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de faint Denis la fête de Pâque, qui cette année 1131 étoit AN. 1131. le dix-neuvième d'Avril. Il y arriva le mercredi de la femaiSuger vita Lud. p. 319. ne fainte; & l'abbé Suger alla le recevoir en proceffion avec fa communauté. Le pape officia le jeudi faint felon l'usage Romain, & fit une largeffe magnifique, nommée le presbytère; il fit auffi l'office du vendredi faint & celui du famedi, veillant toute la nuit. Le dimanche dès le grand matin il passa par dehors comme en fecret à faint Denis de l'Estrée avec ceux de fa fuite: là ils fe revêtirent à la Romaine, & le pape fortit monté fur un cheval blanc orné d'une houffe, & portant en tête la thiare en broderie avec un cercle d'or; ceux de fa fuite marchoient auffi à cheval, deux à deux avec des manteaux, & leurs chevaux étoient couverts de houffes blanches. Les barons vaffaux de l'églife de faint Denis, & les châtelains marchoient à pied & fervoient d'écuyers au pape, menant fon cheval par la bride; quelques-uns marchoient devant & jetoient de la monnoie en abondance pour écarter la foulé. La rue étoit tapiffée, les nobles & le peuple venoient au-devant par honneur; il n'y eut pas jusques aux Juifs de Paris qui' n'y vinffent. Et comme ils préfentèrent au pape le livre de la loi en rouleau & couvert d'un voile, il leur dit : plaife au Dieu tout-puiffant d'ôter le voile de vos cœurs. Il arriva ainfi à la grande églife parée de fes plus riches ornemens, & où brilloient de tous côtés l'or & les pierreries; & il célébra folennellement la meffe, affifté de l'abbé & des moines. Après quoi le pape & fa fuite allèrent dîner dans le cloître, qui étoit tapiffé & où on avoit dreffé des tables; d'abord ils mangèrent un agneau, étant comme couchés à l'antique : le reste du feftin se fit à l'ordinaire. Le lendemain la proceffion alla de faint Remi à la grande églife. Après avoir ainfi paffé les trois jours d'après Pâque, ils vinrent à Paris; où le pape rendit au roi fes actions de grâces, & le roi lui promit aide & confeil.

Le pape continua de vifiter les églifes de France, fuppléant à fes befoins de leur abondance; ce qui leur fut une grande charge: car il menoit avec lui les officiers de la cour de Rome & quantité de cliens, & ne pouvoit rien tirer des revenus du faint fiége en Italie. Il féjourna quelque temps à , Compiegne, & paffa en France toute l'année 1131.

Il convoqua un concile à Reims pour la faint Luc, où appela tous les prélats de l'Occident: mais comme on

IX.

Concile de Reims.

il

s'y préparoit, il arriva à Paris un accident bien funefte. Le roi Louis le Gros avoit fait couronner, le quatorzième AN. 1131, d'Avril 1129, Philippe fon fils aîné, bien fait & de grande espérance. Ce jeune prince courant par divertiffement dans

P. 895.

les rues après un écuyer, un pourceau s'engagea dans les Lud. p. 318. jambes de fon cheval, & le fit tomber fur ce prince fi ru- Order. 1. 13. dement, qu'il en fut écrafé, & mourut la nuit fuivante Chr. Maurin. fans confeffion ni viatique, âgé d'environ quatorze ans. 377. C'étoit le treizième d'Octobre, & on l'enterra folennellement à S. Denis. Le pape l'ayant appris, envoya confoler le roi fon père par Geoffroi évêque de Châlons & le cardinal Matthieu évêque d'Albane; & Suger & les autres con fidens du roi, craignant à caufe de fa mauvaife fanté qu'il ne manquât tout à coup, lui confeillèrent de profiter de l'occafion du concile, & d'y faire couronner Louis fon fecond fils devenu l'aîné, pour éviter les troubles qui pourroient furvenir.

Le dimanche fuivant, qui étoit le jour de faint Luc dixhuitième d'Octobre, le pape étant à Soiffons, dédia l'églife de faint Medard; puis il fe rendit à Reims pour le concile qui dura environ quirze jours. Il s'y trouva treize archevêques, deux cents foixante-trois évêques & un grand nombre d'abbés, de clercs & de moines François, Allemands, Anglois & Efpagnols. Entre les abbés qui affiftoient à ce con- Vita S. Bern. cile, le plus diftingué étoit faint Bernard, à qui le pape ne permettoit point de fe féparer de lui, & le faifoit affifter avec les cardinaux aux délibérations publiques. Les particu liers mêmes s'adreffoient au faint abbé pour leurs affaires; & il en faifoit fon rapport à la cour du pape pour protéger les opprimés.

1. 11. c. I.

tom.X.conc.

En ce concile l'élection du pape Innocent fut folennellement approuvée, & Pierre de Léon excommunié, s'il ne venoit à réfipifcence. On y publia auffi dix-fept canons de difcipline, déjà publiés au concile de Clermont de l'année p. 982. précédente, & répétés pour la plupart des conciles plus anciens. Ceux qui me paroiffent les plus remarquables font: Défense à qui que ce foit de piller les biens des évêques morts, qui doivent être réfervés pour l'utilité de l'églite & du fucceffeur, fous la libre difpofition de l'économe & du clergé. Ce canon femble regarder les princes qui fe mettoient en poffeffion des évêchés vacans, comme Guillaume le Roux roi d'Angleterre. Un autre canon défend aux moi

can. 3.

can.

6.

nes & aux chanoines réguliers d'étudier les lois civiles & la AN. 1131. médecine pour en gagner de l'argent. Car, ajoute le canon, c'est l'avarice qui les engage à fe faire avocats; & ils emploient leur voix, deftinée au chant des pfeaumes, à plaider des caufes, fans diftinction des juítes & des injuftes. Or les conftitutions impériales témoignent qu'il eft honteux aux clercs de vouloir être habiles plaideurs. C'est auffi l'amour de l'argent, qui engage les chanoines & les moines, contre l'efprit de leur profession, à mépriser le foin des ames, pour entreprendre la guérifon des corps humains, & arrèter leurs yeux fur des objets dont l'honnêteté ne permet pas même de parler. Enfin on menace de dépofition les évêques & les abbés qui confentent à ces défordres.

De clauft. an. abuf.6 c.17. ap. Hug. Vic

tor.

C. 12.

can. 13.

Un auteur qui vivoit dans le même temps, parle fortement contre les moines avocats: qui méditoient les décrets & les lois, au lieu de méditer les pfeaumes; qui cherchoient à défendre des mariages illégitimes, en étudiant les généalogies, car c'étoit une des matières plus ordinaires de procès; qui paffoient les Alpes chargés de papiers, pour aller à Rome plaider la caufe d'un prince féculier. Il eft remarquable que le concile de Reims ne défend expreffément qu'aux religieux profès d'être avocats & médecins, comme le permettant tacitement aux clercs féculiers; & en effet l'ignorance des laïques rendoit ce mal néceffaire, puifque ces profeffions ne peuvent être exercées que par des gens de lettres.

Un autre canon de ce concile défend les fêtes où les chevaliers s'affembloient à un jour marqué, pour faire preuve de leur force & de leur adresse : c'est-à-dire, les tournois. La raifon de les défendre, eft que l'on y mettoit en péril la vie des corps & des ames; c'eft pourquoi on refufe la fépulture eccléfiaftique à ceux qui y mourront, quoiqu'on leur accorde la pénitence & le viatique s'ils le demandent. Mais il ne paroît point que ces défenfes de l'églife, quoique fonvent réitérées, aienteu aucun effet pour empêcher les joûtes & les tournois, dont l'ufage a continué d'être fréquent pendant quatre cents ans. Un autre canon prononce anathême contre celui qui aura porté fes mains avec violence fur un clerc ou fur un moine; & défend à aucun évêque de l'absoudre, jufques à ce que le coupable fe foit présenté devant le pape, & que l'évêque ait reçu fon ordre. Le dernier canon du concile de Reims porte excommunication contre les incendiai

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res, crime fréquent dans la province Belgique ; & on leur
donne pour pénitence un an de fervice de guerre à la terre
fainte, ou en Espagne.

AN. 1131.

X. Sacre de Louis le jeu

Le famedi vingt-quatrième d'Octobre le roi Louis le Gros vint au concile, accompagné de Raoul comte de Vermandois & fénéchal de France, fon parent, & de plu- ne. fieurs autres feigneurs. Le roi monta fur la tribune où Chr. Maurin, étoit le pape, lui baifa les pieds; puis s'affit auprès de lui P. 378. dans une chaire, & parla de la mort de fon fils en peu de mots, qui tirèrent des larmes à tous les affiftans. Le pape, tournant les yeux fur lui, lui fit un difcours de confolation, l'exhortant à élever fes penfées au roi des rois, & à fe foumettre à fes jugemens. Il a pris, dit-il, votre fils aîné dans l'innocence, pour le faire régner dès à préfent avec lui dans le ciel, vous en laiffant plufieurs autres pour régner ici bas après vous. C'est à vous à nous confoler, nous autres étrangers chaffés de notre pays; comme vous avez fait en nous recevant avec tant d'honneur, & nous comblant de tant de bienfaits, dont vous recevrez une récompenfe éternelle. Auffi-tôt le pape se leva, & dit tout bas l'oraifon dominicale & les prières accoutumées pour l'ame du jeune prince; puis il avertit les évêques & les abbés de venir le lendemain dimanche revêtus pontificalement comme ils étoient à la féance du concile, pour affifter au facre du nouveau roi.

Ce jour-là qui étoit le vingt-cinquième d'Octobre, le foleil sembla plus brillant que de coutume, pour éclairer la cérémonie. Le pape dès le grand matin, fortant du palais archiepifcopal avec fa cour & les prélats du concile, alla à faint Remi, où le roi logeoit avec le prince fon fils; & fut reçu en proceffion avec toute la décence convenable, par les moines de cette abbaye. Là le pape prit le jeune prince nommé auffi Louis, & âgé d'environ dix ans, & le conduifit à l'églife métropolitaine de Notre-Dame. Le pape étoit revêtu de fes ornemens les plus folennels, avec la thiare fur la tête; & lui & le prince étoient futvis d'une multitude innombrable de clergé, de nobleffe & de peuple. A la porte de NotreDame ils trouvèrent le roi qui les attendoit avec quantité de feigneurs & de prélats; ils entrèrent dans l'églife, préfentèrent le jeune prince à l'autel, & le pape le facra avec T'huile dont faint Remi avoit oint le roi Clovis à fon baptême, & qu'il avoit reçue de la main d'un ange: c'eft ainsi

qu'en parle l'auteur du temps. Louis le Gros ainfi confolé s'en retourna avec la reine son épouse, qui étoit auffi venue au facre, & avec le nouveau roi leur fils.

XI.

Reims.

Z. c. 10.

Le lendemain faint Norbert archevêque de Magdebourg Suite du préfenta au pape, en plein concile, des lettres du roi Loconcile de thaire, par lefquelles il promettoit de nouveau obéiffance au pape, & lui déclaroit qu'il fe préparoit pour le voyage d'Italie avec toutes les forces de fon royaume. Henri roi d'Angleterre envoya auffi des lettres d'obédience au pape, par Hugues archevêque de Rouen : & les deux rois d'Efpagne en envoyèrent de femblables par les évêques du pays. Ces deux rois étoient Alphonfe le vieux roi d'Arragon, & Alphonfe le jeune VIII du nom, roi de Caftille. Après la mort d'Alphonfe VI roi de Caftille, le roi d'Arrangon fon gendre prit le titre de roi de Caftille, fous le nom d'Alphonfe VII, pendant le bas âge d'Alphonfe VIII, fils de fa femme Utraque & de fon premier mari Mariana lib. Raimond comte de Bourgogne; mais en 1122, ce jeune prince fut reconnu roi de Caftille, & y régna trente-cinq ans. Son beau-père demeura ainfi réduit au royaume d'Arragon, qu'il avoit confidérablement augmenté en 1118, par la prife de Saragoce fur les Mores. Ces deux rois envoyèrent donc au concile de Reims demander du fecours Bibl. Orient, contre les infidelles, particulièrement contre les Morap. 623.497. bites ou Marabouts, nouvelle fecte de Musulmans, qui depuis quarante ans étoient venus d'Afrique s'établir en Efpagne, fous la conduite de Jofeph fils de Teffefin fondateur de Maroc. Enfin l'abbé de Pontigni apporta au concile de Reims une lettre des ermites de la Chartreufe, qui y fut lue par Geoffroi évêque de Chartres & admirée de tout le monde. Ils y marquent l'extrémité où étoit réduit dès-lors le faint évêque de Grenoble ; ils exhortent le pape à réfifter courageufement aux fchifmatiques, & lui recommandent les nouvelles religions de Citeaux & de Fontevraud.

AN. 1131.

Sup. 1. XLV. n. 66.

Saint Norbert, venant au concile de Reims, apporta les anciens titres de fon églife, prefque rongés des vers, qu'il fit tous renouveller & corriger par l'autorité du pape. Il y fit joindre l'expreffion des biens qu'il avoit retirés d'entre les mains des ufurpateurs; & obtint un privilége, mais qu'il tint fecret, d'établir dans fa cathédrale l'obfervance de Pré montré, quand il en trouveroit l'occafion favorable.

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