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XII. S. Norbert perfécuté.

Vita c. 15.

Depuis cinq ans qu'il gouvernoit l'églife de Magdebourg, AN. 1131. il avoit fouffert de grandes perfécutions. Car incontinent après fa prise de poffeffion, fachant qu'un évêque, felon l'apôtre, doit bien gouverner fa maifon, il appela tous fes officiers, & leur demanda quels étoient les revenus n 91. 1. Tim, de la menfe épifcopale, & par qui ils étoient adminiftrés. 111. 4. Quand on eut tout compté & mis par écrit, avec les dépenfes que l'on en devoit tirer, à peine fe trouva-t-il de quoi fubfifter quatre mois. L'archevêque fort furpris demanda fi cette églife avoit été autrefois plus riche, & fi fes prédéceffeurs en avoient négligé les droits. On lui répondit que quelques-uns d'entre eux avoient donné ou prêté des terres de l'églife à leurs parens; que d'autres en avoient donné en fief, ou n'avoient pas eu la force de réfifter aux ufurpateurs.

Alors l'archevêque envoya de tous côtés dénoncer à ceux qui poffédoient des terres de fon églife, qu'ils ne fuffent pas affez hardis pour les retenir plus long-temps, à moins qu'ils ne fiffent voir qu'elles leur venoient de leurs ancêtres. Ces ufurpateurs furent extrêmement indignés de recevoir un ordre fi abfolu, de la part d'un homme pauvre & défarmé qui étoit venu fur un âne; & ils crurent que ce feroit une menace fans exécution. Mais le prélat les excommunia, & par-là ils se virent réduits à une fâcheufe condition; car l'ufage étoit que ceux qui étoient demeurés un an excommuniés, étoient réputés infâmes, & toute audience leur étoit refufée dans les tribunaux. Ils quittèrent donc une grande partie de ce qu'ils avoient ufurpés fur l'églife de Magdebourg; mais ce fut bien malgré eux, & ils confervèrent une haine mortelle contre l'archevêque. Il s'attira encore celle du clergé, obligeant tous ceux qui étoient dans les ordres facrés à garder la continence ou à renoncer à leurs bénéfices. Pourquoi, disoient-ils, avons-nous appelé cet étranger, dont les mœurs font fi contraires aux nôtres ? Ils le chargeoient d'injures & le décrioient parmi le peuple, enforte qu'il devint univerfellement odieux; aux uns, parce qu'ils fe fehtoient maltraités; aux autres, parce qu'ils craignoient de l'être; aux autres, parce qu'ils fe laiffoient entraîner aux bruits populaires. 11 fe rendit encore odieux par la fondation de plufieurs maisons religieufes, particulièrement de fon ordre, comme fainte Marie de Magdebourg, d'où il ôta vingt chanoines

féculiers pour y mettre des fiens. Enfin la haine vint à tel
point, que l'on attenta plufieurs fois contre fa vie.

Un jour de jeudi faint comme il recevoit les con-
feffions des pénitens, il vint un jeune homme demandant
avec empreffement au portier d'entrer auffi pour fe con-
feffer. Mais l'archevêque le réferva pour le dernier; &
quand il entra lui défendit d'approcher, & lui fit ôter
un manteau dont il étoit couvert comme les pénitens.
Alors on vit à fon côté un couteau pointu, long d'un
pied & demi; & étant interrogé ce qu'il en vouloit
faire, il fe jeta aux pieds du prélat, & confeffa qu'on
l'avoit envoyé pour le tuer. Il nomma même les au-
teurs de cet attentat, & les affiftans furent bien étonnés
de voir que c'étoient ceux qui avoient le plus de part
aux confeils de l'archevêque. Il pardonna à l'affaffin; mais
il le fit mettre en prison, afin de découvrir les deffeins
de fes complices & les punir par la honte qui leur en re-
viendroit. Ce qui n'empêcha pas qu'un de fes clercs do-
meftiques ne tentât encore de le tuer la nuit, comme il
alloit à matines.'

Cependant Norbert permit aux religieux de Prémontré d'élire un autre abbé à fa place; & ce fut Hugues fon premier difciple, qu'il renvoya de Magdebourg pour les gouverner, comme il fit jusques à l'an 1164 qu'il mourut. On établit auffi des abbés à faint Michel d'Anvers, & à Floref, à faint Martin de Laon, à Viviers & Bonne-Efpérance en Hainaut. Ces fix premiers abbés tinrent auffi-tôt un chapitre général, où ils ordonnèrent qu'ils en tiendroient tous les ans à l'imitation des moines de Citeaux, pour la confervation de l'obfervance; & dès le quatrième chapitre ils fe trouvèrent dix-huit abbés, tant l'inftitut de Prémontré fit de progrès en peu de temps.

XIII. Second voya

ranie.

Au commencement du pontificat d'Innocent II, S. Otton ge de S. Ot- de Bamberg entreprit un fecond voyage en Pomeranie, quaton en Pomé- tre ans après le premier, c'est-à-dire l'an 1 130. Il fuivit une Vita lib. 111. autre route; & s'étant embarqué fur l'Elbe, il traversa la t. 2. Canif. p. Saxe, & par la rivière d'Havel il entra au pays des Luti420. Sup. liv. tiens, forte de Sclaves, qui occupoient une partie de MecLXVII. n. 31. lebourg & du Brandebourg. Il menoit cinquante chariots chargés de provifions & de quantité de richeffes pour faire des préfens. Il paffa dans quelques villes peu connues, où il délivra des captifs, réconcilia des apoftats, convertit &

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baptifa des païens, abartit des temples d'idoles, & confacra des églifes. Enfuite il réfolut d'alier à Stetin; fachant que cette ville étoit retournée à l'idolâtrie. Mais les eccléfiaftiques qui devoient l'y accompagner, craignant la barbarie de ce peuple, l'en détournoient de tout leur pouvoir. Fatigué de leurs rémontrances, il leur dit : je vois bien que nous ne fommes venus que pour goûter des délices, & nous croyons devoir éviter toutes les difficultés qui fe rencontrent. Soit je voudrois vous exhorter tous au martyre, mais je n'y contrains perfonne : fi vous ne voulez pas m'aider, je vous prie au moins de ne me pas empêcher, & me laiffer la liberté que je vous donne.

Ayant ainsi parlé, il s'enferma feul dans fa chambre, & fe mit en prières jufques au foir: enfuite il commanda à un de fes gens de fermer toutes les portes, & ne laiffer entrer perfonne fans ordre. Alors il prit fes habits de voyage, mit fes ornemens, fon calice, & les autres meubles d'autel dans un fac qu'il chargea fur fes épaules; & fortit feul la nuit, prenant le chemin de Sterin. Ravi de fe trouver en liberté, il commença à dire matines, & marcha si bien le refte de la nuit, qu'il fit tout le chemin. Cependant fes clercs s'étant levés pour dire matines, allèrent à la chambre de l'évêque, & ne le trouvant nulle part, ils furent étrangement confternés : ils partirent, les uns à pied, les autres à cheval, pour le chercher de tous côtés ; & le jour étant venu, ils le trouvèrent prêt à entrer dans une barque. Il en fur fort affligé, & pria Dieu qu'au moins ils ne le détournaffent pas de fon deffein. Eux étant defcendus de cheval se jetrèrent à fes pieds, il fe profterna de fon côté : ils fondoient en larmes de part & d'autre ; & comme il vouloit les renvoyer, ils lui proteftèrent qu'ils ne l'abandonneroient jamais, & le fuivroient par-tout, foit à la mort, foit à la vie.

Etant arrivés à Stetin, ils logèrent à une églife qui étoit à l'entrée de la ville. Or le peuple étoit divifé; quelquesuns avoient. gardé la foi, mais la plupart étoient retournés au paganisme. Ceux-ci furent troublés de l'arrivée du faint évêque, mais les plus furieux étoient les facrificateurs des idoles : enforte qu'ils vinrent avec une troupe de gens armés environner l'églife, criant, comme des infenfès, qu'il falloit l'abattre & tuer tous ceux qui étoient dedans. Le faint évêque, qui défiroit ardemment le martyre, fe revêtit pon

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ε. 15.

c. 16.

tificalement, & prenant la croix & les reliques pour ses
armes, il commença avec fon clergé à chanter des pfeau-
mes, pour recommander à Dieu le combat qu'il alloit fou-
tenir. Les barbares en furent touchés, ils admirèrent ces
gens qui chantoient à l'article de la mort, ils s'adoucirent;
& les plus fages, prenant en particulier leurs facrificateurs,
difoient que leur devoir étoit de défendre leur religion par
raifon & non par force. Ainfi ils fe retirèrent peu à peu.
C'étoit un vendredi; & l'évêque avec les fiens passèrent
ce jour & le fuivant en jeûnes & en prières.

Il y avoit à Stetin un homme noble nommé Vistac, qui
peu de temps auparavant étant allé en course fur mer, fut
pris par les ennemis & enfermé dans une obfcure prison.
Ayant prié Dieu ardemment de le délivrer, il s'endormit
& vit en fonge l'évêque Otton qui l'avoit baptifé au pre-
mier voyage, & qui lui dit : je fuis venu pour te délivrer;
mais ne manque pas enfuite de porter mes ordres à Stetin.
Viftac éveillé effaye de marcher, & fe fent libre de ses
fers; il s'avance à la porte de la prifon, & la trouve ou-
verte au bord de la mer il rencontre une nacelle avec
laquelle il fe fauve. Etant arrivé à Stetin, il affemble les
habitans, leur raconte fon aventure, & ajoute cette
ville eft menacée d'une terrible, vengeance de Dieu, parce
que vous avez profané fon culte, foit en le quittant pour
les idoles, foit en les joignant avec lui. Quand l'évêque
fut arrivé, Vistac parloit encore plus hardiment contre l'i-
dolâtrie, & l'excitoit à prêcher le peuple.

Le Dimanche étant venu, l'évêque, après avoir célébré la meffe, encore revêtu des ornemens, & la croix marchant devant lui, fe fit conduire au milieu de la place publique, & monta fur des degrés de bois d'où on haranguoit le peuple. Comme il eut commencé à parler, & que la plupart l'écoutoient avec plaifir: un facrificateur d'idoles fendit la preffe, & de fa voix qui étoit très-forte étouffant celle de l'évêque, il le chargea d'injures, & exhorta le peuple à punir cet ennemi de leurs dieux. Ils avoient tous des dards à la main, & plufieurs fe mirent en devoir de les lancer mais ils demeurèrent immobiles en cette pofture, fans pouvoir ni darder, ni abaiffer les mains, nife remuer de leur place. C'étoit un fpectacle agréable aux fidelles ; & l'évêque, prenant occafion de ce miracle, leur dit vous voyez, mes frères, quelle eft la puiffance du

1

Seigneur : que ne jettez-vous vos dards? combien demeurerez-vous en cet état ? que vos dieux vous secourent s'ils le peuvent. Enfin après leur avoir donné fa bénédiction, il fe retira.

Cependant les anciens & les fages de la ville tinrent c. 18. confeil depuis le matin jusques à minuit, & conclurent qu'il falloit extirper entièrement l'idolâtrie, & embraffer de nouveau la religion chrétienne. Viftac vint auffitôt apporter à l'évêque cette agréable nouvelle, & le lendemain le prélat les trouva tous difpofés & foumis; il reconcilia les apoftats par l'impofition des mains, baptifa les autres, & confirma leur foi par plufieurs miracles. De Stetin il paffa à Julin, dont il réduifit tous les habitans fans aucun obftacle: rant ils étoient frappés de l'exemple de la capitale.

C. 22.

c. 28.

Saint Otton voulut enfuite paffer chez les Ruthéniens: j'entends les habitans de l'île de Ruden, qui faifoit autrefois partie de celle de Rugen. Mais les Poméraniens lui Baudr. an, repréfentèrent que c'étoient des hommes féroces, légers Rugia. & brutaux; & d'ailleurs l'évêque, confidérant que ce pays dépendoit de l'archevêque de Danemark, ne voulut pas y aller prêcher fans fa permiffion. Il lui envoya donc un prêtre nommé Inuan, avec des lettres & des préfens. Il fut reçu de l'archevêque avec une très grande joie ; & ce prélat s'informa avec foin de l'état de faint Otton, qu'il connoiffoit depuis long-temps par la réputation de fa doctrine & de fes actions. Car c'étoit un homme droit & fimple, dont la science & la piété n'étoit pas médiocre, quoique fon extérieur fentît la rufticité Sclavone. Quant à la miffion chez les Ruthéniens, l'archevêque dit qu'il ne pouvoit donner alors de réponse; parce qu'il falloit auparavant confulter les feigneurs Danois. Le prêtre Inuan ne put attendre ce délai, & retourna chargé de préfens retrouver fon maître S. Otton : qui reçut peu de temps après des nouvelles, par lefquelles il étoit rappelé à Bamberg. Il revint par la Pologne au grand contentement du duc & de fes autres amis; & arriva à Bamberg la veille de S. Thomas, vingtième de Décembre.

c. 29.

XIV.

A Jérufalem le patriarche Etienne mourut l'an 1130, Eglife de n'ayant pas achevé deux ans de pontificat. Quelques-uns Jerufalem difoient qu'il avoit été empoisonné; & il paffoit pour G. Tyr.x111. Foulques roi. conftant, que le roi Baudouin l'étant venu voir pendant 6. 25.

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