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& mes remarques particuliéres. Rien n'étoit plus conforme à mon inclination; je jugeois auffi que ce projet m'engageroit dans un moindre travail. Tout confidéré, il m'a paru que je remplirois mieux les intentions du Miniftre, & que je pourrois, je ne dis pas faire un livre plus utile, mais me le propofer, en compofant un Ouvrage tout nouveau, où parfaitement libre à l'égard de l'arrangement des chofes, je ferois enforte que les anciennes & les nouvelles fe prétaffent réciproquement plus de jour.

J'ai fuppofé, comme mon pere, que les Lecteurs n'euffent aucune teinture de Géométrie ; ce qui m'a obligé de donner quelques légeres notions de cette fcience dans le premier des cinq livres qui compofent ce Traité. Si on ne remontoit pas ainfi aux premiers élémens, on priveroit la Marine d'un grand nombre de fujets très-propres à devenir d'excellens Pilotes, qui n'iroient pas puifer dans d'autres fources les connoiffances préliminaires dont ils auroient befoin. Il faut par la même raison donner des élémens de la Sphére, entrer dans l'explication du mouvement des Cieux, & de la fituation des Aftres. Nous n'allons effectivement, en traverfant les mers, chercher avec certitude une terre éloignée, que par une continuelle application de l'Aftronomie & de la Géométrie à la Marine; c'est même ce qui fournit peut-être la preuve la

plus frappante aux yeux de plufieurs personnes, de l'utilité réelle de ces deux Sciences. L'art du Pilote n'en eft pas moins fimple; mais la diverfité des matiéres qu'il embraffe, fait qu'il y a quel que difficulté à les bien arranger, & qu'on trouve des inconvéniens réels dans toutes les difpofitions qu'on peut choisir.

Si l'on fe bornoit à la feule énonciation des régles ou des pratiques, cet art ne feroit plus pour fi le Navigateur qu'une affaire de mémoire, &, on le peut dire, de routine. Mais outre qu'il est beaucoup plus difficile de retenir des chofes les ne font point liées les unes avec les autres, connoiffances du Navigateur fe trouveroient alors trop imparfaites, pour qu'on pût y prendre une entiére confiance. Il eft certain qu'on ne nous inftruit jamais mieux ni plus aifément, que lorsqu'on nous fait au moins entrevoir les raifons des chofes qu'on nous explique. L'enchaînement des matiéres fait qu'elles fe placent comme d'elles-mêmes dans l'efprit, qu'elles s'y gravent plus profondément l'intelligence qu'on nous donne des unes, nous aide à concevoir les autres, & nous en rend comme Inventeurs. Je n'avance pas légérement ce que je dis ici en faveur de cette maniére d'enseigner. Mon témoignage eft fondé sur vingt années d'expérience, pendant lefquelles j'ai eu l'avantage de former un grand nombre de Pilotes.

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Mon

Mon frere m'a remplacé dans un des deux Ports où j'ai demeuré ; il fuit encore la même méthode, dont la bonté eft continuellement justifiée par le fuccès de fes leçons publiques, qui invitent un grand nombre de jeunes Marins à fe rendre au Croific.

Non feulement les Pilotes prennent plus promptement une connoiffance parfaite de leur Art, lorfqu'on le fonde fur de bons principes, celle qu'ils acquiérent est encore plus durable & plus sûre. La Théorie les guidant fans cesse dans l'exécution, les fait parvenir beaucoup plutôt à cette pratique ou habitude qui leur eft fi nécessaire, laquelle ils opérent avec facilité.

par

que

L'efpéce de Pratique dont nous parlons ici ne peut s'acquérir qu'à la mer, & par un un long exercice; elle eft très-différente de celle qui confifte dans la science des faits. Cette derniére peut, à divers égards, faire partie de la Théorie; au lieu la premiére devient une qualité personnelle qu'il faut que chaque Marin contracte par un travail opiniâtre, & qui ne fe communique pas. Le Pilote, à force de répéter les mêmes opérations, doit y réuffir avec la même adreffe, que s'il étoit conduit par un instinct naturel. Mais on voit affez, que pour qu'il agiffe, il faut qu'il ait un but, & qu'il ait été parfaitement inftruit de ce qu'il doit exécuter. La Pratique eft comparable à la main qui b

travaille, pendant que la Théorie tient lieu de l'esprit qui dirige avec lumiére. Quoique les régles du Pilotage foient auffi fimples que générales, elles demandent toujours à être modifiées felon les différens cas; & il n'est douteux pas que la Théorie feule ne doive prefcrire ces changemens.

J'ai eû connoiffance d'un Pilote trop fimple Praticien, qui fe trompoit continuellement dans la réduction des lieues de longitude en degrez: il comptoit dans un fens contraire fur le Quartier de réduction, les degrez du moyen parallele. Il fit divers voyages fans s'appercevoir de fon erreur : il partoit toujours des mêmes côtes de l'Europe pour aller vers l'Amérique Septentrionale en courant à l'Ouest. La latitude par laquelle il naviguoit, en allant comme en revenant, différoit peu de 45. degrez; & il lui étoit prefque égal de se servir du complément du moyen paralléle, ou du moyen paralléle même. Il trouvoit toujours néanmoins à l'atterrage quelque différence,qu'il attribuoit comme à l'ordinaire aux courans ou à l'imperfection des Cartes Marines. Ce Pilote s'étant enfuite embarqué pour une des Antilles, continua d'opérer felon fa méthode défectueufe.L'erreur devint alors énorme ; & on juge des fuites funeftes qu'elle auroit eûes, s'il fe fût trouvé feul chargé de la conduite du Navire, comme cela arrive quelquefois. Heureufement pour lui il parvint enfin à l'éclaircissement

dont il avoit befoin; mais il ne croyoit qu'avec peine & avec le plus grand étonnement ce qu'on lui apprenoit; il s'imaginoit qu'on ne lui parloit pas d'une maniére férieufe, ou qu'on vouloit le tromper.

Un semblable fait & plufieurs autres, dont le fort eft de refter enfeveli dans les ténébres, montrent qu'il est extrêmement néceffaire que les Pilotes ayent assez de Théorie pour pouvoir se rendre compte à eux-mêmes de la bonté de leurs opérations. On n'a pas d'autre moyen de les empêcher de fe tromper dans une matiére où les moindres fautes tirent à conféquence. D'ailleurs l'obligation qu'on leur impofe n'eft pas pénible; quelques mois d'une étude férieufe leur fuffifent. C'est en effet une des preuves de la perfection de leur art,qu'ils puiffent l'exercer fans être inftruits de toute la Théorie qui a fervi à l'inventer. Ce n'est ni la pratique aveugle, ni l'expérience groffiére qui ont fait découvrir les diverfes méthodes que nous avons de réduire les routes; qui ont fait imaginer les différens inftrumens dont on fe fert pour observer la hauteur des Astres; qui ont réglé tous les calculs & les autres opérations qu'on employe fur mer. Ce font des perfonnes habiles dans les Mathématiques, qui fur l'expofition des befoins des Marins, ont fait à terre ces découvertes ou ces différentes applications, qui rendent cette par

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