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même. Les terreurs cruelles marchent toujours devant nous; la solitude nous trouble, les ténèbres nous alarment; nous croyons voir sortir de tous côtés des fantômes qui viennent toujours nous reprocher les horreurs secrètes de notre âme; des songes funestes nous remplissent d'images noires et sombres; et le crime, après lequel nous courons avec tant de goût, court ensuite après nous comme un vautour cruel, et s'attache à nous pour nous déchirer le cœur, et nous punir du plaisir qu'il nous a lui-même donné. »

SUR LA FORCE D'AME.

Ces six vers qui nous restent de la quatrième ode de Spurinna nous sont parvenus dans un si triste état, qu'on pourrait plutôt les appeler un débris qu'un fragment. Ils sont comme un corps sans pieds ni tête et presque sans âme. Toutefois, une pensée y domine, c'est que le sage doit résister avec énergie aux coups de

la Fortune.

1.Desidii (v. 1). Quoique desidium ne soit pas latin, et qu'on ne dise que desidia, le sens exige impérieusement qu'on laisse desidii à la place de desidiæ, à moins qu'on n'admette ces consonnances vicieuses :

Ingratæ nebulæ desidiæ.

Horace avait déjà appliqué l'épithète ingrato à otio dans sa prédiction de Nérée. Spurinna paraît blâmer ici la lâcheté : Nebulæ desidii ingrati circumstant caput trepidum, c'est-à-dire, en traduisant mot à mot, « les nuages de l'indolence importune environnent une tête lâche. » Dans les vers suivants, il parle de l'aveuglement du Destin, qui opprime le juste et fait prospérer le méchant. En conséquence, il cherche à fortifier le cœur de l'homme vertueux, et l'engage à supporter le malheur avec fermeté. J.-B. Rousseau, dans son ode à la Fortune, développe ces idées, qui sont à peine indiquées dans le trop court fragment de Spurinna :

Apprends que la seule sagesse
Peut faire les héros parfaits;
Qu'elle voit toute la bassesse
De ceux que ta faveur a faits;
Qu'elle n'adopte point la gloire
Qui naît d'une injuste victoire

Que le sort remporte pour eux;
Et que, devant ses yeux stoïques,
Leurs vertus les plus héroïques
Ne sont que des crimes heureux.

L'effort d'une vertu commune
Suffit pour faire un conquérant;
Celui qui dompte la fortune
Mérite seul le nom de grand.
Il perd sa volage assistance
Sans rien perdre de la constance
Dont il vit ses honneurs accrus;
Et sa grande âme ne s'altère
Ni des triomphes de Tibère,
Ni des disgrâces de Varus.

En vain une fière déesse
D'Énée a résolu la mort;
Ton secours, puissante sagesse,
Triomphe des dieux et du sort.
Par toi Rome, au bord du naufrage,
Jusque dans les murs de Carthage,
Vengea l'honneur de ses guerriers;
Et, suivant tes divines traces,
Vit, au plus fort de ses disgrâces,
Changer ses cyprès en lauriers.

2. Sors nimia in probos (v. 2). Dans les auteurs du second et du troisième siècle après Auguste, on trouve fréquemment nimius avec le sens de severus, ferox, insolens. Par exemple, on lit dans Tacite : Præferoces initio, et rebus secundis nimii (Hist., lib. iv, c. 23); dans Velleius Paterculus : Jam nimius reipublicæ (lib. 11, c. 32); et dans une lettre de Valérien : Nimius est, multus est, gravis est, et ad nostra jam non facit tempora (Apud Vopisc. Aurel. c. vIII).. Incesti ausus (v. 3). Attentats sacriléges.

3. 4.

Multum turba tenax (v. 5). Il est facile d'ajouter une épithète telle que impavidæ pour compléter ce vers. Quant au septième, tous les commentateurs ont renoncé à le refaire, quoique le sens ne présente aucune difficulté.

Le ton grave et sententieux de ce fragment le rapproche de la première et particulièrement de la seconde ode du troisième livre d'Horace, qui renferme des préceptes moraux adressés aux Romains. En voici la traduction; on pourra comparer : « Que le jeune

Romain, endurci aux travaux de la guerre, apprenne à souffrir avec courage les rigueurs de la pauvreté; que, ta lance à la main, cavalier formidable, il s'acharne à poursuivre le Parthe orgueilleux; qu'il brave les injures de l'air et vive dans les alarmes. Que l'épouse du tyran ennemi, que sa fille, à la veille de l'hymen, l'apercevant du haut de ses remparts, s'écrie avec douleur: « Hélas! puisse mon royal époux, novice dans les combats, ne pas pro" voquer ce lion terrible que la soif du sang entraîne au milieu « du carnage! »

་་

« Il est doux, il est glorieux de mourir pour sa patrie. La mort poursuit le déserteur, et s'attache aux pas d'une timide jeunesse qui tourne lâchement le dos.

« La vertu ne connut jamais la honte d'un refus : elle brille d'un pur éclat, et ne prend ni ne dépose les faisceaux au souffle inconstant de la faveur populaire; la vertu ouvre les cieux aux héros dignes de l'immortalité; elle se fraye des routes inaccessibles, et, dans son noble essor, dédaigne cette fange où rampe le vulgaire.

« Il est aussi un prix assuré à la discrétion. Non, jamais l'homme qui aura trahi les mystères de Cérès ne partagera ma demeure, et ne s'embarquera avec moi sur un frêle esquif. Souvent Jupiter outrage frappe l'innocent avec le coupable; rarement Némésis, malgré sa marche chancelante, manque d'atteindre le crime qui fuit devant elle. »

SULPICIUS

LUPERCUS SERVASTUS

JUNIOR

TRADUCTION NOUVELLE

PAR M. CABARET-DUPATY

Professeur de l'Université.

NOTICE

SUR LUPERCUS SERVASTUS

JUNIOR.

UNE élégie ou plutôt une satire sur la Cupidité, une ode sur le Temps, et une douzaine de vers sur les Avantages de la vie privée, voilà tout ce que nous possédons de Sulpicius Lupercus Servastus. Quelques passages de sa pièce sur la Cupidité ont fait présumer que ce poëte était un maître d'éloquence chez lequel les jeunes Romains allaient s'exercer aux déclamations du barreau, et qu'il vécut dans les dernières années de l'empire d'Occident, lorsque les lettres avaient déjà ressenti les funestes atteintes de la barbarie. Ce triste état des lettres est l'objet des plaintes de Lupercus. Il s'emporte contre l'insatiable passion des richesses, pour nous montrer qu'à son époque le dépérissement de l'éloquence était dû principalement à cette soif de l'or, et que si la littérature avait entièrement perdu son prix, c'est qu'elle trouvait bien peu de partisans qui pussent en rétribuer les leçons. Aussi devons-nous être moins surpris qu'il termine sa pièce par la hideuse peinture d'un rhéteur affamé, qui joint un langage ridicule à un extérieur misérable. Les beaux-arts ne font plus l'ornement et la gloire d'un siècle, lorsque les artistes provoquent euxmêmes le mépris du public.

Les trois strophes que Lupercus nous a laissées sur le Temps, semblent être les anneaux détachés d'une longue chaîne, ou plutôt une ébauche d'atelier de peinture qui annonce l'étude et l'imitation des bons modèles. Le style en est ferme et pur; mais les idées que comportait un pareil sujet sont à peine effleurées. Le poëte n'a pas saisi l'analogie qui existe entre le Temps personnifié et la Mort. Il aurait pu nous montrer cet inexorable vieillard secouant sur l'univers ses ailes immenses, chassant devant lui les jours, les mois, les années, frappant indistinctement toutes les

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