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NOTICE

SUR GRATIUS FALISCUS.

OVIDE est le seul, parmi les anciens, qui nous ait transmis le nom de Gratius et le sujet de son poëme :

Aptaque venanti Gratius arma daret.

(Pont. lib. IV, eleg. 33.)

Quant au lieu dé sa naissance, il nous a été révélé par Gratius lui-même; il était du pays des Falisques :

At contra nostris imbellia lina Faliscis.

(Cyneg., v. 40.)

Peut-être Manilius fait-il allusion au poëme de Gratius, dans un passage où il dit que d'autres ont chanté les guerres contre les bétes fauves. On ne connaît du moins aucun ouvrage que Manilius ait pu avoir en vue, si ce n'est celui de Gratius.

Né au siècle d'Auguste, ce poëte, qui est resté aussi longtemps inconnu que Phèdre, appartient, comme lui, par son génie et sa diction, à la plus belle époque de la langue latine. En quelques pages, il embrasse tout ce qui a rapport à l'exercice de la chasse. Le plan de son ouvrage, divisé en deux parties, est simple et régulier. Dans la première, il décrit les différentes espèces d'armes qui conviennent au chasseur; dans la seconde, il parle des chiens et des chevaux.

Loin d'être au-dessous de la matière qu'il traite, Gratius, comme Lucrèce dans son poëme de la Nature, et comme Virgile dans ses Géorgiques, en a su vaincre les difficultés, et s'est élevé même quelquefois à la hauteur de ces deux modèles par l'heureuse énergie de ses expressions et par l'harmonieuse précision de ses vers. Toutefois, sa jeune muse ne se maintient pas toujours dans les bornes de la sagesse et de la raison; vous reconnaissez en elle la verve impétueuse et les écarts séduisants de Lucain.

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Le style est la plus louable partie de l'ouvrage de Gratius. Il s'en est fait un qui n'appartient qu'à lui, riche en pensées, fécond en images, hardi, rapide, plein de vie et de mouvement. Une touche large et savante, une couleur originale, les coupes, la cadence et l'énergie de ses vers, lui assignent une place honorable parmi les poëtes qui ont reçu le feu sacré. Sa diction néanmoins ne se soutient pas à un égal degré de perfection; elle est pure, mais on lui reproche un peu d'obscurité, et certains termes dont la signification ne se trouve pas ailleurs. Passionné pour son art et pour la matière qu'il traite, Gratius lui communique souvent les brusques allures et les bonds audacieux des bêtes fauves dont il décrit la chasse. Aussi arrive-t-il parfois que sa fougue l'égare, et dérobe au traducteur la trace de ses pas. Il s'élance, pour ainsi dire, par soubresauts à travers des bois sombres, dans de profonds précipices, sur des rochers abruptes et sauvages. Mais qu'il est beau, qu'il est brillant quand il regagne la plaine ! Quel élan vigoureux et soutenu! Quelle justesse, quelle variété, quelle harmonie dans tous ses mouvements! Il vous entraîne avec lui dans sa course rapide, et vous conduit à son but par des sentiers couverts de fleurs.

Telle est la marche, telle est la diction de Gratius. Vous retrouvez en lui le génie abondant et facile des plus heureux siècles. Il n'a rien de commun, rien de faux; tout s'enchaîne dans son poëme avec autant de grâce que de dignité. Il approche de Virgile. On admire en lui une imagination brillante, une érudition pleine de goût, un jugement exquis, un style mâle et nerveux, parfaitement adapté à son sujet. Un des plus savants critiques, Nicolas Heinsius, est ravi de son élégance et de sa douceur : Miram medius fidius præ se fert elegantiam et suavitatem Gratius. Il ne peut s'empêcher, dit-il, de se familiariser avec lui, et de respirer souvent le parfum de sa poésie : Ut continere jam olim me non potuerim, quin familiarem mihi redderem hunc poetam, et ab ejus ore frequenter penderem.

Pour justifier l'admiration que ce poëte inspire, parcourons quelques-unes des beautés qu'il a répandues dans son ouvrage. Aimez-vous les termes hardis et les expressions énergiquement figurées? Gratius vous montrera une montagne entr'ouvrant sa

poitrine (Ruptoque e pectore montis, v. 444); Vulcain porté sur l'aile des vents et sur un torrent de flammes (Ovans austris, et multo flumine flammæ, v. 445). Une meute de chiens prend dans ses vers le nom d'armée (exercitus ingens, v. 370); un combat sans armes est représenté par Mars nu (nudo Marte, v. 153); l'air, par freta (v. 64); les plumes argentées du cygne, par nivei vellera cygni (v. 77) ; le chanvre, par cannabiæ silvæ (v. 47), et le lin, par stupea messis (v. 36). La Lydie a des veines d'or (fluvialibus aurea venis, v. 316); des dents aiguës sont comme une forêt d'épis (spicant dentes, v. 118); les blessures que les chiens reçoivent à la chasse sont des blessures guerrières (Mavortia bello vulnera, v. 344); les bêtes sauvages s'appellent silva, et la violence des coups qu'elles reçoivent, vulneris ira.

Le lévrier part plus rapide que la pensée et que la flèche ;

Ocior affectu mentis pinnaque cucurrit.

(v. 204.)

Il dévore la trace du gibier, et aspire l'air avec force :

Aut ipsa infodiens uncis vestigia plantis

Mandit humum, celsasve apprensat naribus auras.

(v. 238.)

Un jeune chien de chasse établit son empire sur ses frères à la mamelle. Rien de plus poétique et de plus gracieux que cette peinture:

Jamque illum impatiens æquæ vehementia sortis

Extulit affectat materna regna sub alvo;

:

Ubera tota tenet.

(v. 292.)

La rage fait sentir ses terribles effets. Un vers d'une effrayante énergie suffit pour les exprimer :

Estivos vibrans accensis febribus ignes.

(v. 389.)

Le chasseur doit être bien armé. Ici l'harmonie est ferme, éclatante et rude comme le sujet :

Ima Toletano,præcingant ilia cultro ;

Teribilemque manu vibrata falarica dextra

Det sonitum, et curva rumpant non pervia falce.

(v. 341.)

Quelle grâce et quelle décence dans l'accouplement du tigre et

de la lice d'Hyrcanię! Vous croyez lire un passage du quatrième chant de Lucrèce :

Dat Venus accessus, et blando fœdere jungit.
Tunc et mansuetis tuto ferus errat adulter
In stabulis, ultroque gravis succedere tigrim
Ausa canis, majore tulit de sanguine fœtum.

(v. 163.)

Vous avez admiré la description du cheval dans Virgile; celle du chien de chasse, dans notre poëte, ne lui est pas inférieure. Mêmes coupes, même cadence, avec plus de hardiesse peut-être : Sint celsi valtus, sint hirtæ frontibus aures, Os magnum, et patulis agitatos morsibus ignes Spirent, adstricti succingant ilia ventres, Cauda brevis, longumque latus, discretaque collo Cæsaries, non pexa nimis, non frigoris illa Impatiens; validis tum surgat pectus ab armis, Quod magnos capiat motus, magnisque supersit.

(v. 269.)

Trois épisodes agréables et touchants couronnent l'œuvre du poëte la fête de Diane, la caverne de Vulcain, et les pernicieux effets du luxe.

Aucun poëte, avant Gratius, n'avait traité le sujet de la chasse. Pour diriger son libre essor il n'eut que Xénophon; car Némésien et Oppien parurent deux siècles après lui. Osons donc le dire, en rendant à chacun ce qui lui est dû : Xénophon, dans son Traité sur la chasse, brille par sa vaste érudition; Némésien et Oppien, dans leurs poëmes sur le même sujet, se distinguent, l'un par son imagination exubérante, l'autre par l'élégance et la pureté de son style: mais, auprès de Gratius, on les trouve parfois prolixes, froids et languissants.

C.-D.

GRATII FALISCI

CYNEGETICON.

DONA cano divum', lætas venantibus artes,
Auspicio, Diana, tuo. Prius omnis in armis 2
Spes fuit, et nuda silvas virtute 3 movebant
Inconsulti homines, vitaque erat error in omni;
Post alia propiore via, meliusque profecti,
Te sociam, Ratio, rebus sumpsere gerendis.
Hinc omne auxilium vitæ, rectusque reluxit
Ordo, et contiguas didicere ex artibus artes
Proserere4; hinc demens cecidit violentia retro.

SED primum auspicium deus artibus, altaque circum
Firmamenta dedit; tum partes quisque sequutus
Exegere suas, tetigitque industria finem.

Tu trepidam bello vitam, Diana, ferino,

Qua primam quærebat opem, dignata repertis
Protegere auxiliis, orbemque hac solvere noxa.
Adscivere 5 tuo comites sub nomine divæ

Centum omnes nemorum, centum de fontibus, omnes
Naides, et Latii cultor qui Faunus amœni,

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