roi par le préfet de Rome & par quelques nobles, au nom de toute la ville, une lettre où ils le prient de prendre la AN. 1130, protection d'Anaclet,s'il veut être reconnu empereur àRome; & fe plaignent du mépris qu'il leur a témoigné, n'ayant point répondu aux deux lettres du pape ; ajoutant que c'est la raifon pour laquelle il ne lui a point encore envoyé de légat. La lettre eft du dix-huitième de Mai.

Anaclet n'en ufa pas avec la même réserve à l'égard du roi de France: il lui envoya d'abord un légat; favoir Otton évêque de Todi, avec une lettre en date du premier de Mai, où il témoigne avoir grande confiance en l'amitié de ce prince, de qui il dit avoir été aimé dès l'enfance & élevé avec affection. Ce qui fans doute fe rapporte au féjour qu'il avoit fait à Paris pour fes études. Il fe remet à fon légat pour inftruire le roi de ce qui regarde fa promotion & le fchifme. Il chargea le même légat de plufieurs au- Epift. 8 tres lettres aux prélats & aux feigneurs de France: dans l'une defquelles il donne pouvoir à fon légat d'y célébrer des conciles, & rend ce témoignage à l'églife Gallicane, qu'elle n'a jamais été infectée d'aucune erreur ni d'aucun fchifme. Toutes ces lettres font du premier jour de Mai. En même temps il envoya un autre légat en Aquitaine; favoir Gregoire diacre cardinal, chargé d'une lettre très-obligeante pour l'abbé & les moines de Clugni, où il déclare qu'il a prononcé anathème contre ceux qu'il traite de fchifmatiques, après les avoir cités trois & quatre fois pour rendre compte de leur conduite. Le même Gregoire fut chargé de la commiffion d'Anaclet, par laquelle il faifoit fon légat Gerard évêque d'Angoulême, comme il l'avoit été 13. ad an. fous le pape Pafcal & fes fucceffeurs Gelafe, Callifte & 1136 p. 90% Honorius. Ce prélat étoit Normand du diocèfe de Bayeux, Arnulf. Sag. homme favant & éloquent dans les deux langues, c'eft- cil. p. 343. à-dire en latin & en françois, d'une grande réputation & d'un grand crédit à Rome; & il avoit témoigné fon zèle contre la vie fcandaleufe de Guillaume duc d'Aquitaine. Après la mort d'Honorius il reconnut d'abord

Order. lib

tom. 1. Spi

le pape Innocent, & lui demanda la continuation de Ibid. p. 355, fa légation, qui lui ayant été refufée, il embraffa le parti d'Anaclet, dont il fut le principal appui deçà les Monts. Anaclet envoya auffi un légat à l'empereur de epift. 14. de Conftantinople, comme il paroît par fa lettre à l'évêque

de Drivasto en Albanie: enfin il écrivit au roi de Jéru

AN. 1130.

matique.

Chr. Bencv.

Baron.

falem. Mais tous ces mouvemens furent fans effet pour l'Orient.

En Italie toutefois il fut reconnu par Roger duc de CaRoger,roi de labre. Car Anaclet alla cette année 1130 à Benevent, & Sicile, fchif de là à Avelline, où il traita avec ce duc, lui donna fa fœur Chr. Caff. en mariage, & lui accorda le titre de roi de Sicile, avec 1V. c. la permiffion de fe faire couronner par les archevêques du & dipl. ap. pays affiftés des autres évêques. Ils lui donna auffi la principauté de Capoue & la feigneurie de Naples; & à fa prière Gang. Gloff. il permit à l'archevêque de Palerme de facrer trois évêques de Sicile, favoir: ceux de Syracufe, de Gergenti, & de Mazare ou de Catane; le tout à la charge de faire hommage au pape, & de lui payer tous les ans fix cents fchifates c'étoit une monnoie d'or portant la figure d'une coupe. La bulle eft du vingt-feptième de SeptemSap. liv. bre 1130, & c'eft le premier titre du royaume de SiciLXVI. n. 55. le. Ceux qui ne veulent pas que le droit de légation, nom

Baron, hic.

IV.

gues de Gre

noble.

S. Hug, c. 5.

1. Apr.

mé la monarchie de Sicile, ait été accordé par Urbain HI, en rapportent l'origine à cette conceffion de l'antipape Anaclet. Il envoya cette même année en Sicile le cardinal Comti, qui couronna Roger roi à Palerme le jour de Noël.

Le pape Innocent de fon côté envoya des nonces pour Fin de S. Hu- inftruire l'églife Gallicane de ce qui s'étoit paffé, & exhorter les évêques à condamner le fchifme; puis il vint luiErnold. vita même en France. Mais avant qu'il arrivât, faint Hugues S. Bern. lib. évêque de Grenoble vintau Pui avec d'autres évêques, nonobftant fes infirmités & fon grand âge; car il avoit environ foixante-dix-huit ans. Il favoit certainement que Pierre Boll, tom. 9. de Leon n'avoit point été élu pape par fon mérite, mais par le crédit de fa famille & par la violence. C'eft pourquoi il n'eut aucun égard aux refpects & aux bons offices que Pierre & fon père lui avoient autrefois rendus: mais n'ayant en vue que la juftice & le bien de l'églife, il l'excommunia dans ce concile avec les autres évêques comme fchifmatique: & cette excommunication fut d'un grand poids à caufe de l'autorité de faint Hugues.

P. 44.

Quelques années auparavant ce faint prélat avoit envoyé des députés au pape Honorius, pour lui demander la permiffion de quitter son fiége. Ce defir, qu'il avoit eu dès le commencement de fon épifcopat, lui dura toute fa vie: mais il augmenta à mefure qu'il vit croître fon âge & fes

infirmités. Il fe regardoit comme un ferviteur inutile, qui occupoit la place d'évêque, en recevoit les honneurs & AN. 1130. les revenus, fans en avoir le mérite ni en faire les fruits. Le pape Honorius n'eut toutefois aucun égard à fa demande; & renvoya fes députés avec des lettres de confolation, où il l'exhortoit à perfévérer. Hugues ne fe rebuta pas: il alla lui-même à Rome, & conjura le pape qu'il lui permît d'achever fa vie en repos, & qu'il donnât un meilleur pafteur à l'église de Grenoble; mais le pape demeura perfuadé que, par fon autorité & fon bon exemple, il pouvoit être plus utile à fon troupeau que tout autre. Il lui accorda donc ce qu'il demandoit d'ailleurs, le confola autant qu'il put & le renvoya avec honneur.

L'excommunication de l'antipape Anaclet fut la dernière action remarquable de faint Hugues. Depuis ce temps fes infirmités allèrent toujours croiffant ; & il perdit la mémoire, excepté pour les chofes fpirituelles. Enfin il mourut le vendredi avant le dimanche des Rameaux, qui étoit le premier jour d'Avril 1132, âgé au moins quatre-vingts ans, la cinquante-deuxième année de fon épifcopat. Trois évêques affiftèrent à fes funérailles: Geoffroi de Chartres qui l'étoit venu vifiter dans fa maladie, Ulric de Die, difciple, du faint, & Hugues Chartreux qu'il avoit fait ordonner de fon vivant évêque de Grenoble. Ses fucceffeurs pendant plus d'un fiècle furent auffi tirés de la Chartreufe. Saint Hugues fut canonifé deux ans après fa mort par le pape Innocent II, & l'églife honore fa mémoire le jour de fa mort.

Gall. Chr.

Martyr. Rom. 1. Apr.

C. I.

Le roi de France Louis-le-Gros, ayant appris ce qui s'étoit paffé à Rome, indiqua un concile à Estampes, pour examiner lequel des deux prétendus papes étoit élu le plus canoniquement. Saint Bernard fut nommément appelé à ce concile par les rois & par les principaux évêques; & il fe miten chemin avec une grande crainte connoiffant le péril & l'importance de l'affaire.Mais il fut confolé pendant le voyage par un fonge, où il vit une grande églife dans laquelle on chantoit de concert les louanges de Dieu: ce qui lui fit efpérer fermement la paix. Quand le concile fut affemblé à Eftampes, après le jeûne & les prières, le roi s'étant affis avec les évêques & les feigneurs pour délibérer de cette grande affaire: ils convinrent tous d'un commun accord de s'en rapporter à l'abbé Bernard & d'en paffer par fon avis.

V.

Conciled'Ef tampes.

Sug. vita Lud. p. 317. Ernold. lib..

11. vitaBern.

N. 1130. Il accepta cette commiffion par le confeil de quelques amis fidelles, mais en tremblant; & ayant foigneufement examiné la forme de l'élection, le mérite des électeurs, la vie & la réputation de celui qui avoit été élu le premier : il déclara qu'Innocent devoit être reconnu pape, & toute l'affemblée y applaudit. On chanta les louanges de Dieu felon la coutume: tous foufcrivirent à l'élection d'Innocent & lui promirent obéiffance.

VI.

France.

c. 18.

fut Cependant le pape Innocent étant arrivé à Pife, y Innocent en reçu avec tout l'honneur poffible. Il y féjourna quelque temps, & régla avec autorité plufieurs affaires, tant dans cette ville, que dans le refte de la Tofcane. Enfuite il prit congé des Pifans; les remercia de leurs bons offices; & s'étant rembarqué il paffa à Gênes & aborda à faint Gilles en ProOtto Frif.vii. vence. De-là-il vint à Viviers, au Pui en Auvergne, & à Clermont où il tint un concile, & reçut Conrad archevêque de Salsbourg & Eribert de Munster, envoyé du roi Lothaire. Le pape vint enfuite à Clugni, dont les moines, ayant appris fon arrivée en France, lui avoient envoyé foixante chevaux ou mulets, avec tout l'équipage convenable, tant pour lui, que pour les cardinaux & leur Oder. lib. 13. fuite. Ils retinrent le pape onze jours; & il dédia leur P. 895. nouvelle églife en l'honneur de faint Pierre, le même jour qu'Urbain II en avoit dédié le grand autel trenteInnoc.ep. 27. cinq ans auparavant : c'eft-à-dire le vingt-cinquième d'OcSup. Liv. tobre. Cette réception donna au pape Innocent une grande LXIV. 11. 27. autorité dans tout l'Occident, quand on vit que ceux de qui avoit Clugni l'avoient préféré à Pierre de Leon

été moine chez eux.

Tandis que le pape étoit à Clugni, le roi Louis envoya l'abbé Suger lui faire fes premiers complimens; puis il s'avança lui-même avec la reine & les princes fes enfans jufques à faint Benoît fur Loire, où il se profterna à ses pieds & lui offrit fes fervices, à lui & à l'églife. Plufieurs évêques vinrent auffi au-devant du pape; entre autres Geoffroi Vit. Bern. de Chartres, qui le conduifit à fa ville. Cependant S. Berlib. 11. c. 1. nard étoit allé trouver le roi d'Angleterre Henri, pour lui perfuader de reconnoître le pape Innocent, de qui fes évêques le détournoient. Comme ce prince ne pouvoit s'y réfoudre, le faint abbé lui dit que craignez-vous? eft-ce de commettre un péché, fi vous obéiffez à Innocent? Songez comment vous rendrez compte à Dieu de vos autres

:

Aaa ap.
Ba-

on.

Vita Lud. p. 318.

péchés : je prens fur moi celui-ci. A ce mot le roi fe ren

dit, & fortit des terres de fon obéiffance pour venir à Char- AN. 1130. tres trouver le pape, avec une grande fuite d'évêques & de seigneurs. Ainfi fuivant l'exemple du roi de France, il fe profterna aux pieds d'Innocent, & lui promit obé.flance filiale pour lui & pour fes fujets : c'étoit le treizième de Janvier 1131. Il le mena enfuite à Rouen, où il lui fit des préfens, & lui en fit faire par les feigneurs, & même par 13. p. 895, les Juifs.

Orderic. I.

Malmesb.

VII.

connu en Al

M.S. Ma

.

Innocent avoit envoyé en Allemagne, vers le roi Lothaire, Gautier archevêque de Ravenne, fon legat. Il fe Innocent retrouva à un concile de feize évêques, que ce prince affem- lemagne bla à Virsbourg au mois d'Octobre 1130; & là le раре Chr. Magd. Innocent fut élu & confirmé par le roi Lothaire & par bill. praf in tous les affiftans. Les légats du pape, étant donc revenus Bern. n. 41. d'Allemagne, lui apportèrent des lettres, par lefquelles le roi & les évêques le prioient, au nom de toute la nation, de venir les honorer de fa préfence: mais l'affection & la dévotion de l'églife de France l'y retint quelque temps. Après l'avoir vifitée comme l'occafion le demandoit, il paffa en Lorraine & vint à Liège, où il y eut une affemblée très-célèbre d'évêques & de feigneurs, le dimanche avant la mi-carême, vingt-deuxième de Mars 1131. Le roi Lothaire y étoit avec la reine fon époufe; & comme on vint en proceffion recevoir le pape, il s'avança à pied dans la place devant l'églife cathédrale, tenant d'une main une verge pour écarter le peuple, & de l'autre la bride du cheval blanc que montoit le pape, à qui il fervoit ainfi d'écuyer; & il le foutint lorsqu'il defcendit de cheval. En ce concile de Liège, Ctton, évêque d'Alberf tat, déposé par le pape Honorius trois ans auparavant, fut rétabli à la prière du roi & des feigneurs.

Le roi Lothaire, voulant profiter de l'occafion, preffa le pape de lui rendre les inveftitures que l'empereur Henri fon prédéceffeur avoit cédées, avec les difficultés que nous avons vues. Les Romains pâlirent à cette propofition: croyant Sup. I. LXVL avoir trouvé à Liège un plus grand péril que celui qu'ils "- 5. avoient évité à Rome; ils ne favoient quel parti prendre, quand faint Bernard, qui étoit préfent, s'oppofa hardiment à la prétention du roi, montra la malignité de la propofition, & appaifa le différent avec une autorité merveilleuse.

VIII.

Le pape Innocent à S.

De Liège le pape revint en France & célébra à l'abbaye Denis.