez la cendre de vos rois Rangés près des tombeaux, foutenez-en les droits. Partez: Et, fi des morts la demeure est sacrée, Craignez qu'aucun mortel n'en profane l'entrée. (à ceux de sa suite.)
Qu'Ostave, dans ces lieux, pendant notre entretien, Ne trouve de foldats qu'un nombre égal au fien. Dans les troubles divers que ce grand jour m'inspire,
Laiffez-moi, mes amis. Et vous, qu'on se retire.
ΑΝΤΟΙΝE feul,
Nfin, me voici seul, libre pour un instant Du fardeau que m'impose un fort trop éclatant:
Après un mois d'ennuis, de soin, d'inquiétude, Je puis donc aujourd'hui goûter la folitude. Mais quels charmés hélas! peut-elle avoir pour moi,
Reine, quand je ne peux m'y trouver avec toi? Trop heureux le mortel qui, libre de ma peine, Peut suivre sans remords le penchant qui l'entraîne; Qui, sous un toît paisible, à l'abri des grandeurs, N'éprouve point le fort contraire à ses ardeurs. Que fais-tu, Cléopatre, au sein de ta patrie ? Songes-tu que je t'aime avec idolâtrie?
CLEOPATRE, IRAS, ANTOINE.
CLEOPATRE dans l'enfoncement du
E n'en puis plus douter. Oui, c'est lui-même,
D'où me vient un bonheur que je ne conçois pas ? Approchons.
ANTOINE en regardant. Quel objet vient de frapper ma vûe 2 CLEOPATRE en courant à lui.
Ciel! Où suis-je ? O fortune imprévûe!
Ne me trompai-je point? Cléopatre à mes yeux! Quelle Divinité nous rassemble en ces lieux ? CLEOPATRE.
Illustre & cher auteur du feu qui me dévore, Antoine, il est donc vrai, je vous revois encore ! Mais ne puis-je douter si ce moment heureux, Vous ramenant à moi, vous raméne amoureux ? Cher Antoine, excusez; mais dans l'horreur des armes On oublie aisément que l'amour ait des charmes. Précédé de guerriers, de Romains entouré, Suivi de trente rois, & de gloire enyvré, Quel rang auriez-vous pû garder à Cléopatre? N'étiez-vous tout le jour occupé qu'à combattre? N'étoit-il point ailleurs quelques momens pour moi ? Non, non, l'amour n'est point où triomphe l'effroi. Mais du moins, au milieu de ces cœurs implacables, Avez-vous pû goûter des plaisirs véritables?
Hé! De quoi votre amour se va-t-il allarmer? Antoine eût-il pû vivre, & ne vous point aimer? Mais pourquoi vous trouvai-je en ces demeures sombres?
Les vivans sont-ils faits pour le séjour des ombres?
Depuis que sur les eaux .... ô souvenir cruelt J'ai marqué votre nom d'un opprobre éternel, Indigne de revoir la lumiere céleste, Et déplorant d'avance un avenir funeste,
Pour sauver mon amant, l'aimer, & me punir, Quels lieux à ma douleur pouvoient mieux convenir? Ainsi, reine sans gloire, épouse infortunée, Au printemps de mon âge à périr condamnée, Seule avec mon amour dans ce palais des morts, Mon ame s'apprêtoit à voir les fombres bords : De ces tristes objets j'étois préoccupée; Mais l'amour me fit voir que je m'étois trompée. Le flambeau de mes jours alloit se consumer, L'Amour me dit d'attendre, & de vivre, & d'aimer: De mes sens égarés il rappella l'usage;
Et, sur ces grands tombeaux promenant votre image, Vous retraçant par tout, d'un séjour odieux Lui seul m'en a fü faire un lieu délicieux.
Cléoparre, arrêtez; vous versez dans mon ame Des plaisirs jusqu'alors inconnus à ma flamme.
Je conçois les transports que ton ame ressent: Mais que je sache au moins si le ciel y consent. Que du fort de l'amant, l'amant même m'inf- truife.
La terre fous tes loix est-elle enfin soumise?
N'as tu plus d'ennemis ? Puis-je, au gré de mon cœur, Telaisser dans mes yeux rechercher ton bonheur? Pourquoi fous tes drapeaux ces guerriers invincibles Epars & confondus dans des lieux si terribles? Parle. Que dans ton fort je life mon devoir. A quoi dois-je, en un mot, le bonheur de te voir ?
Que ne m'épargnez-vous une idée importune ? Pour un temps la victoire a flatté ma fortune, Pouvois-je ne point vaincre en combattant pour vous? Encore un pas, & Rome étoit à vos genoux,
Tout vainqueur que j'étois.... Ciel! Le pourriez-vous
Mes foldats rebutés au sein de la victoire, Peut-être à mon rival plus fidéles qu'à moi, Au fort de mes succès m'osent donner la loi. Je ne fai quel génie aujourd'hui me fait être L'ame de ce grand corps, fans m'en rendre le maître. Mais que pouvois-je enfin ? Je frémis & cédai; Je détestois la paix, & je la demandai.
Octave a dans ces lieux souhaité l'entrevûe:
Mais je suis trop heureux quand vous m'êtes rendue.
Octave! Lui, seigneur ! Je vous laisse. Il suffit.
Vous fuyez mes regards! Quel trouble vous saisit! Quand je reviens à vous, conftant, couvert de gloire, Vos yeux n'oseroient-ils embélir ma victoire ? Et l'amour, un moment, dans toute sa douceur, Ne peut-il donc remplir le vuide de mon cœur ? Moi, de tous les amans le plus tendre peut-être, Hélas! Suis je le seul qui n'ose le paroître ? Vous n'êtes plus ici fur ces bords dangereux, Que l'amour a rendu fi cruels à tous deux. Mais quoi ? Vous gémissez? Votre ame est interdite? Madame, au nom des Dieux, quel trouble vous agite? Répondez.
CLEOPATRE.
Ah! Seigneur, mon doute est éclairci.
Je frémis de la main qui nous rassemble ici.
N'est-ce point cet Octave?...
ΑΝΤΟΙΝΕ.
Eh! Pourquoi cette crainte?
Je pourrai désormais vous aimer sans contrainte.
« AnteriorContinuar » |