Octavie! Ah! Seigneur, quoi! Vous pouvez penser Que Cléopatre encor puisse la balancer! Soupçonner son époux de tant d'ingratitude, C'est pour moi, cher Hérode, un supplice trop rude. Auroit-il oublié ce qu'elle a fait pour lui, Qu'il lui doit le laurier qui le ceint aujourd'hui ? Depuis le jour affreux qui, funeste à sa gloire, Illustra d'Actium le fatal Promontoire, En guerrier malheureux, Antoine, sans gémir, N'attendoit que le coup qui nous faisoit frémir. Octavie éperdue invoque ma Patrie, Fait parler ses douleurs devant Rome attendrie; Et, se faisant ouir à cent peuples divers, Au camp de son époux raméne l'univers. Seigneur, & je croirois que mon pere inflexible, A de tels sentimens ne sera point sensible? Qu'incessamment, épris de celle qui le perd, Il ne réservera que haine à qui le sert? HE'RODE.
L'amour est-il un fruit de la reconnoissance ? Votre mere, il est vrai, releva la puissance. Par la seule Octavie, à lui-même rendu, Il recouvra bien-tôt ce qu'il avoit perdu;. Et, par d'illuftres coups se faifant reconnoître, Il parut à nos yeux reprendre un nouvel être. On eût dit, à le voir poursuivre ses vainqueurs, Qu'il les punissoit tous de ses propres erreurs. C'est là que je crûs voir, armés pour sa défense Tous les morts d'Actium rendus à sa vengeance.. Mais ce même ennemi qu'il alloit accabler, Cet Octave vaincu, doit vous faire trembler. Croyez-vous qu'avec art, en ses haines couvertes, Il ne fongera pas à réparer ses pertes?
Que ce ne soit déja pour prix de ses bienfaits, Que le foldat gagné force Antoine à la paix, Et qu'il ait sans raison demandé l'entrevûe Dans des lieux où gémit Cléopatre éperdue? Je vois votre surprise. Avouez-le, vos yeux N'avoient point attendu Cléopatre en ces lieux.
Laissez-moi respirer. Vous venez de m'apprendre Plus que ma fermeté ne me permet d'entendre. Cleopatre eft ici :
HE'RODE.
Ne me demandez pas
Qui peut en ces tombeaux avoir conduit ses pas; Comment aux yeux de tous elle a pû se soustraire ; Si même à son amant elle en a fait mystere; Si son projet étoit d'y vivre, ou d'y mourir; Enfin, comment Octave a pû la découvrir. Voilà ce que je sai: Suivi de vos cohortes, Je marche vers ces lieux ; j'en fais tomber les por-
J'y place des foldats. J'entre; j'entens des cris. La reine se présente à mes regards surpris, A travers des flambeaux qui percent l'ombre noire. Tous deux, en nous voyant, hésitons à le croire. Dans la nuit du cercueil j'entrevois ses attraits. Cléopatre me voit où l'on n'entra jamais. Ses yeux étoient couverts d'un nuage de larmes; Mais elles n'avoient rien altéré de fes charmes. Dans le triste appareit qui fiéd à la douleur, Près d'elle je ne vois qu'Iras & fon malheur. Antoine la verra, cette amante éplorée; Il la retrouvera tendre & défefpérée. Elle aime, elle est aimée, & dans l'adversité. Que ne peut l'infortune unie à la beauté ?
Non que la reine, ainsi qu'on le publie à Rome, Ait jamais résolu de perdre ce grand homme. Je la connois, feigneur, & ne m'abuse plus. J'ai, parmi ses défauts, compté tant de vertus, Que vous-même surpris, vous la croiriez Romaine Si vous ne la voyiez voluptueuse & reine.
JULIUS. Rarement voyons-nous tous nos vœux fatisfaits. Mais croyez-vous Octave éloigné de la paix ?
La paix! Ah! Loin de vous ces penfers chimériques Ces entretiens ne font que des jeux politiques, Où, croyant faite affez en faifant ce qu'il doit, Le plus fort est toujours en proye au plus adroit: L'artifice y ravit le butin du courage; Et ce fameux larcin d'un moment est l'ouvrage Dans ces deux grands rivaux, moi, qui dans les états
Etudiai les cœurs, en obfervant leurs pas, Et qui, me banissant d'une cour importune, Ai voulu de l'un d'eux étayer la fortune. Je vis de près alots par quels chemins divers Ils aspiroient tous deux à tegir l'univers. Octave, souple, adroit, clement, ou fanguitiaire, De Rome eft, tour à tour, le tyran & le pere. Habile à voir en nous ce qu'il nous cache en lui, Il doit toute fa force aux foiblesses d'autrui:
Plus grand homme d'Etat, que héros dans la guerre, Il fait mieux détourner, que lancer le tonnerre: Sous un masque flatteur cachant fon intérêt, Octave n'est jamais ce qu'Octave paroît.
Mais Antoine, en tout temps à lui-même semblable,
Voluptueux outre, guétrier infatigable, Comme dans la victoire il peut tout accorder,......
Dans le malheur aussi ne fait-il rien céder.
Quelques foient ses destins, toujours plus grand que sage,
Il ne connoît de loi que celle du courage, Ainsi qu'en ses défauts, extrême en ses vertus. Qu'il cesse d'être foible, & fon rival n'est plus.
Prince, dans ces discours dépouillés de contrainte; Je ne puis entrevoir que des sujets de crainte. Cléopatre, en un mot, Antoine, son rival, Tout me fait redouter son entretien fatal. Je suis jeune, seigneur, & fans expérience: Aimer, & fervir Rome, est toute ma science. Quoiqu'il en soit, enfin, j'agirai; mais du moins Daignez me secourir de vos généreux soins.
Attaché de tout temps au fort de votre pere, Seigneur, ainsi qu'à lui, sa famille m'est chere. Je m'intéresse à vous; & mon zéle difcret A voulu dans ces lieux vous parler en secret. Uniffons-nous tous deux. Que rien ne nous arrête. Partageant nos emplois, dissipons la tempête. Octave, sur l'espoir d'un favorable amour, Croit en vain vos Romains révoltés en ce jour. Qu'Antoine seulement dans le fond de son ame S'il aime, cache encor le secret de sa flamme, Moi, je vais préparer les esprits au combat: Répondez-moi du chef, je répons du soldat. Cet affranchi, connu par son zéle fincere, N'en doutez pas, peut tout auprès de votre pere. Er os vous servira, vous instruira de tout; Il tiendra votre sort caché jusques au bout : Et, lorsqu'il sera temps de vous faire connoître, Aux yeux de votre pere il vous fera paroître.
O ciel! S'il me faloit essuyer des refus! Hélas! J'avois un pere, & je n'en aurois plus! Dans l'ombre du sommeil quel bruit se fait entendre ? Mon pere en ces tombeaux peut-il déja se rendre ? Seroit-ce Octave, enfin ? Mais j'apperçois Eros.
Le Ciel a-t-il déja rassemblé ces héros?
en ces climats l'aurore parvenue, Améne avec le jour l'heure de l'entrevûe. Eloignez-vous. Antoine est déja dans ces lieux: Il n'est point encor temps de paroître à ses yeux.
ΑΝ ΤΟΙΝE, GENERAUX, LICTEURS, EROS dans l'enfoncement du théatre, ROMAINS, EGYPTIENS.
Mis, Princes, Romains, compagnons de ma gloire,
Vous seuls, à qui je dois la vie & la victoire,
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