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AN. 1140.

deaux, s'en excusèrent auffi: le premier, principalement à caufe du refus que faifoit l'archevêque de Sens de le reconnoitre pour primat. L'affemblée de Chartres fe tint, & tous d'un confentement unanime y voulurent élire faint Bernard pour chef de la croifade: mais il le refufa conftamment, comme il le manda au pape Eugene dans une lettre, où il epist. 256. l'exhorte à preffer avec tout le zèle poffible cette entrepri

fe, & à employer à cette occafion les deux glaives de l'églife.

C'eft que fur le fondement de cette parole des Apôtres à

JESUS-CHRIST: Seigneur, voici deux glaives; on préten- Luc. xx11. 38. doit que ces deux glaives fignifioient la puiffance temporelle qu'on appeloit le glaive matériel, & la puiffance eccléfiaftique qu'on appeloit le glaive fpirituel; & c'est en ce fer's que faint Bernard dit dans cette lettre : L'un & l'autre glaive appartient à Pierre; l'un doit être tiré à fa follicitation, l'autre de fa main, toutes les fois qu'il en eft befoin. C'est de celui qui convenoit le moins à Pierre, qu'il Jo. xvIII. 11. lui fut dit de le mettre dans le fourreau. Il étoit donc auffi à lui, mais il ne le devoit pas tirer de fa main. Je crois qu'il eft temps & même néceffaire de les tirer tous deux, pour

la défense de l'églife d'Orient. Cette allégorie des deux Geoff. opuf. glaives, fi célèbre dans la fuite, avoit déjà été marquée 4

dans un écrit de Geoffroi abbé de Vendôme. Saint Ber- Sup.l. LxvII. nard l'étend ici davantage; & il eft clair que dans l'affaire ", 26, dont il s'agit, c'est-à-dire dans la croifade, c'étoit le pape qui excitoit les princes chrétiens à employer le glaive ma tériel contre les infidelles: mais S. Bernard ne prétendoit pas pour cela qu'ils ne puffent entreprendre aucune guerre fans la permiffion du pape,

Il continue dans fa lettre vous aurez déjà appris, si je ne me trompe, comment dans l'affemblée de CharTres (j'admire par quelle vue) on m'a choifi pour chef & pour général d'armée. Mais foyez affuré que ce n'a été, ni par mon confeil, ni de mon confentement. II ne me feroit pas même poffible, autant que je puis mefurer mes forces, d'arriver jufques-là. Qui fuis-je, pour ranger des armées en bataille & marcher à la tête des troupes ? Qu'y a-t-il de plus éloigné de ma profeffion, quand j'en aurois la force & la capacité ? Je vous conjure, par la charité que vous me devez, de ne me pas expofer à la volonté des hommes, mais

AN. 1146. cp. 224.

ep. 365. al. 322.

de confulter en tout celle de Dieu. Dans une autre lettre au pape écrite la même année, il marque ainfi le fuccès de fes prédications pour la croifade: vous avez commandé, j'ai obéi, & votre autorité a rendu mon obéillance féconde; les villes & les châteaux deviennent déferts, & on voit partout des veuves dont les maris font vivans.

Saint Bernard écrivit auffi une lettre circulaire, pour exciter à la croifade, qui fe trouve en différens exemplaires, adreffée diverfement, pour l'Allemagne, pour l'Angleterre, pour la Lombardie; & il en fit écrire une à peu près pareille par Nicolas fon fecrétaire, pour le comte & les feigneurs de Bretagne en particulier. Dans la grande lettre circulaire, il relève d'abord la dignité des lieux faints, & le péril où ils font exposés d'être profanés de 'nouveau par les infidelles; puis il relève l'utilité de la croifade, en difant : combien de pécheurs, confeffant leurs fautes avec larmes, en ont obtenu le pardon en ces lieux, depuis que la valeur de vos pères en a banni l'impureté des paiens? L'ennemi le voit & en frémit de rage. Et enfuite: n'eft-ce pas une occafion précieufe de falut, & une invention digne des profondeurs de la bonté divine, que le Tout-puiffant daigne appeler à fon fervice des homicides, des voleurs, des adultères, des parjures, des hommes chargés de toutes fortes de crimes, comme fi c'étoit des juftes? Il veut être votre débiteur, afin de vous rendre pour récompenfe le pardon de vos péchés & la gloire éternelle. Le faint abbé les exhorte à ne plus tourner leurs armes les uns contre les autres pour la perte de leurs ames, & à employer leur courage plus utilement. Il marque l'indulgence de la croifade, qui fait obtenir le pardon de tous les péchés que l'on aura confeffès d'un cœur

contrit.

XV.
S. Bernard

Au refte, ajoute-t-il, je vous avertis de ne pas croire à empêche de tout esprit, & de régler votre zèle felon la science. Il ne tuer les Juifs. faut point perfécuter les Juifs, il ne faut point les tuer, ni mème les chaffer. Ce font comme des lettres vivantes, qui nous repréfentent la paffion de Notre-Seigneur. C'est pour cela qu'ils font difperfés dans tous les pays du monde : afin que, fouffrant la jufte peine d'un fi grand crime, ils rendent témoignage à notre rédemption. Toutefois ils fe converti ront à la fin, après que la multitude des gentils fera enRom. 1. 25. trée dans l'églife. Si nous en attendions autant des païens,

AN. 1146.

faudroit les fouffrir, plutôt que de leur faire la guerre : mais puisqu'ils ont commencé à nous attaquer, il faut que ceux qui ont droit d'ufer du glaive, repouffent la force par la force. Or il eft de la piété chrétienne, d'épargner ceux qui font foumis, comme de dompter les fuperbes. Enfin S. Sup. I. LXIV. Bernard avertit les croifés, de ne choifir pour chefs que n. 4ɔ. des guerriers & les plus expérimentés; & de marcher tous enfemble en corps d'armée, pour éviter l'inconvénient de ceux qui fuivirent témérairement Pierre l'ermite à la première croifade.

c.

Ce que le faint abbé dit ici des Juifs, regarde le zèle Otto. 1. Frid. indifcret d'un moine nommé Rodolfe, qui prêchoit en " 27. même-temps la croifade à Cologne, à Mayence, à Vormes, & aux autres villes proche du Rhin. Il faifoit profeffion d'une grande févérité, mais il étoit peu inftruit; & dans fes prédications, il difoit qu'il falloit tuer les Juifs, comme les ennemis de la religion chrétienne : & fes difcours féditieux firent un tel effet, qu'en plufieurs villes de Gaule & de Germanie il y eut un grand nombre de Juifs epift. 363. at. maffacrés. Henri archevêque de Mayence en ayant écrit 323. à faint Bernard, il lui répondit : cet homme n'a aucune miffion, ni des hommes, ni de Dieu. Que s'il fe vante d'étre moine ou ermite, & prétend par-là s'attribuer la liberté de prêcher: il doit favoir que le devoir d'un moine n'eft pas d'enfeigner, mais de pleurer; & que la ville doit être pour lui une prifon, & la folitude un paradis. Il y a en celui-ci trois chofes très- dignes de repréhension l'ufurpation du miniftère de la parole, le mépris des évêques, l'approbation de l'homicide. L'ċglife triomphe plus glorieufement des Juifs, les convaincant ou les convertiffant de jour en jour, que fi elle les faifoit paffer une fois au fil de l'épée; & ce n'eft pas en vain qu'elle fait pour eux cette prière, où elle demande à Dieu d'ôter le voile de leurs cœurs. C'eft l'oraifon du vendredi faint. Saint Bernard conclut, que Rodolfe eft plein de l'efprit d'arrogance, & cherche à fe faire un grand nom.

Pierre abbé de Clugni étoit dans le même fentiment au fujet des Juifs, comme il paroît par la lettre qu'il écrivit au roi Louis vers le même temps, pour lui fouhaiter un heureux fuccès dans fa croifade. Il convient que les Juifs font les v. ep. 36. plus grands ennemis des chrétiens, & pires que les Sarra

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fins toutefois il ne veut pas qu'on les faffe mourir, mais AN. 1146. qu'on les réserve à un plus grand fupplice; qui eft d'être toujours esclaves, timides & fugitifs. Ce qu'il demande au roi, c'eft de les punir en ce qu'ils ont de plus cher, qui eft leur argent leur ôtant les gains illicites qu'ils font fur les chrétiens, non-feulement par les ufures, mais par les larcins dont ils font complices & receleurs, principalement de l'argenterie des églifes. Car les voleurs, ne trouvant point de chrétiens qui vouluffent acheter des vafes facrés, les vendoient à des Juifs qui les fondoient ou les employoient à des ufages profanes. L'abbé de Clugni exhorte le roi à punir ces facriléges, & à prendre fur les Juifs de quoi faire la guerre aux Sarrafins.

en

gue.

Vita S. Bern.
L. VI. c. I.

Saint Bernard alla lui-même prêcher la croisade en Allemagne, & vint à Mayence, où il trouva le moine Rodolfe en grand crédit auprès du peuple. Il le fit venir, lui reOtto. 1. Frid. préfenta qu'il agiffoit contre le devoir de fa profeffion, c. 39. IV. c. & enfin le réduifit à lui promettre obéiffance & à retourner dans fon monaftère. Le peuple en fut fort indigné, & vouloit exciter une fédition, s'il n'eût été retenu par la confidération de la fainteté de Bernard. Étant allé à Francfort trouver le roi Conrad pour mettre la paix entre lui & quelques feigneurs, il prit le roi en particulier, & l'exhorta à fe croifer lui-même pour le falut de fon ame; mais le roi lui dit qu'il n'y avoit point d'inclination, & le faint abbé n'ofa l'en preffer davantage. Herman évêque de Conftance, qui fe trouvoit à Francfort c. 4. auprès du roi, pria inftamment faint Bernard de venir chez lui. Il y avoir grande répugnance, étant preffé de retourner à Clairvaux, dont il étoit abfent depuis près d'un an. Mais il fe laiffa vaincre à la perfévérance de l'évêque de Conftance, qui l'en fit prier par les autres évêques & par le roi même, & il crut connoître que c'étoit la volonté 'de Dieu. En ce voyage il fit un grand nombre de miracles dont nous avons une relation exacte, écrite à la prière de Samfon archevêque de Reims, par Philippe, qui accompagnoit le faint abbé dans ce voyage, étant archidiacre de Liège : mais il fe convertit alors, & au retour se rendit moine à Clairvaux. Cette relation eft un journal depuis le premier dimanche de l'Avent premier jour de Décembre 1 146, jufqu'au jeudi fecond jour de Janvier 1147. Philippe fait parler tous ceux qui avoient été avec lui té

XVI.
S. Bernard

Allema

C. I.

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moins de ces miracles; favoir, Herman évêque de Conf-
tance & Everard fon chapelain; deux abbés, Baudouin &
Frouin; deux moines, Gerard & Geoffroi ; trois clercs,
Philippe qui eft l'auteur, Otton & Francon; enfin Alexan-
dre de Cologne, qui fe joignit à eux dans le voyage. Ce
font dix témoins de ces miracles.

AN. 1146.

XVIL

Le journal commence ainfi l'évêque Herman dit: le curé du village d'Herenheim, étant appelé exprès, m'a Miracles de déclaré qu'un homme aveugle depuis dix ans, qui étoit de S. Bernard, fa maison, ayant reçu le figne de la croix en paffant, le premier dimanche de l'Avent, recouvra la vue aussitôt qu'il fut arrivé dans fa maison; je l'avois déjà ouï dire à un autre, & la chofe eft très-certaine dans tout le pays. Le chapelain Everard dit : j'ai ouï dire à deux hommes d'honneur, l'un prêtre & l'autre moine, qu'au village de Lapenheim, deux aveugles ont recouvré la vue le même jour par le figne de la croix. Philippe : le lundi en ma présence, un vieillard aveugle fut amené à l'églife, & après l'impofition des mains, tout le peuple cria qu'il avoit recouvré la vue, comme vous l'entendîtes tous. L'abbé Frouin : je le vis qui voyoit clair, & le frère Geoffroi le vit avec moi. Francon le mardi à Fribourg, une mère préfenta au logis fon enfant qui étoit aveugle; & comme elle le reportoit après l'impofition des mains, l'abbé fit demander à l'enfant s'il voyoit. Je le fuivis moi-même, je l'interrogeai, & il me répondit qu'il voyoit clair; ce qui fut auffi éprouvé en plufieurs manières. Geoffroi : auffitôt que rous fumes entrés dans l'églife, un jeune homme boiteux fur guéri par le figne de la croix. L'évêque : nous le vimes tous devant l'autel, tandis que le peuple louoit Dieu avec de grands cris. Et enfuite: pourquoi n'avez-vous pas dit qu'à Fribourg, le premier jour, l'abbé ordonna de prier pour les riches, afin que Dieu ôtât le voile de leurs cœurs? parce qu'au lieu que les pauvres fe préfentoient pour être croisés, les riches fe reculoient : & la prière ne fut pas vaine; mais les plus riches du lieu, comme vous favez, & même les plus méchans, fe croisèrent.

Après plufieurs autres miracles, l'évêque raconte ainfi ce qui s'étoit paffé à Bafle le vendredi fixième de Décembre: Après le fermon & les croix données, on présenta à l'homme de Dieu une femme muette; & fitôt qu'il eut touché fa langue, elle fut déliée & la femme parla bien: je la vis

n. S.

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