Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Bourges. Sur ces plaintes le pape fit excommunier le comte AN. 1142. de Vermandois par le cardinal Ives fon légat en France, qui avoit été chanoine régulier de faint Victor : les terres de ce comte furent mifes en interdit, & les trois évêques les complices furent fufpendus de leurs fonctions. Mais le comte de Champagne, preffé par la guerre qui désoloit fon pays, fut réduit à promettre par ferment qu'il feroit révoquer cette cenfure; & faint Bernard fe joignit encore à lui pour le demander au pape : difant qu'il lui feroit facile d'excommunier de nouveau le comte de Vermandois, s'il ne tenoit pas fa parole.

LXXIX.

ep. 220.

Le roi fachant que ce comte, qu'il avoit pris fous fa Lettre de S. protection, étoit menacé d'une feconde excommunication, Bernardpour l'archevêque fe plaignit de faint Bernard, qui avoit été médiateur de Bourges. de cette paix avec Hugues évêque d'Auxerre ; & lui fit écrire de l'empêcher, à caufe des maux qui en pouvoient fuivre. Le faint abbé lui répondit: quand je le pourrois faire, je ne vois pas que je le duffe raifonnablement. Je fuis affligé des maux qui en pourroient arriver: mais nous ne devons pas faire un mal, afin qu'il en arrive du bien. Et à la fin il ajoute ne réfiftez pas, fire, fi ouvertement à votre roi, au créateur de l'univers, dans fon royaume & fon domaine; & n'ayez pas la témérité d'étendre la main si souvent contre celui qui Pf. 75. ôte la vie aux princes & qui eft terrible aux rois de la terre. Je parle fortement, parce que je crains pour vous de plus fortes punitions je ne les craindrois pas tant, fi je vous aimois moins.

Quelque vive que fût cette lettre, faint Bernard en écrivit encore une plus forte au roi fur le même fujet : où il lui reproche de fuivre des confeils diaboliques, & de violer la paix conclue l'année précédente, en renouvellant les incendies, les homicides, & toutes les horreurs de la guerre ; puis il ajoute mais de quelque manière que vous difpofiez de votre royaume & de votre ame, nous, autres enfans de l'églife, ne pouvons diffimuler de voir notre mère outragée, méprifée, foulée aux pieds. Nous demeurerons fermes, & nous combattrons pour elle jufqu'à la mort, s'il est besoin, par les armes qui nous font permises, c'eft-à-dire, par nos prières & nos larmes devant Dieu.Pour moi, ourre mes prières ordinaires pour vous & pour votre royaume, j'avoue que j'ai encore foutenu votre parti auprès du pape par mes lettres

& par mes agens, prefque jufqu'à bleffer ma confcience, & jufques à m'attirer, je n'en dois pas difconvenir, la jufte indignation du pape. Mais vos excès continuels font que je commence à me repentir de mon imprudence, & d'avoir trop excufé votre jeuneffe. Je défendrai déformais la vérité felon mon pouvoir.

Il écrivit fur le même fujet aux deux principaux miniftres du jeune roi, Joffelin évêque de Soiffons, & Sugger abbé de S. Denis, qui avoient été les médiateurs de la paix entre le roi & le comte de Champagne, avec l'évêque d'Auxerre & S. Bernard. Il répond aux plaintes que le roi faifoit contre le comte & contre lui; & ajoute nous étions encore convenus que, s'il naiffoit quelque différent pour l'exécution de ce traité, il feroit examiné entre nous quatre, fans que les deux princes ufaffent de voie de fait l'un contre l'autre, jusqu'à ce que nous euffions effayé de les réconcilier. C'eft ce que le comte demande inftamment, mais le roi le refufe. Enfin je veux que le comte ait tort: mais qu'a fait l'églife? Qu'a fait non-feulement l'église de Bourges, mais celle de Châlons, celle de Reims, celle de Paris? De quel droit le roi ofe-t-il piller les terres des églifes, & empêcher qu'on ne donne des pafteurs aux ouailles de JESUS CHRIST, en défendant aux uns la promotion des évêques élus, & prescrivant aux autres un délai pour l'élection, ce qui eft fans exemple, jufques à ce qu'il ait tout confumé en pillant le bien des pauvres, & défolé le pays? Eft-ce vous qui lui donnez de tels confeils? Il eft étonnant qu'on le faffe contre votre avis: mais il eft encore plus étonnant & plus mauvais, que ce foit de votre avis. Donner de tels confeils, c'eft manifeftement faire fchifme, résister à Dieu, réduire l'églife en fervitude, Le mal que fait un jeune roi ne lui eft pas imputé, mais à fes vieux miniftres.

Saint Bernard écrivit fur le même fujet au cardinal Etienne évêque de Palestrine, qui avoit été tiré de l'ordre de Citeaux. Vous favez, dit-il, avec quelle chaleur j'ai foutenu les intérêts du roi auprès du pape ; & le bien que j'ai dir de lui, parce qu'il faifoit de belles promeffes. Maintenant qu'il me rend le mal pour le bien, je fuis contraint d'écrire le contraire. J'ai honte & de mon erreur & de la fauffe espérance que j'avois conçue de lui; & je rends grâce au ciel de n'avoir pas été exaucé lorfque je fuppliois pour lui

AN. 1142.

ep. 222.

ep. 2241

par fimplicité. Je croyois avoir de la déférence pour un roǹ AN. 1143. pacifique, & il fe trouve que j'ai flatté le plus grand enne

mi de l'églife. On foule aux pieds les chofes faintes chez nous: l'églife eft réduite à une honteuse fervitude. Car on empêche les élections des évêques, & fi le clergé ofe en élire quelqu'un, on ne lui permet pas de fe faire facrer. Enfin l'église de Paris eft dans le deuil & fans pafteur, & perfonne n'ofe parler d'y en mettre un autre. On ne se contente pas de dépouiller les maifons épifcopales des biens que l'on y trouve; on porte les mains facriléges fur les terres & les hommes qui en dépendent, & on s'attribue les revenus de toute l'année. Votre églife de Châlons a fait une élection; mais l'élu demeure depuis long-temps fruftré de fa dignité; & vous favez avec quel préjudice du troupeau. C'étoit Gui qui avoit été élu évêque de Châlons, à la place de Geoffroi mort en 1142.

Saint Bernard continue: le roi y a envoyé à la place de l'évêque fon frère Robert qui exerce fa puiffance dans toutes les terres & les biens de cette églife; & offre tous les jours, non pas des victimes pacifiques, mais les cris des pauvres, les larmes des veuves & des orphelins, les gémiffemens des prifonniers, le fang des morts. Encore trouve-t-il cet évêché trop petit. Il envahit celui de Reims ; & fans épargner ni clercs, ni moines, ni religieufes, il a ravagé par le fer les terres fertiles & les villages fi peuplés du domaine de notre-Dame, de S. Remi, de S. Nicaife & de S. Thierri ; & les a prefque tous réduits en folitude. C'est que l'archevêque Samfon avoit pris le parti du comte de Champagne. S. Bernard finit fa lettre, en priant l'évêque Etienne d'exciter le pape à réprimer ces défordres.

ep. 219.

Toutefois le faint abbé, prévoyant les fuites funeftes de l'interdit que le pape avoit jeté fur la France à caufe de l'archevêque de Bourges, écrivit au même évêque de Paleftrine, & à trois autres cardinaux de la cour de Rome: favoir, Alberic évêque d'Oftie, Igmar évêque de Tufculum, auparavant moine à S. Martin des Champs & prieur de la Charité; & le chancelier Gerard, qui fut depuis le pape Lucius II. Il leur repréfente que l'églife eft menacée d'un nouveau schisme. Hélas! dit-il, nous déplorons nos maux paffés, nous gémiffons des préfens, & nous en craignons pour l'avenir, & ce qui eft de pire, c'eft que le monde eft

venu en tel état, que les coupables ne veulent point s'humilier, ni les juges en avoir pitié ; les uns ne veulent point faire de fatisfaction, ni les autres ufer de condefcendance: chacun fuit fa paffion, & tire de fon côté jufqu'à tout rompre. Si vous avez le cœur fenfible à la piété, oppofez-vous à de fi grands maux ; & ne permettez pas qu'il arrive un fchifine dans ce pays, où, comme vous favez, on remédie ordinairement aux autres fchifmes.

Il y a deux points fur lefquels nous n'excufons point le roi. Il a fait un ferment illicite, & il a tort d'y perfévérer: mais ce n'eft que par mauvaife honte. Car vous favez quel reproche c'eft chez les François de fauffer un ferment, quoique mauvais. Nous ne prétendons pas l'excufer, nous demandons grâce. Voyez fi la colère, fon âge, fa dignité ne l'excufent point en quelque manière. Pardonnez-lui, s'il eft poffible, fans préjudice de la liberté de l'églife, & du respect dû à un archevêque facré de la main du pape. Le roi le demande humblement, & toute l'églife de deçà les monts vous en fupplie. J'ai prié pour ce fujet dès l'année paffée; mais ma prière n'a attiré que de l'indignation, qui a été fuivie de la défolation prefque de tout le pays.

Ces dernières paroles de faint Bernard regardent le pape Innocent extrêmement refroidi à son égard, comme il paroît par une lettre qu'il lui écrivit en même temps, & qui commence ainfi je croyois autrefois être quelque peu de chose; maintenant fans favoir comment, je me trouve réduit à rien. Vous aviez les yeux fur moi, vous écoutiez mes prières, vous receviez avec empreffement tout ce que je vous écrivois, vous le lifiez avec plaifir, vous y répondiez avec bonté au lieu que depuis quelque temps vous ne me regardez plus. Il fe juftifie enfuite au fujet de l'argent du défunt cardinal Ives, dont on l'accufoit d'avoir difpofé. Puis il ajoute je fais que je vous ai auffi déplu par la multitude de mes lettres, mais je m'en corrigerai facilement. J'ai trop préfumé, ne confidérant pas affez qui vous êtes & qui je fuis: mais votre bonté, vous en conviendrez, m'avoit infpiré cette hardieffe. D'ailleurs l'affection pour mes amis me preffoit : car, si je m'en fouviens bien, je vous ai fort peu écrit pour moi; mais il vaut mieux déplaire à quelques-uns de mes amis, que de vous être importun. Et maintenant même je n'ai pas ofé vous écrire des périls dont l'églife eft menacée, & du grand

fchifme que nous craignons : mais j'en ai écrit aux évêques qui font auprès de vous, & vous le pourrez apprendre d'eux. C'est la dernière lettre de S. Bernard au pape Innocent II.

Pierre le vénérable, abbé de Clugni, écrivit auffi au pape en cette occafion une lettre, où, avec beaucoup de difcrétion & de refpect, il lui repréfente la dignité du roi & du royaume de France, l'importance de l'affaire & le péril dont l'église étoit menacée; & le prie d'ufer de condescendance à l'égard du jeune roi: fans toutefois s'ingérer à donner au pape aucun conseil particulier.

nai.

480.

11.45.

LXXX. Le clergé de Tournai voulut profiter de la divifion exTentative citée entre le pape & le roi pour l'affaire du comte de pour l'évê- Vermandois, dans laquelle Simon fon frère, évêque de ché de Tour- Noyon fe trouvoit enveloppé. Ils voulurent donc reprenNar. 12. t. dre la procédure commencée fous le pape Urbain II, & 2. Spicil, p. continuée fous Pafcal, pour le rétablissement de l'évêché Sup. 1. LXIV. de Tournai. Pour cet effet ils députèrent à Rome Herman abbé de S. Martin, qui ayant expliqué l'affaire au pape Innocent, en obtint des lettres par lefquelles il ordonnoit au clergé de Tournai d'élire un évêque, le présenter à l'archevêque de Reims pour être facré ; & s'il le refusoit, l'amener au pape. En conféquence de cet ordre, Abfalon abbé de S. Amand fut élu évêque de Tournai, & l'élection notifiée à l'archevêqne de Reims: mais il dit qu'il n'ofoit facrer cet évêque, par la crainte du roi & du comte de Vermandois. Ils furent donc obligés de renvoyer à Rome; mais l'évêque élu ne voulut pas y aller craignant que la cour de Rome ne fe laiffàt gagner pour changer de fentiment, & qu'il ne reçût un honteux refus. Les députés du clergé de Tournai étant arrivés à Rome, montrèrent leur décret d'élection au pape, qui les reçut agréablement; & ils attendoient de jour en jour fa réponse décisive, quand on apprit tout d'un coup que Simon, évêque de Noyon, les avoit fuivis & étoit à Rome. Il fe plaignit au pape de l'élection que les clercs de Tournai avoient faite, au préjudice du ferment qu'ils lui avoient prêté comme à leur évêque mais le pape répondit qu'il les avoit abfous de ce ferment, & qu'ils n'avoient rien fait que par fon ordre. Herman qui étoit à la tête des députés de Tournai répondit, qu'ils n'avoient porté au pape aucune plainte contre l'évêque de Noyon, & que l'élection d'un autre évêque ne venoit d'aucune mauvaise volonté contre lui, mais du

« AnteriorContinuar »