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Virgile les peint couverts de sang :

· Gaudent perfusi sanguine fratrum.

(Georg. lib. II, v. 510.)

Un frère égorge un frère, et va, sous d'autres cieux,
Mourir loin des lieux chers qu'habitaient ses aïeux.

(DELILLE.)

Il met dans les enfers celui qui a vendu sa patrie au poids de l'or:

Vendidit hic auro patriam, dominumque potentem

Imposuit; fixit leges pretio, atque refixit.

(Æn. lib. IV, v. 621.)

Corneille a tracé aussi dans deux vers énergiques le plus monstrueux des crimes qu'enfante la cupidité :

10.

Le fils, tout dégouttant du meurtre de son père,
Et, sa tête à la main, demandant son salaire.

Istud (v. 21). Il faut sous-entendre lucrum. Dans sa belle ode, Justum et tenacem, etc., Horace recommande à Rome de faire éclater sa grandeur dans le mépris de l'or, plutôt que dans une insatiable cupidité qui dépouille tous les autels: Omne sacrum rapiente dextra.

Il dit encore ailleurs :

"

.Quid nos dura refugimus

Etas? quid intactum nefasti

Liquimus ? unde manum juventus

Metu deorum continuit? quibus

Pepercit aris?

(Carm. lib. I, ode 35.)

Siècle de fer, devant quel forfait avons-nous reculé ? quel attentat nous reste-t-il à commettre? quel sacrilége la crainte des dieux a-t-elle épargné à nos soldats? quel autel ont-ils respecté ? »

11.

12.

· Hoc cœlo jubeas (v. 22). Imitation de Juvénal :

Græculus esuriens in cœlum, jusseris, ibit.

(Sat. 111, v. 78.)

Mirum ni pulchras artes (v. 23). Horace avait aussi blâmé les jeunes Romains qui négligeaient les études sérieuses pour se livrer aux calculs de l'intérêt :

་་

Qu'apprennent les jeunes Romains? à diviser l'as en cent parties. Réponds, fils d'Albinus: Si de cinq onces j'en ôte une, que reste-t-il? Belle question! un tiers de livre. A merveille! tu sauras conserver ton bien. Et si à cinq onces j'en ajoute une, combien aurai-je? - Une demi-livre. Quand cette gangrène, quand ce

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sordide intérêt a une fois infecté les esprits, nous flatterons-nous de voir éclore des vers dignes d'être parfumés d'huile de cèdre et conservés dans des boîtes de cyprès ? » (Art. poét.)

13.

Honestum rumpere fœdus (v. 27). L'instituteur contracte un pacte sacré avec les familles; il les représente auprès des enfants qui lui sont confiés; il est chargé à la fois d'éclairer leurs esprits et de former leurs mœurs. Sa profession est donc une espèce de sacerdoce. La régularité de sa vie doit confirmer la pureté de sa doctrine, et la gravité de son caractère donner du poids à son enseignement. Le précepte que Boileau donne au poëte convient également à l'instituteur :

Que votre âme et vos mœurs, peintes dans vos ouvrages,
N'offrent jamais de vous que de nobles images.

Il faut
que la vertu soit chez lui inséparable de la science. C'est
l'idée qu'en avaient les anciens quand ils définissaient l'orateur :
« Un homme de bien qui possède le talent de la parole, vir bonus
dicendi peritus. » Le plus éloquent de tous les discours est celui
auquel la vertu prête ses charmes et son inimitable accent. Ce
qu'on a dit de la poésie s'applique aussi bien à la prose:

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Le vers se sent toujours des bassesses du cœur.

14. Romani sermonis egens (v. 29). Description burlesque d'un méprisable rhéteur, qui estropie aussi ridiculement la prononciation que la langue qu'il enseigne, et dont l'extérieur, contraire à toute bienséance, contraste misérablement avec la dignité de son état.

15. · Spes grata nepotum (v. 31). On doit entendre par ces mots les enfants eux-mêmes qui reçoivent l'éducation. Ils sont l'espoir de leurs familles et de leur patrie.

16.

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Nostri honoris (v. 32). Il semble que l'auteur veuille parler ici de la tenue honorable de l'instituteur, de sa mise décente, en un mot, de tout son extérieur.

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17. Ambusti torris species (v. 33). La traduction littérale de cette expression eût manqué de noblesse et de clarté. Le poëte compare un visage maigre, sec et laid, à une bûche durcie au feu, à un tison, à un cotteret. Le français a dû reculer devant une image aussi bizarre.

18. Casaque labra tument (v. 38). J'ai présumé que cœsa signifiait simplement rasé, coupé. Il m'a semblé que les mots cæsa labra, lèvres nues, étaient en rapport avec ceux-ci : os nudum,

« bouche dégarnie de dents. » Horace blâme aussi (Épít., liv. 1, ép. 18, v. 7), comme indécentes, les figures rasées, tonsa cute. 19. Decolor, immanis species (v. 41). Le texte, qui portait Discolor in manibus, était probablement altéré; nous avons accueilli sans difficulté la leçon de Schrader, approuvée par Burmann et par M. Lemaire.

SUR LE TEMPS.

Cette pièce, composée de trois strophes, est moins une ode que le commencement d'une ode. En effet, un aussi vaste sujet que celui du Temps comportait de riches développements et une longue étendue. C'est un lieu commun où le poëte ne peut être embarrassé que sur le choix des tours, des mouvements et des images. Nous avons sur ce chapitre, en prose comme en vers, des pièces remarquables dont nous citerons quelques fragments.

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1. Longo solvitur usu (v. 4). « Tout ce qu'on voit de plus pompeux et de mieux établi sur la terre, dit Massillon, l'ouvrage que d'une scène. Qui ne le dit tous les jours dans le siècle? Une fatale révolution, une rapidité que rien n'arrête, entraîne tout dans les abîmes de l'éternité : les siècles, les géné– rations, les empires, tout va se perdre dans ce gouffre; tout y entre, et rien n'en sort. Nos ancêtres nous en ont frayé le chemin, et nous allons le frayer dans un moment à ceux qui viennent après nous. Ainsi les âges se renouvellent, ainsi la figure du monde change sans cesse; ainsi les morts et les mourants se succèdent et se remplacent continuellement. Rien ne demeure, tout s'use, tout s'éteint. Dieu seul est toujours le même, et ses années ne finissent point. » (Discours prononcé à une bénédiction de drapeaux du régiment de Catinat.)

On relit avec plaisir ces vers de J. Chénier sur le même sujet :

Ici-bas tout s'éteint : les conquérants périssent;

Sur le front des héros les lauriers se flétrissent; Des antiques cités les débris sont épars; Sur des remparts détruits s'élèvent des remparts; L'un par l'autre abattus, les empires s'écroulent; -Les peuples entraînés, tels que des flots qui roulent, Disparaissent du monde, et les peuples nouveaux Iront presser les rangs dans l'ombre des tombeaux. Platon avait dit que le temps mobile est l'image de l'éternité immobile. J.-B. Rousseau a fait ressortir cette belle image dans les

.

vers suivants, que La Harpe met au nombre des plus beaux qu'on ait faits dans aucune langue :

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L'ode de Thomas sur le Temps, couronnée par l'Académie française, en 1722, méritait de l'être par les beautés réelles qui en rachètent les défauts. La strophe suivante n'est pas moins sublime que celle de J.-B. Rousseau :

2.

Du Chaos tout à coup les portes s'ébranlèrent :

Des soleils allumés les feux étincelèrent.
Tu naquis; l'Éternel te prescrivit ta loi.
Il dit au mouvement: Du temps sois la mesure;
Il dit à la Nature :

Le temps sera pour vous, l'éternité pour moi.

Insueta valle (v. 5). Le poëte a mis valle pour alveo. Quintilien (Instit. orat., liv. v, ch. 14) s'est servi de la même image dans la comparaison suivante, au sujet de l'éloquence Non uti fontes angustis fistulis colliguntur, sed, ut latissimi amnes, totis vallibus fluat.

:

3. Mutat et rectos via certa cursus (v. 6). «L'homme et ses œuvres, a dit Horace, payent leur tribut à la mort. Cette œuvre digne d'un roi, ce port superbe qui met nos flottes à l'abri de l'aquilon ; ce marais qui, longtemps stérile et sillonné par la rame, nourrit aujourd'hui les cités voisines et s'ouvre au soc de la charrue; ce fleuve dont le cours, jadis si funeste aux moissons, apprit à suivre une meilleure route; tous les ouvrages des mortels périront comme eux. » Debemur morti nos nostraque; sive receptus

Terra Neptunus classes Aquilonibus arcet,
Regis opus; sterilisque diu palus, aptaque remis
Vicinas urbes alit, et grave sentit aratrum;
Seu cursum mutavit iniquum frugibus amnis;
Doctus iter melius: mortalia facta peribunt.

(Artis poet. v. 63-68.)

Le passage suivant d'Ovide paraît être le développement de la même pensée :

Nil equidem durare diu sub imagine eadem
Crediderim. Sic ad ferrum venistis ab auro,
Sæcula; sic toties versa es, Fortuna locorum.
Vidi ego, quod fuerat quondam solidissima tellus,
Esse fretum; vidi factas ex æquore terras;
Et procul a pelago concha jacuere marinæ,
Et vetus inventa est in montibus anchora summis.
Quodque fuit campus, vallem decursus aquarum
Fecit, et eluvie mons est deductus in æquor;
Eque paludosa siccis humus aret arenis;

Quæque sitim tulerant, stagnata paludibus hument.

(Metam. lib. XV, v.259.)

4.- Rupta quum cedit (v. 7). Nul poëte n'a représenté plus poétiquement que Virgile les ravages d'un fleuve débordé :

--

Non sic aggeribus ruptis quum spumeus amnis

Exiit, oppositasque evicit gurgite moles,

Fertur in arva furens cumulo, camposque per omnes

Cum stabulis armenta trahit.

(Æn. lib. II, v. 496.)

Decidens scabrum cavat (v. 9). Lupercus semble avoir pris

l'idée de ces vers dans Ovide:

Quid magis est saxo durum? quid mollius unda?

Dura tamen molli saxa cavantur aqua.

(Art. am. lib. I, v. 475.)

Gutta cavat lapidem; consumitur annulus ævo;

Et teritur pressa vomer aduncus humo.

(Pont. lib. IV, epist. 10, v. 5.)

Lucrèce avait présenté la même pensée sous les mêmes images:

Annulus in digito subter tenuatur habendo;
Stillicidi casus lapidem cavat; uncus aratri
Ferreus occulte decrescit vomer in arvis.

(Lib. I, v. 313.)

Ces imitations sensibles dans le peu de vers qui nous restent de Lupercus, prouvent que ce poëte était versé, par état comme par goût, dans la lecture des anciens, et particulièrement dans celle d'Horace.

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