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que dans les tems où la corruption a fait les progrès les plus étendus. Les études de phyfique peuvent fe perfectionner & faire de nouvelles découvertes, avec les mouvemens agités que donne la civilisation, & la paffion du gain qu'elle enflamme. Mais, par les mêmes raifons, la révolution des fiécles ne fait qu'altérer l'efprit des Loix, & les faines maximes de la juftice. Il eft donc effentiel dans cette matière importante, de fe défier des idées nouvelles, qui, pour être quelquefois éblouiffantes, n'en font pas moins prefque toujours fauffes & dangereufes; & de remonter conftamment aux fages maximes de l'antiquité.

Il y a beaucoup à gagner, en fait de moeurs, à garder les "coutumes anciennes, dit un Ecrivain qui les avoit long-temps mé"ditées. Comme les peuples corrompus font rarement de grandes "chofes, & qu'ils n'ont guère établi de fociétés, fondé de villes, donné » de bonnes loix; & qu'au contraire ceux qui avoient des mœurs " fimples & auftères ont fait la plupart des établissemens; rappeller " les hommes aux maximes anciennes c'eft ordinairement les " ramener à la vertu.

"De plus, s'il y a eu quelque révolution, & que l'on ait donné » à l'Etat une forme nouvelle, cela n'a guères pu fe faire qu'avec des peines & des travaux infinis, & rarement avec l'oifiveté & des "mœurs corrompues. Ceux mêmes qui ont fait la révolution, ont "voulu la faire goûter, & ils n'ont guère pu y réuffir que par de "bonnes Loix. Les inftitutions anciennes font donc ordinairement " des corrections, & les nouvelles des abus. Dans le cours d'un long "gouvernement, on va au mal par une pente infenfible, & on ne " remonte au bien que par un effort." Efprit des Loix, liv. 51 chap. 7.

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Mais cette règle de remonter aux principes des anciennes inftitutions, que François I propofoit fi judicieusement pour la réforme des loix civiles & de la jurifprudence, eft infiniment plus jufte encore & plus infaillible pour les loix eccléfiaftiques.

M. Fleury & les auteurs véritablement éclairés ont tous remar qué, que , que les plus anciennes Loix de l'Eglife font toujours les meilleures que la fuite des tems en a affoibli plufieurs; mais que l'efprit de l'Eglife eft toujours que l'on fe rapproche, autant qu'il eft poffible, des maximes de l'antiquité, parce qu'en effet ce font conftamment les plus lumineufes & les plus pures,

Eh!

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1

Eh! Combien de prérogatives on reftitucroit au Clergé feulement pour fa Jurifdiction, fi, remettant en vigueur les anciennes Loix & les Ordonnances, on lui rendoit tout ce que lui ont fucceffivement enlevé les décisions de la jurisprudence?

En ordonnant ce retour, on ne feroit pas feulement, j'ofe le dire, un acte de justice en faveur du premier ordre de l'Etat, on affermiroit encore la conftitution à laquelle la Monarchie françoise doit fa force & fa durée. ( 1 )

Un troisième moyen de remédier aux inconvéniens qui résultent de la jurisprudence a été exposé par M. d'Aguefleau. Il consiste à joindre aux anciennes maximes, pour les développer, les arrêts qui

(1) Cette propofition, quoique parfaitement exacte, paroîtra fans doute paradoxale à ceux qui s'occupent moins, en France, d'étudier les loix de leur pays, que d'exalter, fans en connoître les terribles inconvéniens, les conftitutions étrangères. Afin qu'ils ne crient pas à l'erreur & au fcandale, fur ces idées que je leur préfente, je vais les fortifier d'un témoignage qui n'eft pas fufpect, & qui doit être d'un grand poids dans cette matière.

Il y a des gens, dit M. de Montefquieu, qui avoient imaginé dans quelques Etats en Europe, d'abolir toutes les juftices des Seigneurs. Ils ne voyoient pas qu'ils vouloient faire ce que le Parlement d'Angleterre a fait. Aboliffez, dans une "Monarchie, les prérogatives des Seigneurs, du Clergé, de la Nobleffe & des » Villes; vous aurez bientôt un état populaire, ou bien un état defporique. C'està-dire, les deux Etats les plus diametralement oppofés, fur-tout dans un grand Empire, à la tranquillité & au bonheur des peuples.

Les tribunaux d'un grand Erat en Europe, continue M. de Montefquieu, frappent fans ceffe, depuis plufieurs fiècles, fur la jurifdiction patrimoniale des Seigneurs " & fur l'Eccléfiaftique. Nous ne voulons pas cenfurer des Magiftrats fil fages; mais >> nous laiffons à décider jufqu'à quel point la conftitution en peut être changée. "Je ne fuis point entêté des privilèges des Eccléfiaftiques : mais je voudrois » qu'on fixat bien une fois leur Jurifdiction. Il n'eft point queftion de favoir fi on a eu raifon de l'établir; mais fi elle eft établie; fi elle fait une partie des loix du pays; & fi elle y eft par-tout relative; fi entre deux pouvoirs que l'on reconnoît > indépendans, les conditions ne doivent pas être réciproques; & s'il n'eft pas égal à un bon fujet de défendre la juftice du Prince, où les limites qu'elle s'eft de "tout tems prefcrites.

Autant que le pouvoir du Clergé eft dangereux dans une République, autant eft-il convenable dans une Monarchie, fur-tout dans celles qui vont au defpotifme. "Où en feroient l'Espagne & le Portugal depuis la perte de leurs loix, fans ce "pouvoir qui arrête feul la puiffance arbitraire ?....

M. Law, par une ignorance égale de la Conftitution républicaine & de la Monarchique, fut un des plus grands promoteurs du defpotifme, que l'on eût encore vu en Europe. Outre les changemens qu'il fit fi brufques, fi inufités, fi inouis; "il vouloit ôter les rangs intermédiaires, & anéantir les corps politiques: il diffol» voit la Monarchie par les chimériques remboursemens, & fembloit vouloir racheter la conftitution même, Efprit des Loix, liv. 2, chap. IV.

leur font conformes ; &, en confacrant par des loix expreffes fur chaque matière, ces principes & les arrêts qui en préfentent une jufte application, d'anéantir ainfi légalement tous ceux qui s'y

trouvent contraires.

M. le Chancelier d'Agueffeau ne s'eft pas contenté d'indiquer ce moyen dans fes lettres. Il l'a mis heureufement en pratique pour deux loix importantes, l'Ordonnance fur les donations, & celle concernant les teftamens. La fagefle de fes vues & la prudence de fa marche pour connoître la jurisprudence de tous les Parlemens fur ces deux objets, & pour faire, de ce qu'il y avoit de jufte dans cette jurifprudence, une application légale aux vrais principes, se font fi bien fentir dans le préambule de ces deux loix célèbres, qu'il ne peut être que très-utile d'en préfenter ici & d'en méditer souvent les principales difpofitions.

«La justice devroit être auffi uniforme dans fes jugemens que "la loi eft une dans fa difpofition, & ne pas dépendre de la dif»férence des tems & des lieux, comme elle fait gloire d'ignorer celle "des personnes. Tel a été l'efprit de tous les légiflateurs, & il n'eft "point de loix qui ne renferment le von de la perpétuité & de l'u»niformité. Leur principal objet eft de prévenir les procès, encore "plus que de les terminer; & la route la plus sûre pour y parvenir, eft de faire régner une telle conformité dans les décifions, que " fi les plaideurs ne font pas affez fages pour être leurs premiers Juges, ils fachent au moins que, dans tous les tribunaux, ils trouveront "une juftice toujours femblable à elle-même par l'obfervation conf"tante des mêmes règles. Mais comme fi les loix & les jugemens de"voient éprouver ce caractere d'incertitude & d'instabilité, qui eft "presque inséparable de tous les ouvrages humains, il arrive quelque" fois que, foit par un défaut d'expreffion, foit par les différentes ma"nières d'envifager les mêmes objets, la variété des jugemens forme "d'une feule loi, comme autant de loix différentes dont la diverfité, » & fouvent l'oppofition, contraires à l'honneur de la Juftice, le "font encore plus au bien public... notre amour pour la justice & le "" defir que nous avons de la faire refpecter également dans tous nos "Etats, ne nous permettent pas de tolérer plus long-tems une diverfité "de Jurifprudence qui produit de fi grands inconvéniens;... la dé"cifion des queftions qui regardent la nature, la forme & les conditions "effentielles des donations, matières qui, foit par fa fimplicité, soit

" par le peu d'oppofition qui s'y trouve entre les principes du Droit "Romain & ceux du Droit François, nous a paru la plus propre "à fournir le premier exemple de l'exécution du plan que nous nous » sommes propofé. Avant que d'y établir des règles invariables, nous "avons jugé à propos de nous faire informer exactement par les "principaux Magiftrats de nos Parlemens & de nos Confeils fu"périeurs, des différentes Jurifprudences qui s'y obfervent; & nous " avons eu la fatisfaction de voir dans l'expofition des moyens propres "à les concilier, que ces Magiftrats, uniquement occupés du bien de » la Justice, nous ont propofe fouvent de préférer la Jurifprudence "la plus fimple, & par-là même la plus utile, à celle que le pré» jugé de la naissance & une ancienne habitude pouvoient leur rendre "plus refpectable, ou s'il y a eu de la diverfité de fentimens fur quelnques points, elle n'a fervi, par le compte qui nous én a été rendu "dans notre Confeil, qu'à développer encore plus les véritables "principes que nous devons fuivre, pour rétablir fucceffivement » dans les différentes matières de la Jurifprudence où l'on obferve » les mêmes loix, cette uniformité parfaite qui n'est pas moins ho»norable au Législateur, qu'avantageufe à ses sujets..."

"Notre intention n'eft point de faire un changement réel aux dif"pofitions des loix que les Tribunaux ont obfervées jufqu'à préfent; » nous voulons au contraire en affermir l'autorité par des règles tirées

"de ces loix mêmes, & expliquées d'une manière fi précise, que » l'incertitude ou la variété des maximes ne foit plus déformais une "matière toujours nouvelle de doutes pour les Juges, & de procès "ruineux pour ceux-mêmes qui les gagnent... C'eft ainfi qu'en éloi"gnant tout ce qui peut rendre les jugemens incertains & arbitraires, » nous remplirons le principal objet de la loi, qui eft de tatir, autant "qu'il eft poffible, la fource des procès, d'affermir la tranquillité "& l'union des citoyens, & de leur faire goûter les fruits de cette » justice, que nous regardons comme le fondement du bonheur des "peuples, & de la gloire la plus folide des Rois.

Si une marche aufli prudente ne réforme les abus , que par le développement des loix anciennes; & fi, quoique guidée par des lumières fupérieures & animée par un grand zèle, elle ne publie, dans le cours d'un règne, qu'un très-petit nombre de loix; au moins ces loix font reçues par-tout avec une vive reconnoiffance; elles ne demandent plus aucun acte législatif fur la matière qu'elles ont réglées;

en un mot, elles produifent éternellement pour la tranquillité des citoyens, les heureux effets qu'on s'en étoit promis.

Puiffe le Légiflateur s'occuper inceflamment de réformer, en fuivant la même règle, les abus qui fe font introduits dans la Jurifprudence fur les matières eccléfiaftiques! Puiffe-t-il rappeller bientôt fur ces objets importans, les principes de l'antiquité & les Ordonnances de fes auguftes prédéceffeurs ! Il travaillera autant pour fa gloire, que pour le bien de la Religion véritable, qui eft celle de fon Empire.

Mais, en attendant que cette réforme intéreffante, que ce retour aux vrais principes, foit confommé, quel doit être le plan du Canonifte François qui veut folidement s'inftruire des matières eccléfiaftiques? Il doit d'abord étudier & méditer profondément les principes fondamentaux, & pour en mieux pénétrer l'efprit, il doit les confidérer, pour ainsi dire, à nud, c'est-à-dire, dégagés des commentaires, qui fouvent ne fervent qu'à les obfcurcir; & placés dans un ordre qui les lie fi bien entr'eux, que l'un foit toujours un développement de l'autre. Rien ne fait mieux concevoir un tout, rien ne l'imprime plus avant dans la mémoire, que cette parfaite liaison de toutes les parties, dont l'une explique l'autre & la rappelle comme néceffairement à un efprit jufte & méthodique.

Il doit enfuite étudier les loix générales de la France & ses usages, &, pour en faifir le véritable fens, les comparer foigneusement avec les maximes fondamentales que ces loix & ufages étendent ou modifient.

Après s'être rempli de cette double étude, il peut, fans danger confulter la Jurifprudence des arrêts. Il eft en état de les juger, de faire une jufte application de ceux qui font conformes aux principes, & de ne point fe laiffer féduire par ceux qui font moins réguliers. Mais, comme on l'apperçoit fans doute, cette troisième étude ne doit être faite, qu'après avoir confacré un tems fuffifant aux deux premières. Quand on a bien faifi un feul principe fondamental, on s'étonne fans ceffe, dans la pratique, de voir à combien de queftions il fournit des réponses.

Je me fuis efforcé de fuivre dans la compofition de cet Ouvrage, le plan que je viens de tracer. Les principes fondamentaux y font d'abord expofés, dans le même ordre où M. Van-Espen les a placés.

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