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Ce pain étant ainfi manié, on tournera auffi-tôt la pâte, crainte qu'elle ne fermente trop, parce qu'un pain trop aigri n'eft pas du goût de bien des gens, il n'y a que les gens groffiers & de travail aufquels il puiffe plaire.

La farine du bled de la France ne veut pas tant de levain que la précedente, ni l'eau fi chaude, & manque de cette obfervation, le pain s'enfle trop & devient rude lorfqu'on le mange.

Le bled de Picardie donne une farine qui rend prefque toûjours le pain gras cuit, il faut être accoûtumé à le paîtrir pour corriger en lui ce défaut. Il demande le four chaud, il eft fort à cuire, & ne prend couleur que difficilement, les parties de la farine en font fort groffieres & fe lient tellement les unes aux autres quand on en fait de la pâte, qu'il fe fait une croûte en cuifant, qui ne permet pas que la chaleur du feu pénetre affez en dedans pour lui donner une cuiffon parfaite.

On a dans la Champagne du bled dont la farine demande que le levain foit plus fraîchement fait, parce qu'elle a un goût de terre qui s'augmenteroit dans la pâte, file levain étoit trop fermenté ou revenu, comme on dit en bien des endroits, ce qui fait qu'on fe preffe à faire le pain.

Il eft aifé de comprendre par ce qu'on vient de dire, que la façon de paîtrir du pain dépend en quelque maniere de l'ufage des lieux où l'on eft, & des bleds qui y croiffent; il faut donc s'y étudier dans les commencemens & s'en faire enfuite une méthode qu'on ne perdra point de vûë.

Le Pain de Méteil a fes autres inconveniens, il est toujours gras quand on le paîtrit, & une perfonne qui n'y eft pas accoûtumée s'y trouve bien embaraffée ; & l'on a obfervé que pour le profit de la maison, il valoit mieux bluter la farine de méteil & de fegle, que de la paffer au fas, à cause que le bluteau par le fort mouvement qu'il fait, détache plus facilement la farine du fon, qui autrement en retient la meilleure partie.

Aprés que la pâte de la fournée eft paîtrie avec toutes les précautions neceffaires, on la divife par portions pour en former des pains auffi gros qu'on le fouhaite, & qu'on enfourne quand la pâte a fuffifamment fermenté, & pour l'éprouver, il y en a incontinent aprés que les pains font formez, qui enfoncent le poing dedans, & lorfqu'ils voyent que le creux que cette impreffion a faite eft rempli, ils jugent que cette pâte eft affez revenue & qu'il eft temps de l'enfourner.

Le Four doit être raisonnablement chaud; s'il l'eft trop, la croûte du pain brûle d'abord, & s'affermiffant trop, empêche que la chaleur ne penetre jufqu'au dedans pour le cuire; s'il n'a pas affez de chaleur le pain ne prend qu'une couleur de pâte & ne cuit point en dedans, il faut donc éviter ces

deux extremitez.

II y en a qui difent que pour le gros pain, il faut que l'Atre du Four, pour avoir le degré de chaleur qui lui convient, rende de petites étincelles de feu quand on le frotte rudement avec un bâton; au refte, une experience de longue main à chauffer le Four, apprend toûjours affez à connoître quand il eft ou n'eft pas affez chaud.

Le Four étant chauffé comme il faut, on enfourne le pain, il faut obferver qu'on commence par celui des Domeftiques qu'on met tout autour de l'âtre, laiffant le milieu vuide pour placer le pain le plus délicat. On

n'enfourne ce dernier qu'aprés que le gros pain a effuyé la plus âpre chaleur du Four; parce que fi on le mettoit au Four en même temps, le pain de froment brûleroit & fe deffecheroit trop ; on laiffe paffer environ une heure pour cela, puis on acheve de tout enfourner.

Il faut que l'endroit où l'on paîtrit foit bien propre, que les Huches ou Mays foient bien nettes, & que les linges ou autres chofes dont on fe fert, pour couvrir le pain, n'ayent rien qui dégoûte, il n'y a que des femmes faloppes qui foient capables d'en agir autrement.

Le meilleur chauffage pour le Four font les fagots ou les éclats de bois fec; au défaut de ces bois on fe fert d'épines en des endroits ou de bruyeres, de chaume, en d'autres de paille ou de gros rofeaux qu'on met fecher; chacun felon la commodité du pays; il eft vray que ces dernieres matieres n'échauffent pas fi bien un Four à beaucoup prés que le bois, mais on fe paffe de ce qu'on a, le farment eft encore affez propre & on l'employe pour cela dans les lieux où il y a bien des vignes.

Il faut trois bonnes heures & davantage pour cuire le gros pain, & autant de temps à proportion pour celui qui eft plus délicat, & l'on éprouve qu'il eft cuit, forfqu'en en tirant un, & que le frappant le plus rudement qu'on peut avec le bout du doigt du milieu la croûte raifonne, finon il faut encore le laiffer cuire; étant cuit on le tire du Four, puis on le met repofer fur une table qui eft dans le fournil. Il ne faut pas mettre les pains l'un fur l'autre, mais à côté l'un de l'autre tout droits & appuyez contre le mur. On les laifle ainfi jufqu'à ce qu'ils foient réfroidis, pour aprés les ferrer ailleurs, d'où on les tire pour s'en fervir au befoin.

Pour faire du pain d'orge il en faut choifir le plus beau. Il eft difficile de Pain d'orle faire de fa pure farine, elle a peine à fe lier, & il faut être accoûtumé ge. à le paîtrir pour y bien réüffir; on le mêle ordinairement avec quelque autre farine de froment, de fegle ou de méteil; on fait auffi du pain d'efcourgeon, appellé en des endroits orge quarré ; ces fortes de pains font d'un grand fecours dans la cherté du bled, & on ne s'avife gueres d'en nourrir les Domestiques dans un autre temps. La façon pour le levain eft la même chofe qu'au pain de froment.

On fait auffi du pain d'avoine, de féve & de pois, mais il faut pour cela Pain d'aque la difette des grains foit extrême, comme en l'année 1709. où l'on voine, de fe jettoit fur ce qu'on pouvoit trouver pour avoir le moyen de faire du pain, Féves & de la faim eft fort ingenieufe, & donne fouvent à l'homme des fecrets auf- pois. quels il n'auroit jamais penfé.

Les Gafcons font du pain de Millet qui eft fort fec & facile à s'émier: Pain de il ne laiffe pas de les nourrir, & viendroit fort à propos dans un temps de Millet difette de bled à ceux qui n'en auroient point chez eux introduit l'usage;

le pain de Ris est encore affez bon; il feroit à fouhaiter que la France fût Pain de un climat affez heureux pour nous en pouvoir fournir. On mange encore du Ris. pain de farine de bled de Turquie, il eft pefant à la verité, mais quand on Pain de y eft accoûtumé on l'eftime mieux que le pain d'orge: on en voit beaucoup bled de dans la baffe-Bourgogne, la Franche-Comté, la Breffe & autres lieux; ce Turquie. grain fait beaucoup de profit tant pour la nourriture de l'homme que des

animaux.

Diverfes

autres fortes de pains

Il eft conftant que le pain le plus délicat eft celuy qui est fait de pur froment, & dont la farine eft bien blutée ou tamifée comme il faut : ce pain eft propre pour ceux qui ne font pas obligez à travailler beaucoup, parce qu'il ne foutient pas, à moins qu'on n'en mange exceffivement, ce qui n'eft pas le profit du Maître: il faut pour des Ouvriers un bon pain de méteil, cela les foutient & leur remplit fuftifamment la capacité de l'estomac. Le pain de fegle ne leur est point encore mauvais.

Les veritables maximes du ménage veulent qu'on ne mange le pain que raffis & jamais tendre, il en faut toujours avoir d'une fournée à l'autre ; car, comme dit le Proverbe : pain tendre & bois vert met une maison en dé-fert: & pour le bien conferver il faut le mettre en un lieu où il ne puiffe fe moifir. Les uns le portent à la cave en Eté, & les autres dans un autre endroit qui eft frais; on doit auffi en Hyver le garantir de la gelée, lorfque le froid eft trop rude.

Le gros Pain doit toûjours être paîtri dur, & celui du Maître un peut plus mollet, & cela ne va qu'au plus ou moins d'eau qu'on met dans la farine en la détrempant. Qu'on ait toûjours pour maxime de bien manier & remanier quelque pâte que ce foit, de la tourner bien des fois & la retourner avant que d'en former les pains, autrement un pain cft mal façonné, & par confequent pefant & défagreable.

On fait encore differentes fortes de pains qui ne confiftent que dans les diverfes façons & préparations qu'on leur donne. Il y a le pain à la Reine, qu'on détrempe avec du fel, de l'eau à l'ordinaire, & de la levure de bierre, le pain à la Mode & à la Montauron, où l'on met du Lait, le pain de Chantilli, où il y entre du beurre ; en tous ces pains la pâte eft plus molle & plus levée que dans les autres.

Nous avons le Pain chalant, qui eft un gros pain que vendent les Boulangers de Paris, & qu'ils font porter chez les Bourgeois qui font leurs chalands : c'eft de là que ce Pain a pris fon nom. Le Pain de Goneffe est un pain particulier qui excelle fur tous les autres pour la proprieté des eaux qui fe trouvent dans ce lieu: on a voulu en bien des endroits imiter la maniere de faire ce pain, & l'on a fait venir pour cela exprés des Boulangers de Goneffe qui n'ont pû y réüffir, ce qui a fait juger que cela dépendoit de la qualité de l'eau: ce pain eft leger, & a beaucoup d'yeux, qui font les marques de fa bonté.

Le pain qu'on fait chez foy s'appelle Pain de Cuiffon ou de Ménage, qu'on diftingue encore en Pain de Braffe, qui eft un gros pain qu'on fait les gens: à l'égard du Pain de Son, il n'eft bon que pour les chiens.

Differens ufages qu'on fait des Farines.

pour

L.
Es Farines, outre le pain dont elles font le corps, s'employent encore
dans le ménage à plufieurs autres ufages, comme par exemple, la Fa-
rine de Froment fert pour la pâtifferie, on en fait de la bouillie, elle en-
tre dans les ragoûts pour la liaifon des fauffes; & dans les crêmes cuites
qu'on fait à la campagne pour régal, c'est la meilleure de toutes les Fa-

rines.

La Farine de Méteil n'eft pas fi bonne, on ne laiffe pas neanmoins d'en faire de la bouillie pour les Domestiques, quelque patiflerie groffiere, comme galettes, gâteaux ou croûte de quelque pâté, dont on veut les régaler: pour la Farine de Segle pur, on l'employe aux mêmes ufages, & elle elt fort utile pour la pâte bife dont fe fervent les Patiffiers. On dira ce que c'est que tout cela dans l'article qui en traitera

Entre la fleur de Farine & le Son de toutes fortes de bleds, il y a encore d'autres parties de farines plus ou moins fubtiles felon qu'on l'a plus ou moins faffée pour le befoin qu'on en a; on voit encore une autre efpece de farine que le Vulgaire appelle Farine folle ou Farine volante ; c'eft celle qui fort du bled qui eft broyé fous la meule du moulin: on n'en fait point de pain, mais les Meuniers la ramaffent pour la vendre à ceux qui en ont befoin pour faire de la colle.

Les Italiens ont une autre farine qu'ils appellent le Mol; on nous en apporte de Naples & d'Italie, & nous nous en fervons pour en faire de la bouillie; elle n'eft pas fi blanche que nôtre farine de froment, elle eft un peu jaunâtre, mais excellente au refte pour ce qu'on l'employe, & tres, legere.

Il y a encore l'Amidon qui eft une pâte qui fe fait avec de la fleur de froment on fait de l'orge mondé avec la farine d'orge qu'on paffe aprés en avoir fait crever le grain, la Farine d'Avoine fert à faire du gruau dont on ufe en bouillie, qui eft excellente. La Farine du bled de Turquie eft encore d'une tres grande utilité en bien des pays où on le feme abondamment; on en fait des gaudes, qui eft une espece de boüillie dont fe fubftantent la plupart des gens de campagne. Cette farine s'employe auffi pour de groffieres patifferies qui fe cuifent au four : nous avons encore la Fleur de Ris, qui eft admirable en bouillie.

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Autres Provifions tant de Vin, Chairs, que de toutes autres chofes neceffaires au Ménage des Champs.

It

DU VI N.

Left bon toûjours, autant qu'on le peut, d'avoir fa provifion de Vin en cave, fi l'on eft dans un pays où il en croiffe, finon on aura de la boiffon qui y fera le plus en ufage; mais fuppofé qu'on foit dans le premier cas, il y aura du vin pour le Maître, & celuy des Domestiques, foit rouge, gris cu blanc, il n'importe ; c'eft une précaution qu'on doit prendre quand on en a le moyen, pour n'être point obligé de s'en paffer, ou d'aller bien loin. en chercher, lorfqu'il nous furvient quelque aini; on ne fçauroit faire bonne chere fans Vin; car le Vin, comme on dit, eft l'ame du repas.

Le Vin eft neceffaire en quelque façon à la vie; mais lorsqu'on en a fa cave bien garnic, il eft bon de le fçavoir ménager, & d'en regler tellement

Rapez.

les ordinaires, qu'il puiffe durer raisonablement. Si l'on en donne aux Valets, on fçait la mesure dont on eft convenu avec eux, & pour ne s'y point tromper au défavantage du Maître ou du leur, on a des vaiffeaux qui tiennent jufte la mesure prefcrite.

Pour la Table du Maître, c'est à lui d'en ordonner la mesure, fi bon lui femble, mais c'eft toûjours pour le mieux de fe borner à une certaine quantité pour chaque repas, à moins qu'il n'y ait quelque nouveaux furvenans, quí obligent d'augmenter la portion ordinaire.

Cette maxime fe pratique dans les maifons bien reglées : l'invention qu'on a trouvée aujourd'huy de boire la premiere goûte de vin d'un vaiffeau auffi vineufe que la derniere, eft merveilleuse, tant pour l'oeconomie que pour le plaifir qu'elle procure. On a pour cela des bouteilles de gros verre à petit cou, il y en a de pinte & de chopine, mefure de Paris, on foutire le tonneau quand le vin eft clair, c'est à dire, on perce le tonneau dans le bas à quatre doigts au deffus du jable, on y met une canelle, on en tire la premiere goute jufqu'à ce que le vin vienne tout clarifié, puis on prend bouteille à bouteille qu'on remplit de ce vin, & jufqu'à ce que le tonneau foit vuide; cela fait, on a des bouchons de liege faits exprés, on en bouche chaque bouteille, de maniere que la vapeur du vin'ne s'exhale pas, en fuite on ferre ces bouteilles dans la cave même, pour les prendre l'une aprés l'autre quand on en a befoin : il y en a qui les mettent dans du fable, le goulot en bas, elles fe confervent tres bien de cette maniere, & comme cela on n'apprehende pas que celui ou celle des Domestiques qui a la garde du vin, en faffe tort & le dépenfe mal à propos: on fçait le compte des bouteilles, on peut en tenir un Memoire, & à mefure qu'on en prend les marquer, & par ce moyen on ne fera pas trompé.

C'eft une œconomie qui ne regarde à la verité que le vin du Maître, car pour celui des Valets, il faut en quelque façon s'en rapporter à la perfonne qui en fait la diftribution, on doit la croire fidelle, on l'a choifie pour telle, & pour le peu de foupçon qu'on ait de fa conduite, il faut la congedier pour le guerir l'efprit, & en prendre une autre.

Quant au Vin des Valets il faut d'abord le percer au bas du tonneau à quatre doigts au deffus du jable, comme nous l'avons dit, & avoir des mefures reglées foit de terre ou d'autre matiere qu'on leur emplira à chaque repas; on tire ainfi le tonneau jufqu'à ce qu'il foit tout à fait vuide; les Valets boivent bien jufqu'à la derniere goute, ou bien fi l'on a quelque rapé, on pourra paffer deffus le vin qui eft au bas, il n'en vaudra que mieux; cela ne coute rien qu'un petit foin qu'on ne dédaignera pas de prendre, lorfqu'on en a la commodité; c'eft pourquoy on confeille d'avoir toujours chez foy deux Rapez d'un demi muid chacun, c'est un mé

nage.

On a encore pour la boiffon des Valets des trempez appellez autrement Tenpez. Boiffons, qui ne font autre chofe que de l'eau paffée fur du Marc enfermé dans un vaiffeau; on fait cette boiffon plus ou moins forte, felon qu'on y met plus ou moins de vin; on l'appelle encore Vin de dépense; ce vin n'eft bon que depuis qu'il a un peu fermenté jufqu'à Pâques; car fitôt que les chaleurs furviennent, il s'aigrit. C'est pourquoy on aura la précaution

de

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