SCAPIN. Elle m'a seulement donné une petite lettre qui vous expliquera peut-être mieux la chose. VALÈRE. Eh! donne donc, maraud, donne donc. (Il lit.) <«< Si vous m'aimez autant que je vous aime, nous sommes les plus malheureuses personnes dumonde. Ma mère prétend me marier à un homme que je ne connois point. Détournez le malheur qui nous menace; et soyez certain que je choisirai plutôt la mort que d'être jamais à d'autre qu'à vous. » Scapin ! Monsieur? SCAPIN. VALÈRE. Que dis-tu de cette lettre-là ? SCAPIN. Je dis, monsieur, que ce n'est pas là une lettre de change. VALERE. Et je me laisserai enlever Léonor? non, non, Scapin, à quelque prix que ce soit, il faut empêcher... SCAPIN. Monsieur, le ciel m'a donné des talents merveilleux pour faire des mariages; et je puis dire, sans vanité, qu'il n'y a guère de jour qu'il ne m'en passe quelqu'un par les mains. J'en ai même ébauché plus de mille dans ma vie qui n'ont jamais été achevés; mais j'aime trop la propagation de l'espèce pour avoir le courage d'en rompre aucun. VALÈRE. Que tu fais mal à propos le mauvais plaisant! il faut .. SCÈNE V I. M. GRIFON, M. MATHIEU, VALÈRE, SCÀPIN. SCAPIN, bas. PAIX, voici votre père. Le vilain usurier qui nous vendit si cher l'argent l'année passée est avec lui. VALÈRE, bas. Vient-il lui demander ce que je lui dois ? Il seroit mal adressé. Ecoutons. (Valère et Scapin se retirent au fond du théâtre.) M. GRIFON, à M. Mathieu. Je vous donnai, il y a huit jours, un sac de mille francs à faire valoir, dont j'ai votre billet, monsieur Mathieu. M. MATHIEU. Cela est vrai, monsieur Grifon. SCAPIN, bas, à Valère. Le bon homme négocie avec les usuriers aussique nous; mais ce n'est pas de la même ma bien nière. M. GRIFON. Nous sommes convenus à trois mille huit cents Regnard, 2 livres; ce sont encore deux cents louis qu'il faut vous donner pour le collier, monsieur Mathieu. M. MATHIEU. Oui, monsieur Grifon. SCAPIN, bas, à Valère. Cela nous accommoderoit bien. Passez tantôt chez moi, ou envoyez-y quelqu'un de votre part, avec un billet de votre main, cela suffira: c'est de l'argent comptant, M. Mathieu. M. MATHIEU. Je n'en suis point en peine, et je vous laisse le collier, monsieur Grifon. SCAPIN, à part. Un collier de trois mille huit cents livres ! le friand morceau ! ( M. Mathieu sort. ) SCÈNE VII. M. GRIFON, VALÈRE, SCAPIN. M. GRIFON. AH! Vous voilà, mon fils. Que faites-vous là ? Y a-t-il long-temps que vous VALERE. Je ne fais que d'arriver. y êtes ? M. GRIFON, montrant Scapin. Qui est cet homme-là ? C'est, mon père... VALÈRE. M. GRIFON. Quoi? c'est... VALERE. Un musicien de l'opéra. M. GRIFON. Mauvaise connoissance qu'un musicien de l'opéra ! ils mènent les gens au cabaret, et il faut toujours payer pour eux. SCAPIN, bas, à Valère. De quoi diantre vous avisez-vous de me faire musicien? j'aimerois mieux être tout autre chose. VALÈRE, bus, à Scapin. Tais-toi. M. GRIFON. Oh ! çà, mon fils, j'ai une nouvelle à vous apprendre; la présence du musicien ne gâtera rien, et peut-être pourra-t-il nous être utile. SCAPIN, bas, à Valère. Votre imagination m'a fait musicien Vas verrez qu'il faudra que je le devienne par M. GRIFON. Que dit monsieur le musicien ? SCAPIN Je ne puis que vous louer, monsieur, de former une entreprise si hardie. Vous avez eu le bonheur d'enterrer une première femme, vous hasardez d'en prendre une seconde; le péril ne vous rebute point : cela est fier, cela est grand, cela est héroïque; et, pour ma part, je n'ai garde de manquer d'applaudir à une résolution aussi généreuse que la vôtre. M. GRIFON. Voilà un joli garçon. VALÈRE. Ce que j'en ai dit, mon père, n'est que par l'intérêt que je prends à votre santé. M. GRIFON. Ne t'en mets point en peine, ce sont mes affaires. SCAPIN, à Valère. Oui, monsieur, que monsieur votre père vous donne seulement une belle-mère bien faite, belle, jeune, et laissez-le faire; vous serez ravi qu'il se soit remarié, sur ma parole. M. GRIFON. Oh! je suis sûr qu'il en sera content. C'est une fille à qui il ne manque rien. Ce que je voudrois de vous maintenant, monsieur de l'opéra, ce seroit que vous m'aidassiez à donner une petite sérénade à ma maîtresse. |